TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
9ème chambre 1ère section
N° RG 22/05382
N° Portalis 352J-W-B7G-CWYGI
N° MINUTE :
Contradictoire
Assignation du :
21 Avril 2022
JUGEMENT
rendu le 02 juillet 2024
DEMANDEURS
Monsieur [L] [Y]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représenté par Me Maude HUPIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0625
Madame [F] [Z] épouse [Y]
[Adresse 6]
[Localité 8]
représentée par Me Maude HUPIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0625
DÉFENDERESSE
S.A. LE CREDIT LYONNAIS - LCL -
[Adresse 5]
[Localité 11]
représentée par Maître Gachucha COURREGE de la SELARL M&C Avocats, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0159
Décision du 02 Juillet 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 22/05382 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWYGI
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente,
Monsieur Patrick NAVARRI,Vice-président,
Madame Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente,
assistés de Madame Sandrine BREARD, greffière.
DÉBATS
A l’audience du 07 mai 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Patrick NAVARRI, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
FAITS CONSTANTS
M. [L] [Y] et Mme [F] [Y] née [Z] étaient titulaires de plusieurs comptes ouverts dans les livres de LCL et notamment :
- un compte joint de dépôt n° [XXXXXXXXXX07] ;
- un compte titres rattaché au compte joint n° [XXXXXXXXXX07] ;
- deux comptes sur livret (n° [XXXXXXXXXX04] et n° [XXXXXXXXXX01]) ;
- deux livrets A : [XXXXXXXXXX012] et [XXXXXXXXXX013]
- deux PEA (n° [XXXXXXXXXX03] et n° [XXXXXXXXXX02]).
Le 30 avril 2020, les époux [Y] ont perçu le prix de vente de leur appartement soit 1.498.000€ qu’ils ont placé dans leurs comptes d'épargne.
En mai 2020, les époux [Y] ont alors sollicité la mise en place du service "Bourse expert" pour les comptes PEA (n° [XXXXXXXXXX010] compte de Madame [Y], et n° [XXXXXXXXXX09], compte de Monsieur [Y]).
Il résulte des pièces des demandeurs que pour l'année 2021 :
- le compte PEA Expert de Madame [Y] a enregistré une moins-value de 93.564,13 € ;
- le compte PEA Expert de Monsieur [Y] a enregistré une moins-value de 76.460,14 € ;
- le compte joint PEA Expert a enregistré une moins-value de 3.413.070,15 €.
Décision du 02 Juillet 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 22/05382 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWYGI
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte d’huissier en date du 29 avril 2022, M. [L] [Y] et Mme [F] [Y] née [Z] ont assigné le CREDIT LYONNAIS devant le tribunal de céans.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 février 2024, M. [L] [Y] et Mme [F] [Y] née [Z] demandent de :
Vu les articles 1103, 1194 et 1231-1 et suivants du Code civil ;
Vu les articles L. 533-12 II et L. 533-13 et suivants du Code monétaire et financier ;
Vu les articles 314-3 et 314-7 du Règlement Général de l’Autorité des Marchés Financiers
- DECLARER Monsieur et Madame [Y] recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions ;
- DEBOUTER la société LE CREDIT LYONNAIS de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- DECLARER que Monsieur et Madame [Y] sont des investisseurs non avertis ;
- DECLARER que la société LE CREDIT LYONNAIS était tenue d’un devoir de conseil, d’information et de mise en garde à l’égard de Monsieur et Madame [Y] ;
En conséquence :
- DECLARER que la société LE CREDIT LYONNAIS n’a pas respecté son obligation générale et particulière d’information de conseil et de mise en garde à l’égard de Monsieur et Madame [Y] ;
- CONDAMNER la société LE CREDIT LYONNAIS au paiement de la somme de 5.000.000€, à titre d’indemnisation du préjudice financier actuel subi par Monsieur et Madame [Y] ;
- CONDAMNER la société LE CREDIT LYONNAIS au paiement de la somme de 50.000€ en réparation du préjudice moral subi par Monsieur et Madame [Y] ;
- CONDAMNER la société LE CREDIT LYONNAIS au paiement de la somme de 10.000€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société LE CREDIT LYONNAIS aux entiers dépens.
A l’appui de leurs demandes ils font valoir :
- que les époux [Y] sont des investisseurs non avertis ;
- qu’ils n’ont pas été informés des risques que présentaient les placements boursiers ; que la banque ne les a pas conseillés ni informés des différents placements ; qu’elle n’a pas respecté son obligation d’information, de conseil et de mise en garde ;
- que la gestion en banque privée suppose la gestion par des experts et non pas l’exécution des ordres donnés par le client ;
- que les époux [Y] n’avaient pas les connaissances suffisantes pour gérer leurs comptes et avaient même des connaissances limitées ;
- qu’ils ont donné des ordres de clôture de plusieurs comptes qui n’ont pas été exécutés par la banque et notamment le remboursement de leur prêt immobilier ;
- qu’ils ont subi un préjudice financier important.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 janvier 2024, LE CREDIT LYONNAIS demande de :
Vu les dispositions du Code monétaire et financier dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, et notamment les articles L. 321-1, L. 533-11, L. 533-13 et D. 533-15-1,
Vu les dispositions des articles 1101 et suivants du Code civil,
Vu les pièces produites,
Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
▪ Juger que Monsieur [L] [Y] et Madame [F] [Z] épouse [Y] ne rapportent pas la preuve, dont la charge leur incombe, des fautes qu'ils invoquent, du préjudice qu'ils prétendent avoir subi et du lien de causalité entre les fautes et le préjudice.
En conséquence,
▪ Débouter Monsieur [L] [Y] et Madame [F] [Z] épouse [Y] de toutes leurs demandes.
▪ Condamner solidairement Monsieur [L] [Y] et Madame [F] [Z] épouse [Y] à payer au CREDIT LYONNAIS une somme de 8.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
▪ Condamner solidairement les demandeurs aux entiers dépens.
A l’appui de ses demandes elle fait valoir :
- que si les époux [Y] font valoir qu’ils ont effectué des demandes de clôture de leurs comptes, cela n’est pas prouvé ;
- que postérieurement à l’assignation ils ont continué à passer des ordres d’achat et de vente des actions de sociétés cotées en bourse avec leur compte « bourse expert » ; que le LCL ne faisait qu’exécuter les ordres donnés selon les termes du contrat ;
- qu’elle n’a pas manqué à ses obligations d’information ; qu’elle n’était pas tenue à un devoir de conseil ; qu’elle a d’ailleurs proposé aux époux [Y] de lui déléguer la gestion de son portefeuille mais ils ont refusé ;
- qu’elle n’était pas tenue à une obligation de mise en garde ; que les époux [Y] connaissaient les risques liés à des placements boursiers et les ont acceptés.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 avril 2024.
Décision du 02 Juillet 2024
9ème chambre 1ère section
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MOTIVATION
L’article 1231-1 du Code civil dispose que « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».
L’article 1112-1 du Code civil dispose que « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. (…) ».
L’article 1103 du Code civil dispose que « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L’article L 533-13 du Code monétaire et financier dispose que « I.-En vue de fournir les services mentionnés aux 4 ou 5 de l'article L. 321-1, les prestataires de services d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille se procurent les informations nécessaires concernant les connaissances et l'expérience de leurs clients, notamment de leurs clients potentiels, en matière d'investissement en rapport avec le type spécifique d'instrument financier ou de service, leur situation financière, y compris leur capacité à subir des pertes, et leurs objectifs d'investissement, y compris leur tolérance au risque, de manière à pouvoir leur recommander les services d'investissement et les instruments financiers adéquats et adaptés à leur tolérance au risque et à leur capacité à subir des pertes. (…) II.-En vue de fournir un service autre que ceux mentionnés au I, les prestataires de services d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille demandent à leurs clients, notamment leurs clients potentiels, des informations sur leurs connaissances et leur expérience en matière d'investissement, en rapport avec le type spécifique d'instrument financier ou de service proposé ou demandé, pour être en mesure de déterminer si le service ou l'instrument financier est approprié. (…) ».
Préalablement à l'ouverture du service « Bourse Expert », le CREDIT LYONNAIS a adressé aux époux [Y] un questionnaire pour connaître leur profil d’investisseurs afin d'évaluer les connaissances et leur expérience des placements financiers. Le 28 mai 2020, Monsieur et Madame [Y] ont renvoyé ledit questionnaire duquel il résulte qu'ils se définissaient comme "informés", et ce après avoir déclaré que :
- ils recherchaient "une bonne performance et acceptaient en contrepartie de prendre des risques en capital" ;
- ils déclaraient : "on peut placer une part importante de nos économies sur des placements risqués si le gain en vaut la peine" ;
- ils déclaraient également avoir une "assez grande capacité" à s'adapter si la situation financière se dégradait, ayant "assez d'épargne disponible".
Au surplus, il n’est pas contesté que les époux [Y] effectuaient antérieurement à l'ouverture du compte joint "Bourse Expert" des opérations d'achat et de vente d'actions selon les relevés de leur compte de dépôt n° 08718W 27.
Dans une attestation en date du 16 octobre 2023, M. [M] [E] qui est l’expert-comptable d’une société de prestations informatiques qui a été créée par les époux [Y] soit la société ASTER CONSULTING déclarait que M. [Y] lui avait confié qu’il avait fait des pertes boursières très importantes et qu’il n’était pas aidé par sa banque. L’examen du portefeuille boursier détenu par les époux [Y] avait révélé à M. [E] qu’il n’était pas diversifié et notamment qu’il contenait des actions de sociétés à très grands risques.
Toutefois, dès le 25 juin 2020, compte tenu du profil d’investisseur et des souhaits en matière d’investissements des époux [Y], le CREDIT LYONNAIS leur a proposé de souscrire à son service de "Gestion conseillée". Il s'agit d'une convention par laquelle le LCL assiste et conseille le client dans la gestion des instruments financiers déposés sur un compte "Gestion conseillée". Cette offre de service permet au client de bénéficier :
- d'informations économiques et financières relatives aux marchés et aux situations macroéconomiques et géopolitiques ;
- de conseils en investissement consistant à délivrer au client des préconisations d'investissement personnalisées portant sur l'opportunité d'effectuer des opérations sur des instruments financiers, alors que le client reste maître du choix de ses investissements.
Le CREDIT LYONNAIS a transmis à Monsieur [Y] la documentation relative à la « Gestion conseillée », à réception de laquelle il a répondu : "Je prends le temps de la réflexion et je reviens vers vous". Toutefois les époux [Y] n’ont pas souhaité souscrire à cette option.
Le 5 octobre 2020, les époux [Y] ouvraient un compte « Bourse Expert » et déclaraient avoir reçu et pris connaissance des documents relatifs à la politique tarifaire, au fonctionnement du compte « Bourse Expert » ainsi que la convention de compte. Le service Bourse Expert permet au client de donner les ordres d’achat ou de vente des actions que la banque doit exécuter sans interférer dans la gestion de son client. Il n’est pas prévu dans cette gestion que la banque conseille le client sur le choix des actions à vendre ou à acheter.
Par conséquent, les époux [Y] ont bien été informés des caractéristiques et des risques de la souscription du service « Banque Expert ». Le LCL leur a conseillé de souscrire à la gestion déléguée afin de les aider dans leurs placements financiers et notamment sur les achats et ventes d’actions qui comportent nécessairement des risques financiers en fonction de l’évolution de la bourse mais cela a été refusé par les époux [Y]. Dès lors la banque n’avait aucune obligation de mise en garde à sa charge puisque les opérations sur les actions ont été effectuées directement par les époux [Y] et ne résultent pas de conseils donnés par la banque.
Les époux [Y] font valoir que la banque LCL aurait refusé d’exécuter leur ordre de remboursement de prêt immobilier par anticipation. Mais si les époux [Y] ont bien envoyé un SMS pour demander une telle clôture le 25 septembre 2020, la conseillère du CREDIT LYONNAIS leur a répondu qu’elle allait les rappeler par téléphone. Or on ignore si les époux [Y] ont maintenu leur demande et en tout cas ils ne produisent aux débats aucun courrier de mise en demeure de la banque pour rembourser leur prêt par anticipation.
Les époux [Y] font valoir qu’ils ont demandé la clôture des deux comptes PEA ainsi que le compte « Bourse Expert » par courriel en date du 8 juin 2021. Toutefois ce courriel provenant d’une adresse mail de l’imprimante Ricoh a été adressé à la société Aster Consulting et les époux [Y] ne prouvent pas que cette demande a bien été adressée à la banque CREDIT LYONNAIS.
Dès lors, il y a lieu de rejeter les demandes de dommages et intérêts sur le fondement du préjudice matériel et moral des époux [Y].
Parties perdantes les époux [Y] seront condamnés in solidum aux dépens et à verser une somme de 2.500 euros à la banque LCL sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :
DÉBOUTE M. [L] [Y] et Mme [F] [Y] née [Z] de toutes leurs demandes ;
CONDAMNE in solidum M. [L] [Y] et Mme [F] [Y] née [Z] à verser une somme de 2.500 euros au CREDIT LYONNAIS sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum M. [L] [Y] et Mme [F] [Y] née [Z] aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 02 juillet 2024.
La Greffière La Présidente