TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le :
Me FLOQUET
Me PERICARD
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9ème chambre 1ère section
N° RG 22/12746
N° Portalis 352J-W-B7G-CX5LF
N° MINUTE : 3
Assignation du :
23 Septembre 2022
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 02 Septembre 2024
DEMANDERESSE
Madame [S] [M]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Maître Thierry FLOQUET de la SCP FLOQUET-GARET-NOACHOVITCH, avocats au barreau de l’ESSONNE
DEFENDERESSES
S.A. MMA IARD
[Adresse 1]
[Localité 3]
Mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 1]
[Localité 3]
Société CDL CONSEIL
[Adresse 2]
[Localité 4]
Toutes représentées par Maître Arnaud PERICARD de la SELARL ARMA, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #B036
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente, juge de la mise en état, assistée de Chloé DOS SANTOS, Greffière.
DEBATS
A l’audience du 13 Mai 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 02 Septembre 2024.
ORDONNANCE
Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Le 16 mars 2013, par l'intermédiaire de la société CDL CONSEIL, Mme [S] [M] a apporté des fonds en capital et au compte courant et a acquis des actions de la SCA FINOTEL CAPITALISATION 1 pour un montant total de 100.000 €, qui faisait partie du groupe dirigé par la société par actions simplifiée MARANATHA, laquelle lui avait consenti une promesse d'acquisition des actions sous son option dont le prix était déterminé d'emblée au regard de la durée de la détention de ces titres.
Le 28 septembre 2014, par l'intermédiaire de la société CDL CONSEIL, Mme [S] [M] a apporté des fonds en capital et au compte courant et a acquis des actions de la SCA HOTELIERE CAPITALISATION VISTA (devenue SCA CAPI CLARET BERCY) pour un montant total de 100.000 €, qui faisait partie du groupe dirigé par la société par actions simplifiée MARANATHA, laquelle lui avait consenti une promesse d'acquisition des actions sous son option dont le prix était déterminé d'emblée au regard de la durée de la détention de ces titres.
Ces deux investissements se rattachaient au produit " FINOTEL CAPITALISATION " consistant en la souscription de titres au sein de sociétés en commandite par actions (SCA) appartenant audit groupe, lesquelles détenaient elles-mêmes, directement ou indirectement, des participations au sein de sociétés d'exploitation de complexes hôteliers.
L'intérêt de ces produits pour le souscripteur résidait dans la possibilité, après avoir acquis des titres d'une SCA, de lever après quelques années l'option d'une promesse de rachat desdits titres par la société Maranatha à leur profit, moyennant le versement d'un prix de rachat déterminé par avance, en fonction de la durée de détention des titres.
La société MARANATHA a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille le 27 septembre 2017, converti en liquidation judiciaire le 27 mars 2019.
La SCA CAPI CLARET BERCY a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille le 22 novembre 2017, converti en liquidation judiciaire le 19 juin 2019.
La SCA FINOTEL CAPITALISATION a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de Paris de le 17 novembre 2021.
Reprochant à son interlocuteur divers manquements à ses obligations d'information et de conseil ayant conduit à la perte des sommes investies, Mme [S] [M] a, par exploits d'huissier en date des 23 et 30 septembre 2022, fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris, la société CDL CONSEIL, en responsabilité, et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, ses assureurs, en garantie, pour l'indemniser de la perte de valeur en capital et de la perte de chance de percevoir les gains escomptés.
Aux termes de leurs dernières conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 15 septembre 2023, la société CDL CONSEIL, les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 122 et 2224 du code civil, de :
“- JUGER que l'action de Madame [M] est irrecevable car prescrite ;
- DEBOUTER en conséquence Madame [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de CDL CONSEIL, de MMA et de MMA ASSURANCES ;
- CONDAMNER Madame [M] à verser à CDL CONSEIL, de MMA et de MMA ASSURANCES la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance”.
Au rappel des dispositions de l'article 2224 du code civil instituant un délai de prescription quinquennale, elles estiment que le dommage dont se plaint leur contradictrice d'avoir perdu une chance de mieux investir, dont la manifestation fixe le point de départ du délai, s'est révélé au jour de la conclusion de chacun des contrats à l'origine de l'action, et qu'il ne peut être, en tout état de cause postérieur à ces investissements faits respectivement les 16 mars 2013 et 28 septembre 2014 - la prescription poursuivant un objectif de sécurité juridique -, en sorte que l'intéressée, qui les a fait assigner les 23 et 30 septembre 2022, n'y est plus recevable.
Elles observent qu'il ne s'agit pas en l'espèce de démontrer la certitude du dommage qui est en lien avec le bien-fondé de l'action mais celle du principe du dommage constitué par la perte de chance de ne pas contracter, que la date de connaissance de l'ampleur des pertes de chaque intéressé ne peut donc pas être retenue comme point de départ du délai de prescription dès lors que les projections de remboursement n'ayant aucun caractère définitif, sont susceptibles d'évoluer à la hausse et à la baisse.
Elles notent, par ailleurs, que Mme [S] [M] savait, le jour de l'investissement, que sa bonne fin dépendait de la solvabilité de la société MARANATHA qui assurait seule la liquidité des titres, et estiment que celle-ci pouvait d'emblée mesurer sa perte de chance de ne pas contracter, faute d'avoir été mieux informée et conseillée sur le risque de défaillance de la société holding du groupe.
Elles considèrent au demeurant que retenir la date de l'entrée de cette société dans la procédure collective rendrait l'action des investisseurs imprescriptible à l'égard de leurs conseillers en investissement financier dont le rôle est d'éviter à leur client de souscrire à un investissement et non d'éviter un risque.
Elles précisent au surplus que la faillite de la société MARANATHA est inopérante à reporter le point de départ du délai de prescription à leur égard dès lors que cet événement est sans incidence sur la responsabilité de la société CDL CONSEIL.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 26 janvier 2024, Mme [S] [M] demande au juge de la mise en état, au visa de l'article 2224 du code civil, de :
“-DEBOUTER MMA IARD, MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et CDL CONSEIL de leurs fins de non-recevoir visant à voir constater la prescription de l'action madame [S] [M] ;
En conséquence,
- JUGER recevable l'action de Madame [S] [M] ;
- RENVOYER les parties devant la 9ème chambre 1ère section du tribunal judiciaire de Paris concernant le fonds du dossier ;
En tout état de cause
- CONDAMNER solidairement MMA IARD, MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et CDL CONSEIL à verser à l'intimé la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER solidairement MMA IARD, MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et CDL CONSEIL aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP FLOQUET GARET NOACHOVITCH, représentée par Maitre Thierry FLOQUE”.
En réplique aux moyens adverses, Mme [S] [M] fait valoir, qu'avant le placement de la société MARANATHA en redressement judiciaire le 27 septembre 2017, son préjudice, en dépit des risques de tout placement, ne pouvait qu'être hypothétique. Elle précise que son droit d'agir suppose un élément rendant nécessaire l'action et que cet élément procède, ici, de la révélation de la déconfiture de la société holding, permettant qu'elle prenne conscience des manquements de son interlocuteur qui est un conseiller en investissement financier. Elle conclut au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action soulevée par les demanderesses à l'incident.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l'exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.
L'incident a été examiné à l'audience du 13 mai 2024.
EXPOSE DES MOTIFS
Sur la prescription
Aux termes de l'article 2224 du code civil, " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. "
La prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il a été révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
En l'occurrence, le préjudice de Mme [S] [M] s'analyse en réalité en une perte de chance, qui n'est cependant pas celle de ne pas contracter, mais qui est, vu le manquement allégué à l'obligation précontractuelle d'information ou de conseil du conseil en investissement financier, une perte de chance d'éviter le risque qui s'est réalisé.
Or, ce dommage se manifeste dès la réalisation du risque, à moins que l'investisseur ne démontre qu'il pouvait à cette date légitimement l'ignorer.
Le risque s'est réalisé au moment de la déconfiture de la société MARANATHA qui s'était engagée à lever l'option d'achat des parts de chacune des sociétés hôtelières querellées dès lors qu'elle ne pouvait plus y pourvoir.
Le point de départ de la prescription ne saurait donc courir avant cette date, soit au plus tôt avant le 27 septembre 2017, comme l'observe Mme [S] [M], même si la demanderesse n'a pu déterminer l'étendue de son dommage que postérieurement à cette date, à savoir lors de la présentation de reprise des activités de chaque groupe hôtelier et de l'acceptation d'une option de sortie le concernant.
Les moyens développés par les défenderesses à l'instance quant à l'existence d'aléas inhérents aux investissements financiers et de la conscience, réelle ou supposée, d'une prise de risque sur la variation des cours des actions par Mme [S] [M] ayant fait le choix desdits placements financiers, relèvent d'un examen au fond des responsabilités encourues par le tribunal mais ne caractérisent pas la réalisation d'un dommage.
Dès lors qu'elle a fait assigner ses contradicteurs par exploits des 23 et 30 septembre 2022, dans les cinq ans ayant suivi l'ouverture de la procédure collective à l'égard de la société MARANATHA, sa demande doit être déclarée recevable, sous cet aspect et la fin de non-recevoir sera rejetée.
Ainsi, il y a lieu de renvoyer l'affaire à la mise en état électronique du 2 décembre 2024 à 9h30 pour conclusions au fond de la société CDL CONSEIL et des sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES.
L'équité commande de condamner in solidum les défenderesses à payer à Mme [S] [M] la somme de 1.300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Parties perdantes, la société CDL CONSEIL et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES seront condamnées in solidum aux dépens de l'incident.
PAR CES MOTIFS
Nous, le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, susceptible de recours dans les conditions énoncées par l'article 795 du code de procédure civile et mise à disposition au greffe :
REJETONS la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société CDL CONSEIL et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES ;
RENVOYONS l'affaire à la mise en état électronique du 2 décembre 2024 à 9h30 pour conclusions au fond de la société CDL CONSEIL et des sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES ;
CONDAMNONS in solidum la société CDL CONSEIL et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à payer à Mme [S] [M] la somme de 1.300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS in solidum la société CDL CONSEIL et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES aux dépens de l'incident.
Faite et rendue à Paris le 02 Septembre 2024.
LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ÉTAT