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03/09/2024 | FRANCE | N°19/01481

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 1ère section, 03 septembre 2024, 19/01481


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]



Expéditions
exécutoires
délivrées le :



9ème chambre 1ère section

N° RG 19/01481

N° Portalis 352J-W-B7D-CO4ZX

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
03 Décembre 2018





JUGEMENT
rendu le 03 septembre 2024
DEMANDEURS

Madame [ZG] [IG] épouse [L]
[Adresse 8]
[Localité 27]

Monsieur [D] [L]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 27]

Madame [C] [U] épouse [N]
[Adresse 16]
[Localité 35]<

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Monsieur [S] [N]
[Adresse 16]
[Localité 35]

Madame [ZJ] [DL] épouse [I]
[Adresse 14]
[Localité 31]

Monsieur [CB] [I]
[Adresse 14]
[Localité 31]

Madame [R] [A] divorcée [ZW]
[Adresse 6]
[Localité 19]...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]

Expéditions
exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 1ère section

N° RG 19/01481

N° Portalis 352J-W-B7D-CO4ZX

N° MINUTE :

Contradictoire

Assignation du :
03 Décembre 2018

JUGEMENT
rendu le 03 septembre 2024
DEMANDEURS

Madame [ZG] [IG] épouse [L]
[Adresse 8]
[Localité 27]

Monsieur [D] [L]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 27]

Madame [C] [U] épouse [N]
[Adresse 16]
[Localité 35]

Monsieur [S] [N]
[Adresse 16]
[Localité 35]

Madame [ZJ] [DL] épouse [I]
[Adresse 14]
[Localité 31]

Monsieur [CB] [I]
[Adresse 14]
[Localité 31]

Madame [R] [A] divorcée [ZW]
[Adresse 6]
[Localité 19]

Madame [Y] [E]
[Adresse 10]
[Localité 25]

Monsieur [TE] [WA]
[Adresse 38]
[Localité 1]

Madame [BU] [WA]
[Adresse 38]
[Localité 1]

Madame [P] [EW]
[Adresse 3]
[Localité 37]

Madame [O] [MR]
[Adresse 29]
[Localité 32]

Monsieur [YG] [T]
[Adresse 11]
[Localité 34]

Monsieur [OI] [WP]
[Adresse 18]
[Localité 36]

Madame [C] [XD]
[Adresse 15]
[Localité 24]

Madame [ZJ] [XD]
[Adresse 28]
[Localité 22]

Madame [W] [XD]
[Adresse 11]
[Localité 34]

Monsieur [VK] [LN]
[Adresse 30]
[Localité 26]

Madame [SO] [X] épouse [JV]
[Adresse 13]
[Localité 33]

Monsieur [KK] [JV]
[Adresse 13]
[Localité 33]

Madame [J] [SB]
[Adresse 17]
[Localité 24]

représentés par Maître Nicolas LECOQ VALLON de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #L0187

INTERVENANTS

Madame [JJ] [TU], intervenant volontaire
[Adresse 5]
[Localité 20]

Décision du 03 Septembre 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 19/01481 - N° Portalis 352J-W-B7D-CO4ZX

Madame [V] [Z] divorcée [B], intervenant volontaire
[Adresse 4]
[Localité 23]

Madame [RB] [SE], intervenant volontaire
[Adresse 9]
[Localité 21]

représentés par Maître Nicolas LECOQ VALLON de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #L0187

DÉFENDERESSE

Société THE HONG KONG AND SHANGAI BANKING CORPORATION LIMITED
[Adresse 2]
HONG KONG

représentée par Maître Rémi PASSEMARD de la SELARL ORMEN PASSEMARD & AUTRES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0555

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente,
Monsieur Patrick NAVARRI, Vice-président,
Madame Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente,

assistés de Madame Sandrine BREARD, Greffière.

DÉBATS

A l’audience du 28 mai 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Patrick NAVARRI, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

FAITS CONSTANTS
Durant les années 2012 et 2013, Madame [ZG] [IG] (épouse [L]), Monsieur [D] [L], Madame [C] [U] (épouse [N]), Monsieur [S] [N], Madame [ZJ] [DL] (épouse [I]), Monsieur [CB] [I], Madame [R] [A] (ex-épouse [ZW]), Madame [Y] [E], Monsieur [TE] [WA], Madame [BU] [WA], Madame [P] [EW], Madame [O] [MR], Monsieur [YG] [T], Monsieur [OI] [WP], Madame [C] [XD], Madame [ZJ] [XD], Madame [W] [XD], Monsieur [VK] [LN], Madame [SO] [X] épouse [JV], Monsieur [KK] [JV], Madame [J] [SB], Madame [TU] [JJ], Madame [Z] divorcée [B] [V] et Madame [SE] [RB] ont acquis des villas à but locatif dans le complexe [Adresse 12], commercialisé par la société de droit indonésien PT Vivalavi Bali Estate et qui devaient être construites en Indonésie. Cette société fait partie du groupe Vivalavi qui est dirigée notamment par les frères [M] et [H] [NF].

En février 2008, Vivalavi Holding Group a ouvert un compte bancaire auprès de The Hongkong and Shanghai Banking Corporation Limited (ci-après « HSBC Hong Kong ») dont le siège social est situé à Hong Kong. Le compte bancaire de Vivalavi Holding Group a été clôturé au mois d’avril 2014.

Par jugement du 26 février 2021, le tribunal correctionnel de Paris a condamné les frères [NF], qui sont les dirigeants du groupe Vivalavi, pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, abus de confiance. En outre, pour [M] [NF] le Tribunal a également retenu les deux infractions supplémentaires d’abus de biens sociaux et d’exercice illégal de l’activité de conseil en investissement financier. La Caisse d’Epargne d’Ile de France, poursuivie pour avoir apporté son concours à des opérations de blanchiment du produit direct ou indirect de crimes ou de délits, a été relaxée par le Tribunal.

Sur appel, par arrêt du 16 décembre 2021, la Cour d’appel de Paris a condamné Monsieur [M] [NF] du chef d’exercice illégal de l’activité de conseil en investissements financiers, relaxé Monsieur [H] [NF] du chef de blanchiment, déclaré coupable la Caisse d’Epargne Ile de France du chef de blanchiment aggravé pour la période comprise entre juillet 2012 et juillet 2014 et confirmé le jugement déféré sur la culpabilité au titre de tous les autres chefs de prévention.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Faisant valoir qu’ils avaient perdu la totalité des sommes investies alors qu’aucune villa n’avait été construite, par actes d’huissier en date du 3 décembre 2018, Madame [ZG] [IG] (épouse [L]), Monsieur [D] [L], Madame [C] [U] (épouse [N]), Monsieur [S] [N], Madame [ZJ] [DL] (épouse [I]), Monsieur [CB] [I], Madame [R] [A] (ex-épouse [ZW]), Madame [Y] [E], Monsieur [TE] [WA], Madame [BU] [WA], Madame [P] [EW], Madame [O] [MR], Monsieur [YG] [T], Monsieur [OI] [WP], Madame [C] [XD], Madame [ZJ] [XD], Madame [W] [XD], Monsieur [VK] [LN] Madame [SO] [X] épouse [JV], Monsieur [KK] [JV], et Mme [J] [SB] ont assigné la société THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED dite HSBC HONG KONG, devant le tribunal de céans pour obtenir la réparation de leur préjudice.
 
Par assignation en intervention volontaire en date du 27 mars 2019, Madame [TU] [JJ], Madame [Z] divorcée [B] [V] et Madame [SE] [RB] sont intervenues dans la procédure.

Par dernières conclusions notifiées le 18 décembre 2023 par Madame [ZG] [IG] (épouse [L]), Monsieur [D] [L], Madame [C] [U] (épouse [N]), Monsieur [S] [N], Madame [ZJ] [DL] (épouse [I]), Monsieur [CB] [I], Madame [R] [A] (ex-épouse [ZW]), Madame [Y] [E], Monsieur [TE] [WA], Madame [BU] [WA], Madame [P] [EW], Madame [O] [MR], Monsieur [YG] [T], Monsieur [OI] [WP], Madame [C] [XD], Madame [ZJ] [XD], Madame [W] [XD], Monsieur [VK] [LN], Madame [SO] [X] épouse [JV], Monsieur [KK] [JV], Madame [J] [SB], Madame [TU] [JJ], Madame [Z] divorcée [B] [V] et Madame [SE] [RB] demandent de :
Vu l’article 1240 du Code Civil,
Vu les articles L.211-1, L.321-1, L.531-1 et suivants, L.541-6 et suivants et L.561-1 et suivants du Code Monétaire et financier,
Vu l’article R.312-2 du Code Monétaire et financier,
Vu l’article D.321-1 du Code Monétaire et financier,
Vu l’Anti money Laundering Ordinance,
Vu l’Organized and Serious Crimes Ordinance,
Vu les recommandations du GAFI,
Vu la jurisprudence précitée,
➢ JUGER que la loi française est applicable au présent litige,
➢ JUGER que la banque HSBC HONG KONG a manqué à son obligation de vigilance et de surveillance du fonctionnement des comptes de la société VIVALAVI HOLDING GROUP,
➢ JUGER que le préjudice subi par les requérants trouve directement sa cause dans les fautes commises par la HSBC HONG KONG,
➢ REJETER toutes demandes, fins et conclusions contraires de la HSBC HONG KONG.
En conséquence,
➢ CONDAMNER la HSBC HONG KONG à verser aux requérants les sommes en capital telles que figurant ci-dessous :
[L] [ZG] 35.000 euros
[L] [D] 10.000 euros
[L] [D] et [ZG] 10.000 euros
[I] [CB] 200.000 euros
[I] [ZJ] 300.000 euros
[A] [R] 220.400 euros
[N] [C] 48.000 euros
[N] [S] 10.000 euros
[E] [Y] 100.000 euros
[WA] [TE] 76.544,37 euros
[WA] [BU] 76.057,14 euros
[EW] [P] 50.000 euros81
[MR] [O] 31.300,73 euros
[WP] [OI] 50.000 euros
[XD] [C] 15.000 euros
[XD] [ZJ] 166.400 euros
[XD] [W] 49.650 euros
[T] [YG] 40.600 euros
[LN] [VK] 100.000 euros
[JV] [SO] et Marc150.000 euros
[PL] [K] 200.000 euros
[SB] [J] 120.000 euros
[Z] [V] 105.906 euros
[TU] [JJ] 27.500 euros
[SE] [RB] 45.035,65 euros
➢ CONDAMNER la société HSBC HONG KONG à payer aux requérants les intérêts au taux d’intérêt conventionnel, propres à chaque contrat, ce jusqu’au remboursement de leur perte en capital.
➢ DIRE ET JUGER subsidiairement, que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la date des débits apparus sur les comptes, et ce jusqu’au remboursement de leur perte en capital.
➢ CONDAMNER la société HSBC HONG KONG à payer la somme de 50.000 euros à chaque requérant, en réparation du préjudice moral subi,
A titre subsidiaire,
➢ JUGER que la banque HSBC HONG KONG a manqué à son obligation de vigilance et de surveillance du fonctionnement des comptes de la société VIVALAVI HOLDING GROUP en vertu du droit de Hong Kong,
➢ JUGER que le préjudice subi par les requérants trouve directement sa cause dans les fautes commises par la HSBC HONG KONG,
➢ CONDAMNER la HSBC HONG KONG à verser aux requérants les sommes en capital telles que figurant dans le tableau ci-dessous :
[L] [ZG] 35.000 euros
[L] [D] 10.000 euros
[L] [D] et [ZG] 10.000 euros
[I] [CB] 200.000 euros
[I] [ZJ] 300.000 euros
[A] [R] 220.400 euros
[N] [C] 48.000 euros
[N] [S] 10.000 euros
[E] [Y] 100.000 euros
[WA] [TE] 76.544,37 euros
[WA] [BU] 76.057,14 euros
[EW] [P] 50.000 euros
[MR] [O] 31.300,73 euros
[WP] [OI] 50.000 euros
[XD] [C] 15.000 euros
[XD] [ZJ] 166.400 euros
[XD] [W] 49.650 euros
[T] [YG] 40.600 euros
[LN] [VK] 100.000 euros
[JV] [SO] et Marc150.000 euros
[PL] [K] 200.000 euros
[SB] [J] 120.000 euros
[Z] [V] 105.906 euros
[TU] [JJ] 27.500 euros
[SE] [RB] 45.035,65 euros
En tout état de cause,
➢ CONDAMNER la société HSBC HONG KONG à payer à chacun des requérants la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
➢ CONDAMNER la société HSBC HONG KONG aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP LECOQ-VALLON & FERON-POLONI.
➢ ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

A l’appui de leurs demandes ils font valoir :
- que c’est la loi française qui doit s’appliquer dès lors que la banque a prêté son concours à une opération d’investissement qui se déroulait en France, qui concernait des parties françaises, et que les fonds collectés par le groupe Vivalavi émanaient de clients français ; quand bien même les fonds ont été placés à la banque HSBC de Hong Kong, les liens avec la France sont manifestes ; que les sommes provenaient de fonds transférés depuis des comptes bancaires français ; que les contrats litigieux ont été signés en France et les prix d’achat des villas sont en euros ; que selon le principe de proximité c’est la loi française qui s’applique ; que la loi applicable en vertu des règles de conflit de lois issues du Règlement Rome II est la loi française ;
- que la banque a engagé sa responsabilité pour défaut de vigilance sur le fondement de l’article 1240 du Code civil ; qu’il existe un faisceau d’indices permettant de présumer que la banque connaissait l’origine frauduleuse des fonds ; que ce devoir de vigilance est d’origine prétorienne et a été défini par le Code monétaire et financier pour renforcer la législation anti-blanchiment ;
- que lorsque une banque a causé un préjudice, elle doit répondre de ses fautes sur le fondement de l’article 1241 du Code civil ;
- que la banque doit effectuer des vérifications lors de l’ouverture du compte bancaire ainsi que son bon fonctionnement alors qu’aucun contrôle n’a été effectué ; qu’elle doit se renseigner sur l’origine des fonds ; que les flux bancaires sur le compte litigieux étaient importants ;
- que l’article L561-6 et suivants du Code Monétaire et financier, impose une obligation de vigilance ;
- que la société Vivalavi agissait en tant que conseiller en investissement financier qui est soumis à des obligations définies par le Code monétaire et financier ; que ces obligations n’ont pas été contrôlées par la banque HSBC Hong Kong ;
- que la banque a été négligente ;
- que quand bien même on applique le droit hong kongais ce dernier est similaire au droit français ; qu’en tout état de cause il existe un principe général de responsabilité dans lequel une banque doit répondre de sa faute et qu’en l’espèce la banque a commis de nombreuses fautes notamment un manquement à son devoir de vigilance ;
- que la « Anti Money Laundering Ordinance (AMLO) » ou « Ordonnance de lutte contre le blanchiment des capitaux », qui s’applique en droit hong_kongais impose de nombreuses vérifications notamment sur l’origine des fonds et le fonctionnement du compte bancaire.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 janvier 2024, la société THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED, demande de :
- DEBOUTER les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l’encontre de HSBC Hong Kong, en ce compris de leur demande d’exécution provisoire du jugement à intervenir, qui n’est pas justifiée ;
- CONDAMNER in solidum les demandeurs au paiement à HSBC Hong Kong d’une somme de 80.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER les demandeurs aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Rémi Passemard de la SELARL Ormen Passemard.

A l’appui de ses demandes elle fait valoir :
- que la loi applicable en matière de responsabilité civile extracontractuelle est celle du lieu de la survenance du dommage qui est situé à Hong Kong ;
- qu’en droit hong kongais, la réglementation bancaire en matière de lutte contre le blanchiment et le
financement du terrorisme ne permet pas à des tiers d’agir en responsabilité à l’encontre de la HSBC Hong Kong ;
- que la responsabilité délictuelle de HSBC Hong Kong ne peut pas être engagée, sur le fondement du droit hongkongais, en l’absence de circonstances particulières ;
- qu’aucun défaut de vigilance n’a été établie à son encontre ; qu’elle a bien effectué des vérifications lors de l’ouverture du compte bancaire ; que compte tenu des informations dont elle disposait, le fonctionnement du compte n’a révélé aucune anomalie ;
- que ce sont les dirigeants du groupe Vivalavi qui ont commis des infractions pénales et que sa complaisance n’a jamais été démontrée ;
- que le préjudice allégué par les investisseurs n’est pas établi.

La clôture de la présente instruction a été prononcée le 21 mai 2024.

MOTIVATION

Sur la loi applicable

L’article 4 alinéa 1er du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) dispose que : « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ». Le paragraphe 3 ajoute qu’il existe une clause dérogatoire en cas de liens manifestement plus étroits.

En l’espèce, le lieu où le dommage est survenu est celui où l’appropriation indue s’est produite, que ce soit par retraits, par prélèvements ou par virements, c’est-à-dire à Hong Kong, lieu où étaient matériellement tenus les livres de la société HSBC Hong Kong. Cette banque est d’ailleurs soumise aux dispositions de la loi hong-kongaise et le compte bancaire est au nom de la société Vivalavi Holding Group Limited qui est immatriculée à Hong Kong. Les fonds ont été volontairement virés sur ce compte et ont ensuite été indument appropriés à Hong Kong. Il est indifférent que ce soit en France que les virements ont été émis depuis les différents comptes bancaires qu'ils détenaient en France.

Quand bien même les frères [NF] ont commis des agissements frauduleux en France, que les victimes soient de nationalité française et que des contrats portant sur l’acquisition des villas ont été signés en France avec le groupe Vivalavi ces éléments ne constituent pas des liens manifestement plus étroits permettant d’appliquer la loi française.

Dès lors c’est bien la loi hong kongaise qui doit s’appliquer à ce litige.

Sur le fond

Dès lors que la loi hong kongaise s’applique, les moyens tirés de la violation de la loi française et notamment des différentes dispositions du Code monétaire et financier et du Code civil français doivent être écartés.

Selon une jurisprudence constante relative à la charge de la preuve de la loi étrangère devant les juridictions françaises, il incombe au juge français lorsqu’un droit étranger est applicable, d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur de cette loi, avec le concours des parties, et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution
conforme au droit positif étranger.

Les demandeurs se prévalent des termes de « l’Anti Money Laundering Ordinance » ou « Ordonnance de lutte contre le blanchiment des capitaux » (ci-après « AMLO »), applicable à Hong Kong, pour faire valoir que la banque a manqué à ses obligations.

Or, il ressort d’une déclaration du 19 janvier 2021, provenant de M. [F] [MC] [G] du cabinet d’avocats international de Hong Kong, Allen et Overy, qui est versée aux débats, et qui mentionne de nombreuses décisions de justice rendues sur le territoire de Hong Kong, que quand bien même à supposer que la HSBC Hong Kong ait contrevenu à l’une quelconque des dispositions de l’AMLO cela n’offre pas la possibilité à des tiers d’agir en responsabilité à l’encontre de la banque sur ce fondement. Les seules sanctions prévues en cas de manquement allégué à l’AMLO sont soit de nature disciplinaire (article 21 de l’AMLO), soit de nature pénale ( article 5 de l’AMLO). Mais, l’AMLO ne contient aucune disposition permettant à une personne privée d’agir en justice en cas de manquement.

Il en est de même des recommandations de l’autorité monétaire de Hong Kong, la Hong Kong Monetary Authority, qui ne sont que de simples recommandations et la publication de ces recommandations ne sert qu’à fournir des orientations à l’attention notamment des autorités bancaires.

Ainsi les obligations d'une banque en vertu des lois et réglementations relatives à la lutte contre le blanchiment sont du ressort du gouvernement et des autorités de réglementation. Ces lois et règlements visent à protéger le public en général, plutôt qu'une catégorie spécifique de personnes ou une personne en particulier. Elles ne donnent lieu à aucune action de droit privé pour violation d'une obligation légale. Les codes réglementaires ne s'insèrent pas non plus, d'une manière ou d'une autre, dans un contrat entre la banque et son client.

En outre, dans le formulaire d’ouverture de compte qu’elle a rempli et a remis à la HSBC Hong Kong, Vivalavi Holding Group a décrit son activité comme une activité de «Holding d’investissements», la nature des services rendus étant elle-même détaillée comme suit : «Détention de propriétés – résidentielles (investissement en nom propre)», qu’elle déclarait exercer en Indonésie. Lors de son entrée en relation avec la société HSBC Hong Kong, la société Vivalavi Holding Group Limited n’a pas indiqué à cette dernière qu’elle exercerait ou qu’elle aurait eu l’intention d’exercer une activité de prestataire de services d’investissement. Ainsi il ne ressortait pas de ces déclarations l’existence d’une activité dans le conseil financier ni d’aucun élément permettant de justifier une surveillance particulière du compte alors qu’il est constant que la banque n’a pas de devoir d’immixtion dans les affaires de ses clients.

De plus, aucune obligation n’impose expressément aux banques de vérifier que leurs clients candidats à l’ouverture d’un compte bancaire, qui précisent exercer une activité de prestataire en services d’investissement ou une activité réglementée soumise à agrément préalable, disposent bien d’un agrément en ce sens.

Si les demandeurs invoquent divers manquements de la société HSBC en regard de la réglementation hong kongaise qui aurait dû la conduire à exercer son devoir de vigilance, ils ne sauraient se fonder sur les recommandations du Groupe d'action financier sur le blanchiment des capitaux (ou GAFI). Cet organisme intergouvernemental n'a, en effet, pour objectif que de promouvoir une stratégie globale de lutte contre de tels agissements, au demeurant étrangers au présent litige, et, surtout, il ne fait qu'inviter les pays, à travers de nombreuses recommandations liées notamment au financement du terrorisme, à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le blanchiment de capitaux. Celles-ci ne peuvent être regardées comme ayant une force normative et leur efficacité est conditionnée à leur transposition dans l'ordre juridique interne.

De surcroît les demandeurs ne peuvent pas se prévaloir de l’existence de manœuvres frauduleuses commises par les dirigeants de Vivalavi Holding Group et qui ont donné lieu à des condamnations pénales pour soutenir que la banque THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED était informée de ces manœuvres en l’absence d’élément établissant la responsabilité pénale ou civile de la banque.

Dès lors, les demandeurs n’établissent pas l’existence d’une faute commise par la banque THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED.

Par conséquent, il y a lieu de débouter les demandeurs de leur demande de condamnation de la banque THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED à leur rembourser les pertes en capital qu’ils ont subies.

Parties perdantes, les demandeurs seront condamnés in solidum aux dépens, dont distraction au profit de Maître Rémi Passemard de la SELARL Ormen Passemard et à verser in solidum une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à la banque THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED.

L’action des demandeurs étant rejetée, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal par jugement rendu publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

DÉBOUTE Madame [ZG] [IG] (épouse [L]), Monsieur [D] [L], Madame [C] [U] (épouse [N]), Monsieur [S] [N], Madame [ZJ] [DL] (épouse [I]), Monsieur [CB] [I], Madame [R] [A] (ex-épouse [ZW]), Madame [Y] [E], Monsieur [TE] [WA], Madame [BU] [WA], Madame [P] [EW], Madame [O] [MR], Monsieur [YG] [T], Monsieur [OI] [WP], Madame [C] [XD], Madame [ZJ] [XD], Madame [W] [XD], Monsieur [VK] [LN], Madame [SO] [X] épouse [JV], Monsieur [KK] [JV], Madame [J] [SB], Madame [TU] [JJ], Madame [Z] divorcée [B] [V] et Madame [SE] [RB] de toutes leurs demandes ;

CONDAMNE in solidum Madame [ZG] [IG] (épouse [L]), Monsieur [D] [L], Madame [C] [U] (épouse [N]), Monsieur [S] [N], Madame [ZJ] [DL] (épouse [I]), Monsieur [CB] [I], Madame [R] [A] (ex-épouse [ZW]), Madame [Y] [E], Monsieur [TE] [WA], Madame [BU] [WA], Madame [P] [EW], Madame [O] [MR], Monsieur [YG] [T], Monsieur [OI] [WP], Madame [C] [XD], Madame [ZJ] [XD], Madame [W] [XD], Monsieur [VK] [LN], Madame [SO] [X] épouse [JV], Monsieur [KK] [JV], Madame [J] [SB], Madame [TU] [JJ], Madame [Z] divorcée [B] [V] et Madame [SE] [RB] à verser une somme de 2.500 euros à la société THE HONGKONG AND SHANGHAI BANKING CORPORATION LIMITED sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum Madame [ZG] [IG] (épouse [L]), Monsieur [D] [L], Madame [C] [U] (épouse [N]), Monsieur [S] [N], Madame [ZJ] [DL] (épouse [I]), Monsieur [CB] [I], Madame [R] [A] (ex-épouse [ZW]), Madame [Y] [E], Monsieur [TE] [WA], Madame [BU] [WA], Madame [P] [EW], Madame [O] [MR], Monsieur [YG] [T], Monsieur [OI] [WP], Madame [C] [XD], Madame [ZJ] [XD], Madame [W] [XD], Monsieur [VK] [LN], Madame [SO] [X] épouse [JV], Monsieur [KK] [JV], Madame [J] [SB], Madame [TU] [JJ], Madame [Z] divorcée [B] [V] et Madame [SE] [RB] aux dépens dont distraction au profit de Maître Rémi Passemard de la SELARL Ormen Passemard ;

DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

Fait et jugé à Paris le 03 septembre 2024.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 19/01481
Date de la décision : 03/09/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-09-03;19.01481 ?
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