TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
6ème chambre 1ère section
N° RG 19/13605 -
N° Portalis 352J-W-B7D-CRFRY
N° MINUTE :
Assignation du :
18 novembre 2019
JUGEMENT
rendu le 03 septembre 2024
DEMANDERESSES
S.E.L.A.R.L. KINEAU
[Adresse 6]
[Localité 9]
S.C.I. FAGREV
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentées par Maître Aurore LAFAYE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0513
DÉFENDEURS
Monsieur [M] [X]
[Adresse 2]
[Localité 1]
non représenté
Décision du 03 septembre 2024
6ème chambre 1ère section
N° RG 19/13605 -
N° Portalis 352J-W-B7D-CRFRY
S.A.S.U. AB ARCHITECTS STUDIO
[Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Maître Ferouze MEGHERBI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0474
LA MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS(MAF) en qualité d’assureur de la société AB ARCHITECTS STUDIO
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Maître Marc FLINIAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0146
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Céline MECHIN, vice-président
Marie PAPART, vice-président
Clément DELSOL, juge
assisté de Catherine DEHIER, greffier,
DÉBATS
A l’audience du 15 mai 2024 tenue en audience publique devant Marie PAPART, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Réputé contradictoire
en premier ressort
Décision publique
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Céline MECHIN, président et par Catherine DEHIER greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******************
EXPOSE DU LITIGE :
La SELARL KINEAU a acquis avec le concours de la SCI FAGREV un bien immobilier situé [Adresse 6] à [Localité 9].
La SELARL KINEAU a souhaité confier la réalisation d’une mission d’architecte à la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] dans le cadre d’un projet portant extension dudit bien et création d’un centre de kinésithérapie – balnéothérapie.
La société AB ARCHITECTS STUDIO assurée auprès de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS (la MAF) s’est vu confier une mission complète de conception du projet.
Le projet a fait l’objet du dépôt successif de 3 dossiers de permis de construire.
M. [X] a fait l’objet d’une suspension administrative prononcée le 13 octobre 2015, lui interdisant d’exercer la profession d’architecte jusqu’au 13 janvier 2016.
Le 21 décembre 2015, un premier permis de construire n° PC 094 058 15 01 207 a été accordé.
Une troisième demande de permis de construire a été déposée le 19 octobre 2016 et acceptée le 16 janvier 2017.
Le maître d’ouvrage a envoyé un courrier de mise en demeure de son conseil daté du 11 septembre 2017 à l’architecte dont copie transmise à l’assureur de ce dernier aux fins de réparation du préjudice financier subi.
Les travaux ont démarré le 4 septembre 2017 et le centre de balnéothérapie et de kinésithérapie a ouvert ses portes en février 2018.
Par exploit d’huissier de justice en date des 18 et 21 novembre 2019, les sociétés KINEAU et FAGREV ont fait assigner la société AB ARCHITECTS STUDIO et son assureur la MAF devant la présente juridiction aux fins de condamnation solidaire à les indemniser des surcoûts de travaux ayant été réalisés, et de voir désigner un expert judiciaire à titre subsidiaire aux fins de chiffrer le montant de leur créance sur la société AB ARCHITECTS STUDIO.
Il s’agit de la présente instance.
Une ordonnance de clôture a été rendue le 30 novembre 2020 et révoquée le 1er février 2021.
Par acte de commissaire de justice délivré le 29 décembre 2022, la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV ont fait assigner en intervention forcée M. [X] afin d’engager sa responsabilité civile professionnelle au titre de plusieurs manquements qu’elles lui reprochent.
Cette instance a été enrôlée sous le n° RG 23/00053 et jointe à la présente instance par mentions aux dossiers le 11 janvier 2023.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 juin 2023, la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV sollicitent :
« Vu les dispositions des articles 144 et 232 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions du Code des Devoirs Professionnels des Architectes,
Vu les dispositions des articles 1217 et suivants du Code civil ;
Vu les dispositions des articles 1231-1 du Code civil ;
Il est demandé au Tribunal judiciaire de PARIS de bien vouloir :
❖ A TITRE PRINCIPAL :
- JUGER l’action initiée par la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV bien fondée ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] est assurée auprès de la MAF suivant n°59659/X/10 au jour de la réclamation formulée par la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV et que Monsieur [M] [X] était assuré en son nom propre et individuel au jour de l’ouverture du chantier aupres de la MAF suivant police n°159273/B ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] a manqué à son devoir de conseil du fait de la sous-évaluation manifeste de l’enveloppe financiere prévisionnelle des travaux et dans l’estimation initiale du coût prévisionnel des travaux ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] a manqué à son devoir de conseil en déposant plusieurs dossiers de permis de construire incomplets et illégaux ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] doit être tenue responsable de l’absence de diagnostic initial, et de l’incomplétude de l’avant-projet définitif remis à la SELARL KINEAU et à la SCI FAGREV ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] doit être tenue responsable de l’absence cumulée de dossier de conception générale, d’un dossier de consultation des entreprises et de l’absence de mise au point des marchés ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] s’est abstenue de produire l’avant-projet sommaire, qui n’a pas permis aux maîtres d’ouvrage de vérifier le coût prévisionnel des travaux par rapport à ses exigences financières ;
- JUGER que les manquements commis par la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] sont à l’origine du retard pris dans l’exécution de l’opération et des surcoûts de travaux engagés par la SELARL KINEAU ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO représentée par Monsieur [M] [X] a commis des manquements qui engagent sa responsabilité contractuelle ;
- JUGER que la société AB ARCHITECTS STUDIO et Monsieur [M] [X] engagent solidairement leur responsabilité contractuelle pour absence de déclaration du chantier litigieux auprès de l’assureur ;
En conséquence :
- CONDAMNER solidairement et à défaut, in solidum, la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X] et la MAF en sa qualité d’assureur de la société AB ARCHITECTS STUDIO et Monsieur [M] [X] à réparer le préjudice financier subi par la SELARL KINEAU chiffré à 436.242,94 €, lequel se décompose ainsi :
o 3.000 € au titre des honoraires de permis de construire ;
o 170.742,94 € au titre du dépassement du budget des travaux ;
o 262.500 € au titre du préjudice d’exploitation ;
- CONDAMNER solidairement et à défaut, in solidum, la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X] et la MAF en sa qualité d’assureur de la société AB ARCHITECTS STUDIO et Monsieur [M] [X] à réparer le préjudice financier subi par la SCI FAGREV chiffré à 8.573,93 €, lequel se décompose ainsi :
o 473,93 € TTC au titre de la cotisation assurance habitation non-occupant supporté par la SCI FAGREV ;
o 8.100 € correspondant au surcoût bancaire supporté par la SCI FAGREV.
- A titre subsidiaire, CONDAMNER solidairement et à défaut, in solidum, la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X] et la MAF en sa qualité d’assureur de la société AB ARCHITECTS STUDIO et Monsieur [M] [X] à réparer le préjudice financier subi par la SELARL KINEAU à hauteur de 75.160 € ;
❖ A TITRE SUBSIDIAIRE : PAR UN JUGEMENT AVANT DIRE DROIT :
- DESIGNER, aux frais avancés de la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X] et de son assureur, la MAF, tel expert, en particulier, un expert comptable, avec mission de :
o De prendre connaissance du dossier, d’entendre les parties, d’établir un historique des relations entre les parties ;
o Donner son avis sur les griefs allégués expressément dans l’assignation au regard des relations contractuelles liant les parties, notamment sur le coût réel de l’opération selon les modalités définies par la société AB ARCHITECTS STUDIO et Monsieur [M] [X] ;
o Donner son avis de technicien sur les surcoûts des travaux qui ont dû être réalisés pour mener l’opération à son terme, sur les retards et préjudices financiers invoqués par la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV du fait des erreurs fautives commises par Monsieur [M] [X], la société AB ARCHITECTS STUDIO ;
o Quantifier en conséquence la créance de la SELARL KINEAU et de la SCI FAGREV sur la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X]. à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnels des opérations ; l’actualiser ensuite dans le meilleur délai :
o en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite des opérations ;
o en les informant de de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent ;
o en fixant aux parties un délai pour procéder aux interventions forcées ;
o en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ;
- Fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les responsabilités encourues et donner son avis sur celles-ci ;
- Rapporter toutes autres constatations utiles à l’examen des prétentions des parties;
- Dire que l'Expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions du Code de Procédure Civile avec le dépôt d’un pré-rapport préalable aux dires récapitulatifs des parties et que, sauf conciliation des parties, il déposera son rapport au Greffe du Tribunal de Commerce de Paris (contrôle des expertises) dans les six mois de sa saisine, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du Juge du contrôle.
❖ EN TOUT ETAT DE CAUSE :
- REJETER les demandes, fins et prétentions de la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X] et de la MAF ;
- CONDAMNER solidairement et à défaut, in solidum, la société AB ARCHITECTS STUDIO, Monsieur [M] [X] et la MAF à verser la somme de 15.000 € au profit de la SELARL KINEAU et de la SCI FAGREV au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens ;
- PRONONCER l’exécution provisoire de la décision à intervenir. »
*
Par conclusions numérotées 2 notifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, la SASU AB ARCHITECTS STUDIO sollicite :
« Vu les articles 122 et 124 du code de procédure civile
Vu l’article 1231-1 du code civil
Vu l’article 9 du code de procédure civile
Vu l’article 1101 du code civil
Il est demandé au Tribunal de :
A titre principal
JUGER irrecevable la demande faute de saisine préalable et valable du conseil de l’ordre des architectes.
En conséquence,
DECLARER l’action des demanderesses irrecevable à l’égard de la Société AB ARCHITECTS STUDIO et les en débouter.
Subsidiairement
JUGER que la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV ne justifient pas avoir établi un budget de travaux contractuel opposable à l’architecte.
JUGER qu’elles ne justifient pas de la réalité du coût de réalisation des travaux.
JUGER en conséquence qu’elles ne justifient pas du principe et de l’étendue du dépassement allégué.
JUGER qu’elles ne justifient pas que le dépassement allégué soit la conséquence directe et causale d’une faute de l’architecte.
JUGER que le contrat d’architecte ne fixe aucune date d’achèvement des travaux ni a fortiori aucune date de livraison.
JUGER que l’architecte n’est aucunement responsable des délais d’exécution des travaux par les entreprises.
JUGER qu’aucune pièce ni aucun planning d’exécution signé de l’architecte et engageant ce dernier n’est versé aux débats.
JUGER que l’architecte n’est pas lié par les engagements de livraison pris par la SELARL KINEAU.
JUGER que la faute de la Société AB ARCHITECTES STUDIO en lien direct et causal avec les préjudices allégués n’est pas démontrée ni caractérisée.
LES DEBOUTER de leurs demandes.
Plus subsidiairement
JUGER que le préjudice allégué n’est pas justifié.
LE REJETER.
Sur la demande à titre subsidiaire d’expertise avant dire droit
JUGER que la Société AB ARCHITECTS STUDIO formule des protestations et réserves.
CONDAMNER in solidum la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV à payer à la Société AB ARCHITECTS STUDIO la somme de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens. »
*
Par conclusions récapitulatives numérotées 4 notifiées par voie électronique le 23 octobre 2023, la MAF sollicite :
« - JUGER la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV mal fondées ;
Vu la prise d’effet de la police souscrite entre la Société AB ARCHITECTS STUDIO et la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS à compter du 19 janvier 2018 ;
Vu la date du démarrage des travaux ainsi que de la première réclamation, toutes deux antérieures à la prise d’effet de la police MAF ;
- DEBOUTER la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV de toutes leurs demandes dirigées à l’encontre de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS prise en sa qualité d’assureur de la Société AB ARCHITECTS STUDIO et PRONONCER sa mise hors de cause ;
- DEBOUTER la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV de leur demande de condamnation de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS en sa qualité d’assureur de Monsieur [X] ;
Subsidiairement,
- JUGER que la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS est fondée à opposer une non garantie à la Société AB ARCHITECTS STUDIO et à Monsieur [X] en l’absence de déclaration du risque ;
A défaut,
- JUGER que toute indemnité mise à la charge de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS que ce soit en qualité d’assureur de la Société AB ARCHITECTS STUDIO ou de Monsieur [X] sera réduite à 100% et donc à néant en application de l’article L113-9 du code des assurances en l’absence de déclaration du risque ;
- CONDAMNER solidairement la SELARL KINEAU et la SCI FAGREV à 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC,
- LES CONDAMNER aux entiers dépens que Me Marc FLINIAUX pourra recouvrer directement conformément à l’article 699 du CPC. »
*
M. [X] n'a pas constitué avocat et est donc défaillant.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 mars 2024, l'audience de plaidoirie fixée au 15 mai 2024, et l'affaire mise en délibéré au 03 septembre 2024, date du présent jugement.
MOTIVATION :
Préalables :
A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 30 du code de procédure civile dès lors qu'elles ne confèrent pas de droit spécifique à la partie qui en fait la demande. Elles ne feront alors pas l'objet d'une mention au dispositif.
I – Sur la défaillance de M. [X] :
Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile : « Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. »
En l'espèce, M. [X] étant défaillant, il convient de vérifier la régularité et le bien fondé des demandes formées à son encontre.
M. [X] a été assigné par voie de signification à étude après établissement d'un procès-verbal aux termes duquel son nom est bien inscrit sur la boîte aux lettres, sur l'interphone, mais personne n'a pu recevoir l'acte ; il a donc été régulièrement cité.
Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile que : « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations texte et de la jurisprudence que si une partie ne comparaît pas, les conclusions qui contiennent de nouveaux éléments au regard de l'assignation doivent lui être signifiées. »
Il résulte de ce texte et de la jurisprudence que si une partie ne comparaît pas, les conclusions qui contiennent de nouveaux éléments au regard de l'assignation doivent lui être signifiées.
En l'espèce, les dernières conclusions notifiées par les sociétés demanderesses contiennent de nouvelles demandes et n’ont pas été signifiées à M. [X].
Il convient dès lors d'examiner le bien-fondé des demandes formées à l'encontre de M. [X] selon les termes de l’assignation qui lui a été délivrée :
« Vu les dispositions de l’article 1217 du Code civil,
Vu les dispositions des articles 331, 367 du Code de procédure civile,
Vu les pièces,
Vu la jurisprudence,
Il est respectueusement demandé au Tribunal judiciaire de PARIS de bien vouloir :
JUGER que Monsieur [M] [X] est susceptible d’engager sa responsabilité civile professionnelle dans le cadre du litige qui l’oppose à la SELAR KINEAU et la SCI FAGREV ;
ORDONNER la jonction de la présente instance avec l’instance prinicpale distribuée devant le 6ème chambre, 1ère section, du Tribunal judiciaire de PARIS, sous le n°19/13605 ;
-RESERVER les dépens. »
II - Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société AB ARCHITECTS STUDIO tirée de la non-saisine préalable du conseil de l’ordre des architectes :
Aux termes de l'article 1103 du code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
Aux termes de l’article 124 du même code : « Les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief et alors même que l'irrecevabilité ne résulterait d'aucune disposition expresse. »
En l’espèce, la société AB ARCHITECTS STUDIO relève en page 9 de ses dernières conclusions que les sociétés demanderesses ne sont pas signataires du contrat de maîtrise d’œuvre.
Il ressort en effet des CCP du contrat d’architecte versé aux débats, signé mais non daté, que ce contrat a été conclu entre la société AB ARCHITECTS STUDIO et Mme [S] [T], contractant en son nom personnel, et non avec les sociétés KINEAU et FAGREV.
A ce titre, la société AB ARCHITECTS STUDIO ne saurait leur opposer valablement les clauses issues du CCG du contrat d’architecte alors qu’elles ne sont pas parties prenantes au contrat.
Dès lors, il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société AB ARCHITECTS STUDIO du fait de la non-saisine préalable du conseil de l’ordre des architectes.
III – Sur les demandes d’indemnisation :
III.A – Sur le fondement des demandes :
III.A.1 – Sur la requalification du fondement des demandes :
Aux termes de l’article 12 alinéas 1 à 3 du code de procédure civile : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. »
Il résulte des dispositions précitées que le juge a la possibilité, et non l’obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique des demandes des parties.
En l’espèce, les sociétés demanderesses fondent leurs prétentions sur le principe de la responsabilité contractuelle, alors qu’il résulte de ce qui précède qu’elles ne sont pas parties prenantes au contrat de maîtrise d’œuvre conclu avec la société AB ARCHITECTS STUDIO.
Cependant, celle-ci relève en page 9 de ses dernières conclusions que les sociétés demanderesses, dans la mesure où elles ne sont pas parties prenantes au contrat, ne peuvent agir que sur le fondement délictuel à supposer qu’elles aient qualité à agir, mettant ainsi ce nouveau fondement juridique au débat.
Les prétentions des sociétés demanderesses seront donc examinées sur la base de ce fondement.
III.A.2 – Sur le fondement délictuel des demandes :
Aux termes de l'article 1240 du code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
En l’espèce, les sociétés demanderesses étant tiers au contrat de maîtrise d’œuvre conclu par la société AB ARCHITECTS STUDIO, il convient d’examiner si les manquements contractuels qu’elles invoquent sont caractérisés et susceptibles de leur avoir causé un dommage.
III.B - Sur les manquements contractuels invoqués à l’encontre de l’architecte :
Aux termes de l'article 1147 du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
L’architecte est tenu à un devoir de conseil et à une obligation de moyens.
III.B.1 – Sur le dépassement de l’enveloppe budgétaire :
Aux termes du contrat de maîtrise d’œuvre souscrit par la société AB ARCHITECTS STUDIO, celle-ci s’est vu confier une mission « diagnostic – esquisse – APS » comprenant entre autres l’avant-projet sommaire, ainsi qu’une mission « conception et travaux » comportant les études d’avant-projet définitif, l’établissement du dossier de permis de construire ou autres autorisations, les études de projet de conception générale ainsi que l’assistance pour la passation des marchés de travaux.
L’article P4 du CCP du contrat de maîtrise d’œuvre stipule qu’au jour de la signature du contrat, l’enveloppe financière s’élève à 230 000 euros HT soit 276 000 euros TTC, et que cette enveloppe sera ajustée au fur et à mesure de la mission de l’architecte, celui-ci s’assurant de l’adéquation entre cette enveloppe et le coût qu’il estime nécessaire à la réalisation de l’opération au stade des études d’avant-projet sommaire, et fournissant l’estimation définitive du coût des travaux lors des études d’avant-projet définitif.
Ni l’avant-projet sommaire (APS), ni l’avant-projet définitif (APD) n’ont été versés aux débats.
S’il ressort d’un courriel adressé par l’architecte au maître d’ouvrage le 09 juin 2015 que celui-ci a fourni une première évaluation approximative du budget prévisionnel au montant de 260 000 euros HT, cette précision n’a pas été reprise dans les seuls documents contractuels versés aux débats, aussi n’y a-t-il pas lieu de la retenir, étant précisé au surplus qu’en l’absence de datation du contrat de maîtrise d’œuvre, il ne peut être déterminé si ce courriel a été envoyé avant ou après la signature du contrat en question.
Par conséquent, il y a lieu de retenir le montant de 230 000 euros HT soit 276 000 euros TTC comme seul montant de l’enveloppe budgétaire contractuellement stipulé.
Aux termes de l’article G 3.2.1 alinéa 5 du CCG, l’architecte fournit l’estimation définitive du coût prévisionnel des travaux, dans la limite d’une variation de 15% en monnaie constante par rapport à l’estimation provisoire du coût prévisionnel des travaux approuvée par le maître d’ouvrage à l’issue de la phase 1. Cette limite ne vaut que si le programme défini au CCP ou en annexe est inchangé.
Or, il ressort d’un courriel adressé postérieurement par l’architecte au maître d’ouvrage le 22 décembre 2015 que celui-ci lui a transmis un seul devis d’entreprise, émanant de la société MICKAEL BAPTISTA CONSTRUCTIONS, d’un montant total de 397 389,83 euros HT correspondant aux prestations de démolition, assainissement/réseaux, gros-œuvre, charpente/couverture, plâtrerie-menuiserie intérieure, menuiseries extérieures, revêtement de sol/carrelage, plomberie/sanitaire, ventilation/électricité et peinture, représentant une augmentation de 167 389,83 euros soit 72,78% par rapport à l’enveloppe financière définie contractuellement pour l’intégralité du projet, et ce alors qu’il avait une mission d’assistance pour la passation des marchés de travaux.
Il sera d’ailleurs fait observer qu’il ne ressort d’aucun des courriels versés aux débats par la société AB ARCHITECTS STUDIO qu’il ait été demandé le 13 février 2016 à M. [X] de prendre l’attache de la société MICKAEL BAPTISTA CONSTRUCTIONS pour « travailler son devis vers l’enveloppe budgétaire » comme celle-ci l’allègue en page 11 de ses dernières conclusions.
De même, il sera également fait observer qu’aucun des éléments versés aux débats ne permet d’établir que le dossier de permis de construire accepté l’ait été sur la base du devis de la société MICKAEL BAPTISTA CONSTRUCTIONS comme l’allègue la société AB ARCHITECTS STUDIO.
Au surplus, il résulte des pièces versées aux débats que les sociétés demanderesses ont conclu un marché de travaux avec la société SAS DAM pour des prestations similaires à celles proposées par la société MICKAEL BAPTISTA CONSTRUCTIONS selon devis du 20 juin 2017 d’un montant total de 375 933,10 euros TTC (pièces n°4, 15 et des sociétés demanderesses).
En revanche, le montant total des travaux de 520 742,94 euros TTC avancé par les sociétés demanderesses au titre du dépassement des coûts ne saurait être retenu, ce montant résultant de la facturation des travaux établis à partir de devis passés directement par le maître d’ouvrage sans consultation de l’architecte, et sans qu’il ne soit démontré l’existence d’une quelconque procédure de résiliation du contrat de maîtrise d’œuvre à ce stade bien que l’architecte ait fait l’objet d’une mesure de suspension administrative le 13 octobre 2015 pour défaut de production d’attestation d’assurance.
En l’absence d’élément relatif à un changement du programme défini au CCP, en l’absence de versement de l’APS et de l’APD, en l’absence de signature du devis en question ou d’éléments versés aux débats attestant de l’approbation du maître d’ouvrage pour un tel montant, il y a bien lieu de considérer qu’en présentant le seul devis de la société MICKAEL BAPTISTA CONSTRUCTIONS d’un montant de 397 389,83 euros HT au maître d’ouvrage alors que l’enveloppe budgétaire avait été contractuellement fixée à un montant de 230 000 euros HT, l’architecte a dépassé la dite enveloppe et privé le maître de l’ouvrage de la possibilité de faire réaliser les travaux en adéquation avec le coût contractuellement prévu.
III.B.2 – Sur les manquements au titre de la mission « conception et travaux » :
Il sera rappelé qu’aux termes du contrat de maîtrise d’œuvre souscrit par la société AB ARCHITECTS STUDIO, celle-ci s’est vu confier au titre de la mission « conception et travaux » les études d’avant-projet définitif, l’établissement du dossier de permis de construire ou autres autorisations, les études de projet de conception générale ainsi que l’assistance pour la passation des marchés de travaux.
III.B.2.a – Sur l’absence de diagnostic initial :
Les sociétés demanderesses font valoir qu’aucun diagnostic de l’ouvrage n’a été réalisé (aucun plan de l’existant destiné à déterminer les études béton nécessaires, aucune photographie technique sur les éléments à remplacer ou à déposer afin de mettre en place la piscine prévue au sous-sol du pavillon, ni notice architecturale), et que cette omission a abouti à la découverte d’une couverture mal-entretenue nécessitant des travaux supplémentaires non chiffrés dans l’enveloppe financière initiale.
Cependant, dans la mesure où les sociétés demanderesses ne versent aucun élément attestant de cette découverte et de ce qu’elle est en lien direct avec l’absence de diagnostic de l’ouvrage, ce manquement contractuel ne saurait être retenu à l’encontre de l’architecte.
III.B.2.b – Sur l’absence d’APS :
Les sociétés demanderesses font valoir que l’architecte n’a produit aucun APS et n’a donc pas fait part d’une estimation provisoire du coût prévisionnel des travaux, privant ainsi le maître d’ouvrage de l’occasion de vérifier la conformité des travaux avec ses exigences financières.
Aux termes des dispositions de l’article 1353 du code civil, il incombe à celui qui se prétend libéré d’une obligation de justifier du paiement ; il incombe donc par conséquent à l’architecte de démontrer qu’il a bien constitué un APS. Il sera fait observer que celui-ci ne verse aucun élément aux débats permettant d’en établir l’existence.
Or, il est stipulé à l’article G 3.1.3 du CCG que l’architecte précise la solution d’ensemble choisie par le maître d’ouvrage qui traduit sous forme d’avant-projet sommaire (APS), les éléments majeurs du programme et permet de vérifier sous forme de ratio, l’adéquation de l’enveloppe financière avec ce programme.
L’absence d’APS, en ce qu’elle prive le maître d’ouvrage de la possibilité de vérifier l’adéquation de son projet avec les contraintes financières qu’il s’est fixées, constitue donc un manquement contractuel de l’architecte ayant causé un dommage.
III.B.2.c – Sur l’incomplétude de l’APD :
Les sociétés demanderesses font valoir que l’APD remis ne tenait pas compte des demandes du maître d’ouvrage, notamment celles de la piscine pour la balnéothérapie pourtant mentionnée dans le contrat de l’architecte, que les plans remis étaient plus ou moins côtés, comprenant des vues en 3D et non en 2D, ne correspondant absolument pas aux demandes du maître d’ouvrage notamment celle de la piscine pour la balnéothérapie, et que le descriptif détaillé des différents lots permettant d’évaluer de manière réaliste l’enveloppe financière globale nécessaire à la réalisation du projet n’a pas été remis.
Aux termes des dispositions de l’article 1353 du code civil, il incombe à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver ; il incombe donc par conséquent aux demanderesses de démontrer l’insuffisance de l’APD qui leur a été remis. Il sera fait observer que celles-ci ne versent pas l’APD aux débats, n’en permettant ainsi ni l’examen ni la démonstration ou non de l’existence de manquements à ce titre.
Par conséquent, aucun manquement contractuel ne sera retenu à l’encontre de l’architecte au titre de l’incomplétude de l’APD.
III.B.2.d – Sur le dépôt de dossiers de permis de construire entachés d’irrégularités, le retard pris dans l’exécution du contrat et les surcoûts de travaux :
Les sociétés demanderesses allèguent que le projet a fait l’objet du dépôt successif de 3 dossiers de permis de construire, que le maître d’ouvrage a été contraint d’interrompre les instructions des deux premiers dossiers au vu des illégalités dont ils étaient entachés alors que le projet devait voir initialement le jour en septembre 2016, ce dont l’architecte était informé ; que ces dépôts successifs ont engendré un retard de près d’un an et demi ainsi qu’un dépassement conséquent de l’enveloppe financière des travaux.
Aux termes de l’article G.3.2.2 alinéas 1 et 2 du CCG, l’architecte établit les documents graphiques et pièces écrites de sa compétence, nécessaires à la constitution du dossier de demande d’autorisation d’urbanisme suivant la réglementation en vigueur. Il assiste le maître d’ouvrage pour la constitution du dossier administratif.
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que si trois demandes de permis de construire ont été déposées, qu’un premier permis de construire a été accordé le 21 décembre 2015 et retiré par décision du 29 mars 2016, qu’une deuxième demande a été déclarée sans suite, ce retrait et ce classement sans suite sont intervenus consécutivement à la demande de retrait de permis de construire et à la demande de ne pas donner suite, formulées par le maître d’ouvrage.
Si les sociétés demanderesses ont versé aux débats les recours gracieux à l’origine de ces demandes, elles n’ont en revanche versé ni les deux premiers dossiers établis aux fins de demande de permis de construire, ni les demandes du maître d’ouvrage de retrait et de classement sans suite, ni les éléments de la réglementation en vigueur qui auraient fait l’objet d’une violation lors de l’établissement de ces dossiers, ne permettant ainsi pas d’établir l’existence ni l’origine, contractuelle ou non, d’irrégularités entachant le dépôt des deux premiers dossiers de permis de construire et ayant selon elles causé le retard pris dans les travaux et les surcoûts de l’opération ; partant, le manquement contractuel de l’architecte à ce titre n’est pas démontré et ne sera pas retenu.
III.B.2.e – Sur l’absence d’un dossier de conception générale (PCG), d’un dossier de consultation des entreprises (DCE) et de mise au point des marchés (MDT) :
Les sociétés demanderesses font valoir qu’aucun véritable DCE n’a été établi pour la consultation des entreprises, aucun appel d’offres ou de consultation permettant une mise en concurrence n’a été effectué, celle-ci n’ayant d’ailleurs à aucun moment été réalisée, non plus qu’aucune mise au point des marchés de travaux, de simples devis ayant été remis par les entreprises sélectionnées pour le projet, lesquels n’ont pas permis de véritable mise en concurrence et une estimation des coûts afférents à chacun des lots, et aucun CCTP ou DPGF n’ayant non plus été remis aux entreprises sélectionnées.
Aux termes des dispositions de l’article 1353 du code civil, il incombe à celui qui se prétend libéré d’une obligation d’en justifier ; il incombe donc par conséquent à l’architecte de démontrer qu’il a bien constitué le dossier de conception générale, le dossier de consultation des entreprises, et qu’il a bien effectué une mise au point des marchés. Il sera fait observer que celui-ci ne verse aucun élément aux débats permettant d’établir l’existence de ces documents, et qu’il résulte des éléments versés aux débats que le devis d’une seule entreprise a été par lui soumis au maître d’ouvrage.
Ces défaillances, en ce qu’elles n’ont pas permis au maître d’ouvrage de sélectionner la ou les entreprises les plus compétitives en toute connaissance de cause après véritable mise en concurrence, constituent un manquement contractuel de l’architecte ayant causé un dommage.
III.B.3 – Sur la garantie de la MAF et la responsabilité subséquente de M. [X] et de la société AB ARCHITECTS STUDIO :
Aux termes de l’article 16 alinéa 1 de la loi n° 77-2 du 03 janvier 1977 sur l’architecture : « Tout architecte, personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée en raison des actes qu'il accomplit à titre professionnel ou des actes de ses préposés, doit être couvert par une assurance. Chaque année, toute personne assujettie à cette obligation produit au conseil régional de l'ordre des architectes dont il relève une attestation d'assurance pour l'année en cours. »
Aux termes de l’article L.113-9 du code des assurances : « L'omission ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie n'entraîne pas la nullité de l'assurance.
Si elle est constatée avant tout sinistre, l'assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l'assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l'assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l'assurance ne court plus.
Dans le cas où la constatation n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. »
En l’espèce, les sociétés demanderesses allèguent que :
- la responsabilité contractuelle de M. [X] est pleinement engagée dès lors qu’il les a laissées dans l’illusion d’une garantie dès le démarrage de ses prestations, et qu’il est à l’origine de la non-garantie opposée par la MAF, ce qui les prive aujourd’hui de leur recours d’assurance ;
- la société AB ARCHITECTS STUDIO et M. [X] engagent solidairement leur responsabilité contractuelle pour absence de déclaration du chantier litigieux auprès de l’assureur.
Il sera rappelé que le contrat d’architecte versé aux débats a été conclu par la société AB ARCHITECTS STUDIO et non par M. [X], lequel a signé ce contrat uniquement en tant que gérant de la société AB ARCHITECTS STUDIO et non en son nom propre ; partant, seule la responsabilité délictuelle de la société AB ARCHITECTS STUDIO peut être engagée en cas d’absence de déclaration du chantier litigieux à son assureur.
Or, il ressort des pièces versées aux débats que :
- M. [X] était assuré auprès de la MAF à compter du 16 janvier 2015 sous la référence 59659/X/10, en son nom propre, et que les déclarations effectuées au titre de son activité d’architecte pour les années 2015 et 2016 ne mentionnent pas le chantier litigieux ;
- la société AB ARCHITECTS STUDIO était assurée auprès de la MAF à compter du 04 octobre 2017, soit postérieurement à l’ouverture du chantier et même à la mise en demeure valant réclamation du 11 septembre 2017, la déclaration effectuée au titre de son activité d’architecte pour l’année 2018 ne mentionnant d’ailleurs pas le chantier litigieux ; qu’elle s’est déclarée assurée auprès de la MAF sous la référence 59659/X/10 dans le contrat d’architecte conclu avec Mme [T], alors que cette référence correspond à la police d’assurance souscrite par M. [X] en son nom propre.
La société AB ARCHITECTS STUDIO restant silencieuse sur ce point dans ses écritures, il résulte de ce qui précède qu’elle s’est déclarée assurée auprès de la MAF au moment de la conclusion du contrat conclu avec Mme [T] alors que tel n’était pas le cas, étant précisé qu’elle ne justifie d’aucune souscription d’une police d’assurance à la date d’ouverture du chantier ou antérieurement à la date de la première réclamation de sorte qu’elle n’est pas assurée.
La MAF ne doit donc pas sa garantie au titre des indemnisations sollicitées dans le cadre du présent litige et la société AB ARCHITECTS STUDIO a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard des parties défenderesses en les privant de la possibilité d'obtenir la garantie d'un assureur dans le cadre de ce litige.
III.C - Sur l’existence d’un dommage délictuel lié aux manquements contractuels :
Il n’est pas contesté par les parties et il ressort des pièces versées aux débats, notamment des devis et factures émis par les constructeurs ayant réalisé les travaux, des prêts bancaires professionnels souscrits par la SELARL KINEAU, du tableau d’amortissement du prêt immobilier professionnel souscrit par la SCI FAGREV, du business plan, des courriels échangés entre les parties, des contrats de bail professionnel conclus courant 2018 par la SELARL KINEAU, que le contrat d’architecte conclu entre Mme [S] [T] et la société AB ARCHITECTS STUDIO ayant pour objet l’extension d’une maison et la création d’un centre de balnéothérapie devait bénéficier aux sociétés demanderesses, à savoir, la SELARL KINEAU dont Monsieur [Z] [B] est gérant, et la SCI FAGREV dont Mme [T] est la gérante, la SCI FAGREV étant chargée de l’acquisition du bien immobilier objet des travaux qu’elle devait louer à la SELARL KINEAU, en charge du financement des travaux d’aménagement et de l’activité de kinésithérapie/balnéothérapie au sein de l’immeuble.
III.C.1 – Au titre du contrat d’architecte :
Il résulte de ce qui précède que le dépassement de l’enveloppe budgétaire contractuellement fixée, l’absence d’APS, les manquements à la mission d’assistance pour la passation des marchés de travaux retenus à l’encontre de la société AB ARCHITECTS STUDIO, ont causé un dommage aux sociétés demanderesses en ce que celles-ci ont été privé de la possibilité de vérifier l’adéquation du projet avec les contraintes financières fixées, de faire réaliser des travaux en adéquation avec le coût contractuellement déterminé, de sélectionner la ou les entreprises les plus compétitives en toute connaissance de cause après véritable mise en concurrence.
Partant, la responsabilité délictuelle de la société AB ARCHITECTS STUDIO dans la survenance du dommage causé aux sociétés demanderesses du fait des manquements au contrat d’architecte est établie.
III.C.2 - Au titre de l’absence de déclaration du chantier litigieux à l’assureur de l’architecte :
Il résulte de ce qui précède que l’absence de déclaration du chantier litigieux à son assureur par la société AB ARCHITECTS STUDIO a causé un dommage de nature délictuel aux sociétés demanderesses en ce que celles-ci ont été privé de la possibilité de bénéficier de l’intégralité de l’indemnité à laquelle le maître d’ouvrage aurait eu droit si le chantier avait été déclaré.
Partant, la responsabilité délictuelle de la société AB ARCHITECTS STUDIO dans la survenance du dommage causé aux sociétés demanderesses du fait de l’absence de déclaration du chantier litigieux est établie.
III.D – Sur la réparation des préjudices :
En application du principe de réparation intégrale du préjudice, la victime doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, les dommages-intérêts alloués devant réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.
En l’espèce, il résulte de ce qui précède que les sociétés demanderesses ont subi des dommages du fait des manquements contractuels de la seule société AB ARCHITECTS STUDIO, lesquels ont entraîné une perte de possibilité de vérifier l’adéquation du projet avec les contraintes financières fixées, de faire réaliser les travaux selon le coût contractuellement déterminé, de sélectionner la ou les entreprises les plus compétitives en toute connaissance de cause après véritable mise en concurrence, et de la possibilité de bénéficier de la garantie d’un assureur.
Ces manquements contractuels sont uniquement imputables à la société AB ARCHITECTS STUDIO ainsi qu’il a été établi plus haut, le fait que lorsqu’il exerce en libéral, l’architecte ne constitue qu’une seule et même personne avec son cabinet et soit indéfiniment et solidairement responsable des dettes de son activité professionnelle sur son patrimoine personnel ne constituant pas un moyen permettant de condamner solidairement ou in solidum la société AB ARCHITECTS STUDIO et M. [X] en son nom propre, contrairement à ce qu’allèguent les sociétés demanderesses.
Aussi les sociétés demanderesses seront-elles intégralement déboutées de leurs demandes formulées à l’encontre de M. [X].
III.D.1 – Au titre du préjudice subi par la SCI FAGREV :
La SCI FAGREV fait valoir que compte tenu du retard pris dans le démarrage des travaux, elle a été contrainte de solliciter de la banque de différer le remboursement de son prêt immobilier, ce retard ayant engendré un paiement de 5 mois d’assurance supplémentaire pour un montant total de 8 100 euros. Elle fait aussi valoir avoir dû supporter le coût de la cotisation assurance habitation non-occupant en 2017, d’un montant de 473,93 euros TTC.
Cependant, la responsabilité de l’architecte dans le retard pris par l’opération n’ayant pas été retenue (cf III.B.2.e), la SCI FAGREV ne saurait être indemnisée du fait de ce préjudice et sera déboutée de l’intégralité de ses demandes formées contre la société AB ARCHITECTS STUDIO.
III.D.2 – Au titre des préjudice subis par la SELARL KINEAU :
III.D.2.a – Du fait des honoraires versés au titre du second dépôt de dossier de permis de construire :
La SELARL KINEAU fait valoir que le maître d’ouvrage a dû s’acquitter d’une somme supplémentaire de 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC afin de missionner l’architecte pour l’élaboration d’un nouveau permis de construire, à la suite du retrait du premier permis, le maître d’ouvrage ayant été contraint une nouvelle fois de ne pas donner suite compte tenu des risques d’annulation qui pesaient alors sur le dossier.
Cependant, la responsabilité de l’architecte au titre du dépôt de multiples demandes de permis de construire n’ayant pas été retenue (cf III.B.2.e), la SELARL KINEAU ne saurait être indemnisée du fait de ce préjudice.
III.D.2.b – Du fait du dépassement de l’enveloppe budgétaire :
La SELARL KINEAU sollicite le remboursement intégral du dépassement budgétaire engendré par le coût réel des travaux qu’elle évalue à 170 742,94 euros.
Cependant, il a été établi ci-dessus (cf III.B.1) que le dépassement budgétaire représentait la somme de 167 389,83 euros.
Surtout, ce dépassement ne peut s’analyser qu’en une perte de chance correspondant à la disparition de l’éventualité favorable de réaliser les travaux selon le coût contractuellement déterminé, laquelle, si elle est actuelle et certaine compte tenu de ce que l’architecte n’a transmis au maître d’ouvrage que le devis d’un seul entrepreneur dont le coût dépassait d’ores et déjà le budget prévisionnel, ne saurait être évaluée à la totalité du dépassement en question, mais à hauteur de 40%, soit à un montant de 66 955,93 euros (167 389,83 x 0,4).
III.D.2.c – Du fait du préjudice d’exploitation :
La SELARL KINEAU sollicite l’indemnisation d’un préjudice d’exploitation sur la base d’un recrutement de 3 kinésithérapeutes dès le mois de juin 2016, dans la mesure où elle avait prévu une ouverture du centre en septembre 2016 afin de pouvoir bénéficier de la rentrée scolaire, et d’un recrutement de kinésithérapeutes issus de la promotion 2015-2016 dès le mois de juin 2016.
Cependant, la responsabilité de l’architecte dans le retard pris par l’opération n’ayant pas été retenue (cf III.B.2.e), la SELARL KINEAU ne saurait être indemnisée du fait de ce préjudice.
IV – Sur les demandes accessoires :
Aux termes de l’article 695 du code de procédure civile : « Les dépens afférents aux instances, actes et procédures d'exécution comprennent :
1° Les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions ou l'administration des impôts à l'exception des droits, taxes et pénalités éventuellement dus sur les actes et titres produits à l'appui des prétentions des parties;
2° Les frais de traduction des actes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international ;
3° Les indemnités des témoins ;
4° La rémunération des techniciens ;
5° Les débours tarifés ;
6° Les émoluments des officiers publics ou ministériels ;
7° La rémunération des avocats dans la mesure où elle est réglementée y compris les droits de plaidoirie ;
8° Les frais occasionnés par la notification d'un acte à l'étranger ;
9° Les frais d'interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d'instruction effectuées à l'étranger à la demande des juridictions dans le cadre du règlement (CE) n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile et commerciale ;
10° Les enquêtes sociales ordonnées en application des articles 1072, 1171 et 1221 ;
11° La rémunération de la personne désignée par le juge pour entendre le mineur, en application de l'article 388-1 du code civil ;
12° Les rémunérations et frais afférents aux mesures, enquêtes et examens requis en application des dispositions de l’article 1210-8. »
Aux termes de l'article 696 alinéa 1 du même code : « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. »
Aux termes de l'article 699 du même code : « Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens. »
Aux termes de l'article 700 alinéas 1 et 2 du même code : « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations. »
En l'espèce, la société AB ARCHITECTS STUDIO et la SCI FAGREV succombant au moins partiellement en leurs prétentions essentielles, elles seront condamnées in solidum aux dépens dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre en vertu des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Les dépens seront partagés à hauteur de 75% à la charge de la société AB ARCHITECTS STUDIO et de 25% à la charge de la SCI FAGREV.
En équité, eu égard à la situation économique des parties, au titre des frais irrépétibles, la société AB ARCHITECTS STUDIO sera condamnée à payer la somme de 5 000 euros à la SELARL KINEAU, et la SCI FAGREV sera condamnée à payer la somme de 2 000 euros à la MAF.
V – Sur les demandes relatives à l'exécution provisoire :
Les sociétés demanderesses sollicitent l’exécution provisoire.
Aux termes de l’article 515 du code de procédure civile en vigueur à la date de l’assignation : « Hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. »
En l'espèce, eu égard à l'ancienneté du litige, et l'exécution provisoire étant compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort ;
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société AB ARCHITECTS STUDIO du fait de la non-saisine préalable du conseil de l’ordre des architectes ;
Déboute la SCI FAGREV et la SELARL KINEAU de l’intégralité de leurs demandes formulées à l’encontre de Monsieur [M] [X] ;
Déboute la SCI FAGREV et la SELARL KINEAU de l’intégralité de leurs demandes formulées à l’encontre de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS ;
Déboute la SCI FAGREV de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de la société AB ARCHITECTS STUDIO ;
Condamne la société AB ARCHITECTS STUDIO à verser à la SELARL KINEAU la somme de 66 955,93 euros ;
Condamne in solidum la société AB ARCHITECTS STUDIO et la SCI FAGREV au paiement des dépens, dont distraction au profit des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre en vertu des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Partage les dépens de l’instance à hauteur de 75% à la charge de la société AB ARCHITECTS STUDIO et de 25% à la charge de la SCI FAGREV ;
Condamne la société AB ARCHITECTS STUDIO à payer à la SELARL KINEAU la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SCI FAGREV à payer à la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
Rejette le surplus des demandes.
Fait et jugé à Paris le 03 septembre 2024
Le greffier Le président