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27/08/2024 | FRANCE | N°23/16308

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 2ème section, 27 août 2024, 23/16308


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :




9ème chambre
2ème section


N° RG 23/16308 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C2VZI

N° MINUTE : 1


Assignation du :
12 Octobre 2023









ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
rendue le 27 Août 2024

DEMANDEUR

Monsieur [R] [T]
[Adresse 2]
[Localité 5]

représenté par Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant, et Maître Audric DUPUIS, avocat au barreau de PA

RIS, avocat postulant, vestiaire #C1162



DÉFENDERESSES

S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DA...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

9ème chambre
2ème section

N° RG 23/16308 -
N° Portalis 352J-W-B7H-C2VZI

N° MINUTE : 1

Assignation du :
12 Octobre 2023

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ÉTAT
rendue le 27 Août 2024

DEMANDEUR

Monsieur [R] [T]
[Adresse 2]
[Localité 5]

représenté par Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant, et Maître Audric DUPUIS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1162

DÉFENDERESSES

S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0010

S.A. BANCO SANTANDER TOTTA
[Adresse 8]
[Localité 1] (PORTUGAL)

représentée par Maître Rémi KLEIMAN du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0014

Décision du 27 Août 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/16308 - N° Portalis 352J-W-B7H-C2VZI

MAGISTRAT DE LA MISE EN ÉTAT

Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint

assisté de Alise CONDAMINE-DUCREUX, Greffière

DÉBATS

À l’audience de plaidoiries sur incident du 04 Juin 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe le 27 Août 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

___________________

Par actes des 10 et 12 octobre 2023, M. [T] a fait assigner la BNP PARIBAS et la BANCO SANTANDER TOTTA devant ce tribunal, afin qu'à titre principal elles soient condamnées in solidum à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice matériel, celle de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et de jouissance, outre la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. À titre subsidiaire et infiniment subsidiaire, il entend que la BNP PARIBAS soit condamnée à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice matériel, celle de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et de jouissance, outre la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il expose avoir été contacté par la société AURIS HOLDING, qui lui a proposé d'investir dans des placements financiers, suivant contrats de juin et octobre 2021, ajoutant que cet investissement lui a été présenté comme rentable et sécurisé, devant bénéficier du versement d’intérêts réguliers et importants.

Il précise que c'est dans ces conditions qu'il a versé la somme de 50 000 euros le 10 novembre 2021, via son compte bancaire ouvert dans les livres de la BNP PARIBAS. Il indique que cette somme a été transférée sur un compte bancaire ayant pour IBAN : [XXXXXXXXXX07], ouvert dans les livres de la BANCO SANTANDER TOTTA domiciliée en Portugal et qu'il a été destinataire d'un justificatif d'achat ainsi que de documents récapitulatifs de ses portefeuilles électroniques d'actifs.

M. [T] fait valoir qu'en réalité il a été victime d'une escroquerie, la somme investie ayant été perdue, rappelant avoir, en vain, demandé le retour des fonds virés et mis en demeure les deux banques de le rembourser de la somme en question.
Il souligne que le 6 juillet 2022, il a déposé plainte pour escroquerie auprès du commissariat de [Localité 6] et qu'une enquête est en cours auprès de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée.

À l'appui de ses demandes, M. [T] soutient qu'une banque est tenue d'opérer un contrôle constant des opérations réalisées par ses clients, en application de la responsabilité civile contractuelle de droit commun ainsi qu'au titre des règles spécifiques en matière d'obligations de vigilance et de contrôle du code monétaire et financier, ajoutant qu'il s'agit d'un contrôle « simple », en fonction de l'évaluation des risques de l'activité du client, ce risque renvoyant au blanchiment ou au financement du terrorisme, et d'un contrôle « renforcé », lorsque notamment le produit ou l'opération présente, par nature, un risque particulier de blanchiment de capitaux, notamment lorsqu'il favorise l'anonymat. Il en conclut qu'il incombe au tribunal de s'intéresser au fonctionnement habituel du compte bancaire de son client, pour examiner si les opérations en question relèvent d'un fonctionnement normal du compte.

M. [T] fait valoir en outre qu'une banque peut refuser d'exécuter une opération de paiement, en indiquant les motifs, en application des dispositions générales de l'article L. 133-10 du code monétaire et financier, ainsi qu'au titre de l'article L. 561-8 du même code en matière d'obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Il reproche aux deux banques, à titre principal, un manquement à leurs obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, issues de quatre directives européennes, alors qu'il est désormais aisé d'investir sur des plate-formes informatiques, dans des domaines pourtant identifiés à risque par l'AMF.

En l'espèce, il estime que les deux banques n'ont pas respecté leur obligation de vigilance au regard de l'activité illégale de la structure AURIS HOLDING, les sources européennes de ces règles justifiant leur application à la banque portugaise. Il note que l'anomalie intellectuelle relative au placements financier résulte de sa nature même, ainsi que de l'anomalie de l'opération bancaire effectuée dans le cadre de ce placement. Il relève que les deux banques n'ont pas tenu compte des alertes en la matière des différentes autorités compétentes. Il reproche à la BNP PARIBAS un défaut d'alerte et de contrôle sur sa situation et à la BANCO SANTANDER TOTTA une absence de vérifications lors de l'entrée en relation et durant cette relation d’affaires nouée avec la structure AURIS HOLDING.

À titre subsidiaire, M. [T] se fonde sur l'obligation générale de vigilance, du fait des anomalies affectant l'opération bancaire effectuée par la BNP PARIBAS et de l'absence de vérifications sur la cliente de la BANCO SANTANDER TOTTA, la structure AURIS HOLDING.

À titre infiniment subsidiaire, M. [T] recherche uniquement la responsabilité de la BNP PARIBAS, pour manquement à son obligation d'information, générale et spéciale, face à des placements atypiques.

Par conclusions d'incident du 29 mai 2024, la BANCO SANTANDER TOTTA demande au juge de la mise en état de dire le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes de M. [T] formées à son encontre, au profit des juridictions portugaises, le requérant au fond étant renvoyé à mieux de pourvoir. Elle sollicite en outre la condamnation de M. [T] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d'incident du 22 avril 2024, M. [T] sollicite du juge de la mise en état qu'il déboute la BANCO SANTANDER TOTTA de son exception d'incompétence et la condamne à lui payer la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La BNP PARIBAS, qui a constitué avocat le 2 janvier 2024, n'a pas conclu sur cet incident.

SUR CE

Sur l'exception d'incompétence soulevée par la BANCO SANTANDER TOTTA :

1) Sur la compétence des juridictions portugaises au regard de l’article 7§2 du règlement Bruxelles I bis :

La BANCO SANTANDER TOTTA rappelle qu'en l'absence de relations contractuelles avec M. [T], l'action en responsabilité à son encontre est de nature délictuelle.

Elle fait valoir que pour déterminer la juridiction compétente, il convient d’appliquer le règlement Bruxelles I bis, qui prévoit une option de compétence pour le demandeur entre la juridiction du domicile du défendeur et celle du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire en vertu de l’article 7§2, soit le lieu de l’évènement causal ou le lieu où le dommage est survenu.

Elle soutient que la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) retient que la matérialisation du dommage correspond au lieu où ce dommage se manifeste concrètement et qu'en matière de préjudice financier, le fait dommageable ne se situe pas au domicile du demandeur, en tant que lieu où est localisé le centre de son patrimoine, mais dans l’État membre où les fonds ont été réceptionnés. Elle ajoute que le seul fait que la perte se soit matérialisée sur un compte bancaire ouvert dans un État membre est insuffisant pour justifier de la compétence des juridictions de cet État membre.

Elle précise en outre qu’en vertu du considérant n°7 du règlement CE n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit règlement Rome II, l’interprétation de la notion de lieu où le dommage survient doit être uniforme avec la notion de lieu où le fait dommageable s’est produit du règlement Bruxelles I bis.

Or, la BANCO SANTANDER TOTTA relève que le seul fait que des conséquences financières affectent le demandeur ne suffit pas à justifier l’application de la loi du pays de ce dernier, en application du règlement Rome II, le lieu où le dommage s’est réalisé directement étant en l’espèce le lieu où l’appropriation indue des fonds s’est produite, la circonstance que les fonds investis l’aient été par un ordre de virement à partir d'un compte bancaire ouvert en France étant insuffisante pour appliquer la loi française, quant à l'action en responsabilité à l'encontre d’une banque établie dans un autre État membre.

Par ailleurs, elle ajoute que le lieu de l'événement causal à l'origine du dommage est celui du prétendu manquement de la banque portugaise à ses obligations professionnelles, lieu également situé au Portugal.

M. [T] estime au contraire que la juridiction du domicile du demandeur est compétente, au titre de la matérialisation du dommage, en ce que le dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions, se fondant en particulier sur l'arrêt KOLASSA c/ BARCLAYS BANK PLC, C-375/13 de la CJUE du 28 janvier 2015.

Il ajoute que dans un arrêt LOBER c/BARCLAYS C304/17 du 12 septembre 2018, la CJUE a rappelé que les juridictions du domicile de cet investisseur sont, en tant que juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit, compétentes pour connaître de cette action, lorsque le dommage allégué consiste en un préjudice financier se réalisant directement sur un compte bancaire dudit investisseur auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions, alors que les autres circonstances particulières de cette situation concourent également à attribuer une compétence auxdites juridictions.

Il fait valoir que la Cour de cassation retient la même solution, jugeant qu'alors que le préjudice financier s’était réalisé directement sur un compte bancaire d'une société ouvert en France, à la suite d’un virement ordonné pour le paiement d’un cocontractant français dont il était allégué qu’un tiers avait usurpé la qualité, il appartenait à la cour d'appel, pour exclure la compétence des juridictions françaises, de rechercher si les autres circonstances particulières de l’affaire ne concouraient pas à attribuer la compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation de ce préjudice.

Il note qu'il en est de même de la cour d'appel de Paris, qui retient que la disparition des fonds à partir de ce compte est cristallisée en France et constitue le lieu de survenance du dommage au sens du règlement Rome II, le lieu de remise et de disparition des fonds étant incontestablement situé en France.

Or, il rappelle qu'en l'espèce son préjudice financier s’est réalisé sur son compte bancaire domicilié en France et considère que c’est un non-sens de retenir que le lieu de matérialisation du dommage est celui du compte bancaire étranger par lequel transite le virement, l’appropriation réelle des fonds n’intervenant pas au sein de l’UE mais, au final, sur des comptes offshores domiciliés dans des paradis fiscaux.

Il considère qu'il doit avoir la possibilité d’assigner les dépositaires des fonds en France et dans un pays de l’UE, en ce qu’ils ont tous deux facilité leur détournement, et ainsi, la réalisation du préjudice sur le compte bancaire dont il est titulaire en France.

Il note d'ailleurs que cette interprétation du texte européen est en cohérence avec la protection accordée aux consommateurs sur le terrain contractuel par la section 4 du règlement Bruxelles I bis et ajoute que le compte bancaire de départ des fonds n’est pas l’unique critère de rattachement du litige aux juridictions françaises, sa résidence habituelle en France pouvant également être retenue.

Il estime enfin qu'un parallèle peut être fait avec les critères de rattachement retenus en matière de cyber-délits et d’atteinte aux droits de la personnalité commis sur internet, le dommage étant localisé fictivement, tantôt dans tout État membre où le contenu est accessible, tantôt, pour les cyber-délits d’atteinte aux droits de la personnalité, au domicile de la victime. Or, il relève qu'en l'espèce les victimes françaises sont démarchées en ligne et sont ensuite invitées à créer un compte sur le site internet exploité par les escrocs, que ce site internet et la création de profils fictifs associés sont des éléments de qualification de l’infraction pénale d’escroquerie puisqu’ils constituent des manœuvres frauduleuses, de sorte que le délit est constitué par l’utilisation d’internet.

Ceci étant rappelé.

La demanderesse à l'incident doit être approuvée en ce qu'elle soutient que le lieu du fait dommageable visé à l'article 7§2 du règlement Bruxelles I bis est, en l'absence de circonstances particulières permettant de retenir la compétence de la juridiction du domicile de M. [T], le lieu où s'est produit l'appropriation des fonds, soit au Portugal. Sur ces circonstances particulières, le seul domicile du demandeur est insuffisant pour retenir la compétence des juridictions françaises.

En effet, le lieu où le dommage est survenu n’est pas celui à partir duquel le virement litigieux a été effectué, soit le compte bancaire français de M. [T], mais le compte destinataire des fonds virés depuis la France et appréhendés au Portugal. Le lieu où le dommage s’est produit ne peut être celui du domicile du payeur, au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant d’une perte patrimoniale.

En outre, il n'est pas discuté que le virement effectué depuis la France par M. [T], à destination du compte bancaire portugais, n'était affecté d'aucune anomalie et que le demandeur au fond entendait alors y procéder. Ce n'est que postérieurement à cette opération que le requérant au fond a pris conscience qu'il avait été victime d'une escroquerie.

Les jurisprudences sur lesquelles se fonde M. [T] ne sont pas transposables aux faits de l'espèce.

En effet, dans les arrêts KOLASSA c/BARCLAYS BANK PLC, C-375/13 et LOBER c/BARCLAYS, C304/17 de la CJUE, seules les circonstances particulières de l'affaire, à savoir que le demandeur recherchait la responsabilité d'une banque ayant émis un certificat dans le cadre d'un placement financier, ont permis de retenir la compétence du tribunal du domicile du demandeur. Or, les faits de l'espèce sont sans lien avec de telles circonstances.

De même, dans l'arrêt du 15 juin 2022 que cite M. [T], la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que si les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage, pour connaître d'une action, notamment lorsque ledit dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions, elle souligne que ce critère ne saurait être, à lui seul, qualifié de point de rattachement pertinent et que c'est uniquement dans la situation où les autres circonstances particulières de l'affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d'un préjudice purement financier qu'un tel préjudice pourrait, d'une manière justifiée, permettre au demandeur d'introduire l'action devant cette juridiction.

Or, dans le litige qui lui était soumis, la Cour de cassation reproche à la cour d'appel de ne pas avoir conclu à la compétence des juridictions françaises en retenant que le lieu où le dommage est survenu n'est pas celui à partir duquel les virements ont été opérés par la société Immobilière 3F, mais celui où a eu lieu l'appropriation indue des fonds par le débit du compte destinataire du virement, ouvert et géré au Portugal, alors qu'en l'espèce, le préjudice financier s'était réalisé sur un compte bancaire de la société Immobilière 3F ouvert en France, à la suite d'un virement ordonné pour le paiement d'un cocontractant français dont il était allégué qu'un tiers avait usurpé la qualité, de sorte qu'il appartenait à la cour d'appel, pour exclure la compétence des juridictions françaises, de rechercher si les autres circonstances particulières de l'affaire ne concouraient pas à attribuer la compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation du préjudice.

Les particularités des faits de cette espèce, à savoir qu'il s'agissait d'un virement ordonné pour le paiement d'un cocontractant français dont il était allégué qu'un tiers avait usurpé la qualité, ne sont en rien transposables à la présente instance.

De même, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 octobre 2022 est sans lien avec les faits de l'espèce puisque dans cette décision la disparition des fonds est intervenue sur le territoire français après leur dépôt sur le compte détenu en France, par un prestataire de services de paiement.

Enfin, M. [T] n'est pas non plus fondé à se prévaloir de la localisation fictive du fait générateur en matière de « cyber-délit ». En effet, le premier arrêt de la CJUE du 7 mars 1995 (C-68/93) qu'il évoque concerne la détermination des juridictions compétentes pour connaître d'une action en réparation du préjudice résultant de la publication d'un article de presse diffamatoire et le second, du 25 octobre 2011 (C-509/09 et C-161/10), mentionne les juridictions compétentes pour une atteinte aux droits de la personnalité par la publication d’informations sur internet. Ces faits sont sans rapport avec le présent litige.

2) Sur la compétence des juridictions portugaises au regard de l’article 8§1 du règlement Bruxelles I bis :

La BANCO SANTANDER TOTTA rappelle que cette disposition doit être interprétée d'une manière restrictive, en ce qu’il ne suffit pas qu'il existe une divergence dans la solution du litige, cette divergence devant s'inscrire dans une même situation de fait et de droit.

Elle fait valoir que pour se prévaloir de l’exception prévue à l’article 8§1 du règlement Bruxelles I bis, il est exigé la réunion des conditions cumulatives suivantes :

a) Une identité de situation de fait et de droit entre l’ensemble des parties

Or, elle estime qu'en l'espèce il n'existe pas une même situation de fait, entre les instructions données par M. [T] à sa banque et la situation de la BANCO SANTANDER TOTTA, qui n’a fait que réceptionner des fonds versés par la BNP PARIBAS.

De même, elle considère qu'il n'y a pas une même situation de droit, la transposition de directives européennes ne permettant pas d’établir une identité juridique entre les législations des deux États, alors qu'il appartient au demandeur au fond qui s'en prévaut, de prouver la teneur de la loi étrangère. Elle ajoute que la demande d’un virement n’a pas la même nature juridique qu’une demande de passation d’un virement par une banque émettrice à une banque réceptrice. Elle note que M. [T] recherche la responsabilité contractuelle de la BNP PARIBAS, mais la responsabilité délictuelle de la BANCO SANTANDER TOTTA, à défaut d'un lien contractuel avec cette dernière, outre qu'une une demande de condamnation in solidum des deux banques ne suffit pas à prouver l’identité de droit.    

b) L’existence d’un risque de décisions inconciliables si les demandes venaient à être examinées par deux juges différents.

La demanderesse à l'incident soutient que pour établir un tel risque, il ne suffit pas que la décision du premier juge sur l’une des demandes soit susceptible d’avoir une influence sur la décision du second juge sur une autre demande. Elle ajoute que même si les manquements allégués concourent à la réalisation d’un même préjudice, ces manquements sont en l'espèce distincts et n’entraînent pas de risque de décisions inconciliables.

Par ailleurs, elle rappelle que la victime d’agissements frauduleux ne peut pas rechercher la responsabilité contractuelle de sa banque en se fondant sur l’obligation de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et a fortiori, à l'encontre de la banque réceptrice des fonds, au titre de sa responsabilité délictuelle.

c) La prévisibilité d’être attraits dans un État membre autre que celui où il réside.

La BANCO SANTANDER TOTTA relève qu'il appartient au demandeur de démontrer l’existence de critères permettant à la défenderesse au fond d’anticiper le risque d’être attraite devant les juridictions françaises.

Ceci étant rappelé.

L'article 8§1 du règlement Bruxelles I bis dispose qu'une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps, afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Cette disposition répond au souci de faciliter une bonne administration de la Justice, de réduire la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

Pour que des décisions soient considérées comme risquant d’être inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit. Par ailleurs, l'identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres, de sorte qu'une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

En l'espèce, dans son assignation, M. [T] recherche, à titre principal, la responsabilité des deux banques au titre de leur devoir de vigilance, en ce qu'elles auraient concouru à la réalisation d'un même dommage, soit la perte des fonds investis. Ce devoir de vigilance est issu de directives européennes, notamment la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 transposée en droit interne aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, dont il n'est pas attesté qu'elles n'auraient pas été transposées dans le droit portugais. Il existe donc une même situation de droit.

Il importe peu, dans le cadre de cet incident, que ces demandes ne pourraient pas prospérer à l'encontre des deux banques, alors que cette question relève du fond du droit, de la seule compétence du tribunal.

En outre, ces demandes au fond se rapportent aux mêmes faits, une escroquerie ayant débuté par un virement en provenance d'un compte bancaire français et à destination d'un compte bancaire portugais, dans le cadre d'un même processus délictuel impliquant la banque française et la banque portugaise.

Elles tendent à des fins identiques et posent des questions communes nécessitant des réponses coordonnées, en particulier sur la matérialité et l'étendue des préjudices, l'analyse des causes du dommage et la responsabilité éventuelle de chaque banque.

En outre, en sa qualité de banque établie dans l'Union Européenne, au surplus dans la zone euro, la BANCO SANTANDER TOTTA est susceptible, comme au cas d'espèce, de recevoir des virements bancaires en provenance de France, de sorte qu'il n'est nullement imprévisible qu'elle puisse être attraite devant les juridictions françaises.

Par ailleurs, il doit être tenu compte de la qualité de consommateur de M. [T], partie faible, de sorte qu'il ne saurait lui être imposé de saisir les juridictions françaises et portugaises.

Il convient par conséquent de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la BANCO SANTANDER TOTTA.

Sur les autres demandes :

Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, la BANCO SANTANDER TOTTA sera condamnée à payer la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

REJETTE l'exception d'incompétence soulevée par la SA de droit portugais BANCO SANTANDER TOTTA ;

CONDAMNE la SA de droit portugais BANCO SANTANDER TOTTA aux dépens de l'incident, ainsi qu'à payer à M. [R] [T] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 22 octobre 2024, 9H30, afin que la SA de droit portugais BANCO SANTANDER TOTTA conclue au fond, ces conclusions devant intervenir avant le 1er octobre 2024.

Faite et rendue à Paris le 27 Août 2024

La Greffière Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 23/16308
Date de la décision : 27/08/2024
Sens de l'arrêt : Autres décisions ne dessaisissant pas la juridiction

Origine de la décision
Date de l'import : 02/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-27;23.16308 ?
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