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04/09/2024 | FRANCE | N°23/08420

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 2ème chambre 2ème section, 04 septembre 2024, 23/08420


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :





2ème chambre



N° RG 23/08420
N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

N° MINUTE :




Assignation du :
02 Mai 2023






JUGEMENT
rendu le 04 Septembre 2024


















DEMANDERESSE

La Fondation “[F] [G]”
[Adresse 9]
[Localité 12] (BULGARIE)

Représentée par Maître Bernard CAH

EN de l’AARPI AARPI CCVH, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P584


DÉFENDERESSE

Madame [M] [L]-[N]
élisant domicile : [Adresse 6]
[Localité 5]

Représentée par Maître Benjamin SARFATI de la SELARL INTERVISTA, avocat ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions exécutoires délivrées le:
Copies certifiées conformes délivrées le :

2ème chambre

N° RG 23/08420
N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

N° MINUTE :

Assignation du :
02 Mai 2023

JUGEMENT
rendu le 04 Septembre 2024

DEMANDERESSE

La Fondation “[F] [G]”
[Adresse 9]
[Localité 12] (BULGARIE)

Représentée par Maître Bernard CAHEN de l’AARPI AARPI CCVH, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P584

DÉFENDERESSE

Madame [M] [L]-[N]
élisant domicile : [Adresse 6]
[Localité 5]

Représentée par Maître Benjamin SARFATI de la SELARL INTERVISTA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1227

Décision du 04 Septembre 2024
2ème chambre
N° RG 23/08420 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

* * *

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Madame Sarah KLINOWSKI, Juge, statuant en juge unique.

assistée de Adélie LERESTIF, greffière.

DÉBATS

A l’audience du 12 Juin 2024, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 04 Septembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire et en premier ressort

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [F] [G], dit également [F] [W], est décédé le [Date décès 4] 2011 à [Localité 10] sans laisser d’héritier réservataire pour lui succéder.

Selon attestation établie le 15 octobre 2019 par l’Etude de Maître [U] [E], notaire à [Localité 12], en Bulgarie, il a légué « l’ensemble de ses biens immobiliers en Union Européenne et le mobilier à sa Fondation personnelle « [F] [G] », dont trois biens immobiliers sur le territoire de [Localité 11], République Française ».

Le testament olographe du 31 janvier 2009 prévoyait également que l’ensemble de « ces propriétés ne doivent pas être vendues pendant une période de 20 ans, et dans le cas de [Adresse 13] 1 million 1 000 000 d’euros doivent entrer dans cette partie du testament pour être utilisés à des fins de bienfaisance et à couvrir les frais et l’entretien de la fondation. Ceci s’applique à toutes les propriétés dans la CE, dont seulement les profits annuels peuvent être utilisés ».
Décision du 04 Septembre 2024
2ème chambre
N° RG 23/08420 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

Par exploit d’huissier signifié le 2 mai 2023, la fondation [F] [G] a fait assigner Madame [M] [L]-[N], sœur du défunt, seule héritière légale, sur le fondement des articles 900 et 900-1 du Code civil devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de :
Déclarer nulle la clause d’aliénabilité temporaire figurant dans le testament de Monsieur [F] [G] du 31 janvier 2009, alias Monsieur [W],Subsidiairement,
Le déclarer en tout état de cause non valide en raison du manque d’intérêt de ladite clause,Autoriser la vente des biens immobiliers sis à [Localité 11] tels qu’ils figurent dans le testament et situés : [Adresse 3], 4ème étage
[Adresse 1] dans la cour
[Adresse 2], + garage (double)
Donner acte à la fondation « [F] [G] » de ce qu’elle conservera les dépens.
Dans ses conclusions en défense signifiées par voie électronique le 13 septembre 2023, Madame [M] [L]-[N] demande au tribunal de :
Lui donner acte qu’elle se remet à l’appréciation du tribunal quant aux demandes formulées par la Fondation « [F] [G] »,Rejeter toute éventuelle demande qui pourrait être formulée contre elle au titre des frais irrépétibles,Donner acte à la Fondation « [F] [G] » de ce qu’elle demande à conserver les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 24 janvier 2024 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 12 juin 2024.

L’affaire a été mise en délibéré au 4 septembre 2024, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

Il est rappelé que les demandes des parties de « dire et juger », « constater » ou « donner acte », tendant à constater tel ou tel fait ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif.

Sur la demande de nullité de la clause

Sur le fondement de l’article 900 du code civil

La Fondation « [F] [G] » sollicite à titre principal sur le fondement de l’article 900 du Code civil la nullité de la clause insérée dans le testament olographe de Monsieur [F] [G] du 31 janvier 2009, prévoyant que ses propriétés situées en Union Européenne ne doivent pas être vendues pendant une période de 20 ans. Elle expose en effet que cette clause n’est pas valide en ce qu’elle n’a pas vocation à gérer des biens immobiliers alors que la vente de ceux-ci ne léserait personne, en l’absence d’héritier réservataire, de sorte que cette disposition doit être considérée non comme une charge mais comme un simple souhait.

En défense, Madame [M] [L]-[N], qui rappelle qu’elle n’a pas vocation à hériter des biens immobiliers dépendant de la succession de son frère situés à [Localité 11], s’en rapporte à l’appréciation du tribunal sur la demande de déclarer nulle la clause d’inaliénabilité temporaire.

Sur ce,

L’article 900 du Code civil dispose que dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites.

En l’espèce, la Fondation « [F] [G] » ne démontre pas en quoi la clause d’aliénabilité temporaire figurant dans le testament de Monsieur [F] [G] du 31 janvier 2009 constitue une condition impossible, illicite ou immorale, de sorte qu’il n’y a pas lieu de la déclarer nulle.

Sur le fondement de l’article 900-1 du code civil

La Fondation « [F] [G] » demande subsidiairement au tribunal de déclarer non valide la clause litigieuse en raison de son manque d’intérêt et d’autoriser la vente des trois biens immobiliers du de cujus situés à [Localité 11], expliquant que la charge présente dans le testament de Monsieur [F] [G] n’est ni causée ni justifiée par un intérêt sérieux et légitime, outre que la durée de cette charge est si longue qu’elle ne peut être considérée comme temporaire au sens de l’article 900-1 du Code civil. Elle explique en effet que la détention de ces biens immobiliers ne lui permet pas de poursuivre l’objet pour lequel elle a été créée le 30 octobre 2007, à savoir gérer la donation effectuée par le de cujus, de sorte qu’elle doit être considérée comme inopposable au légataire, qui sollicite en conséquence une autorisation judiciaire d’aliéner les biens situés à [Localité 11].

Décision du 04 Septembre 2024
2ème chambre
N° RG 23/08420 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

En défense, Madame [M] [L]-[N], qui rappelle qu’elle n’a pas vocation à hériter des biens immobiliers dépendant de la succession de son frère situés à [Localité 11], s’en rapporte à l’appréciation du tribunal sur la demande de déclarer non valide la clause d’inaliénabilité temporaire.

Sur ce,

L’article 900-1 du Code civil dispose que les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime. Même dans ce cas, le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige. Les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales.
En l’espèce, il résulte des statuts de la fondation « [F] [G] » et en particulier de son article 4 que celle-ci a été constituée par Monsieur [F] [G] le 30 octobre 2007 afin de poursuivre les objectifs suivants :
« 1/ aide des chanteurs lyriques jeunes et talentueux, dans le domaine de la musique d’opéra allemande et slave
/2/ aide l’organisation de concours pour jeunes chanteurs lyriques
/3/ aide des musiciens talentueux, en créant des prix, octroyant des primes et des bourses d’études de musique classique
/4/ aide des manifestations musicales en organisant une biennale de musique classique tous les deux ans
/5/ aide à la popularisation de la musique classique en Bulgarie ».

Aux termes de ce même document, la fondation « [F] [G] » dispose d’un fonds constitutif initial de 5 000 dollars, mis à disposition par donation de Monsieur [F] [G], mais également des biens de la Fondation, qui « consistent en son fonds constitutif et d’autres ressources mis à disposition en conformité avec l’acte constitutif. Celles-ci pourraient représenter des dépôts en argent, des biens immobiliers et mobiliers, des droits réels, des droits de propriété intellectuelle et autres droits.
/2/ Les sources de la Fondation sont :
Des dons de personnes physiques et morales bulgares et étrangèresDes legs de personnes physiques bulgares et étrangèresDes revenus d’activités propres, liées aux objectifs de la Fondation ».
Décision du 04 Septembre 2024
2ème chambre
N° RG 23/08420 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

Par testament olographe du 31 janvier 2009, dont la copie certifiée conforme à l’original est versée aux débats par la demanderesse, Monsieur [F] [G] a déclaré prendre les dispositions suivantes « concernant les propriétés que je possède lors de ma mort.
Je laisse
Tous mes biens immeubles dans la CE avec le mobilier à ma fondation personnelle « Fondation [F] [G] ».
Ce sont les propriétés immobilières suivantes :
[Adresse 8]
[Adresse 7] (…)
En France
[Adresse 3]
[Adresse 1] dans la cour
[Adresse 2], garage # 75 (double)
Ces propriétés ne doivent pas être vendues pendant une période de 20 ans, et dans le cas de la [Adresse 13] 1 million d’euros doivent entrer dans cette partie du testament pour être utilisés à des fins de bienfaisance et à couvrir les frais et l’entretien de la fondation.
Ceci s’applique à toutes les propriétés dans la CE, dont seulement les profits annuels peuvent être utilisés.

De l’argent en espèce, sur comptes bancaires en Europe, à mon nom ou au nom des sociétés m’appartenant entièrement.
1. Le reste de l’argent provenant de la vente de [Adresse 13]
2. Des comptes dans les banques en Europe au nom de [F] [V] [G] et [F] [W] (selon le passeport US)
Ces montants en espèce doivent être répartis en pour cents comme suit.
Si l’héritier n’est plus en vie, les montants seront transmis à son héritier en ligne directe, et en l’absence d’un tel, ils seront ajoutés au capital de la fondation ».

Monsieur [F] [G] précise ensuite dans son testament comment répartir ses liquidités, dont le montant dépassant 1 000 000 d’euros issu de la vente de la [Adresse 13], entre douze légataires.

Le de cujus précise enfin que 20% du revenu annuel de la Fondation peut être utilisé « pour des frais, des salaires et autres ».

Il résulte du rapprochement de ces deux pièces que les conditions de validité de la clause d’inaliénabilité affectant les trois biens immobiliers qui appartenaient au de cujus et qui situés à [Localité 11] sont réunies dans la mesure où la volonté du disposant était de léguer à sa fondation personnelle des biens immobiliers venant étoffer son fonds constitutif et lui permettre de réaliser son objet social, de sorte que l’intérêt sérieux et légitime est justifié. De même, l’inaliénabilité des biens immobiliers pendant une durée de vingt ans répond au caractère temporaire exigé pour qu’une telle clause soit déclarée valable.

Décision du 04 Septembre 2024
2ème chambre
N° RG 23/08420 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZWTP

En conséquence, la clause d’inaliénabilité figurant dans le testament de Monsieur [F] [G] est valable, même si la Fondation « [F] [G] » peut être judiciairement autorisée à disposer des biens litigieux si l’intérêt qui avait justifié cette clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige, conformément à l’article 900-1 du code civil.

Or la demanderesse ne démontre pas que la détention de ces biens immobiliers l’empêche de poursuivre son objet social rappelé ci-avant et que les liquidités dont elle dispose, parmi lesquelles 1 million d’euros provenant de la vente de la [Adresse 13], sont insuffisantes pour mener à bien les projets artistiques qu’elle promeut, aucune pièce comptable n’étant par ailleurs versée aux débats. Le tribunal relève en outre que l’intérêt ayant justifié la clause, à savoir le souci de léguer des actifs immobiliers afin d’étoffer le fonds constitutif de la fondation, n’a pas disparu, et que la demanderesse ne justifie pas d’un intérêt plus important qui exigerait de vendre les biens immobiliers légués par son fondateur, qui pouvait légitimement souhaiter que le fonds constitutif de sa fondation personnelle soit composé à la fois de liquidités et de biens immobiliers, conformément aux statuts de la fondation, à tout le moins pendant une durée de vingt ans.

En conséquence, il convient de rejeter la demande de la Fondation « [F] [G] » d’autorisation de vendre les trois biens immobiliers situés à [Localité 11].

Sur les demandes accessoires

La Fondation « [F] [G] », succombant à l’instance, sera condamnée aux dépens.

L’exécution provisoire de la présente décision, à laquelle il n’y a pas lieu de déroger, sera rappelée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

REJETTE la demande de la Fondation « [F] [G] » de déclarer nulle la clause d’aliénabilité temporaire figurant dans le testament de Monsieur [F] [G] du 31 janvier 2009,

REJETTE la demande de la Fondation « [F] [G] » de déclarer non valide la clause d’aliénabilité temporaire figurant dans le testament de Monsieur [F] [G] du 31 janvier 2009,

REJETTE la demande de la Fondation « [F] [G] » d’autoriser la vente des biens immobiliers sis à [Localité 11] tels qu’ils figurent dans le testament et situés :
[Adresse 3][Adresse 1] dans la cour[Adresse 2], + garage (double)
CONDAMNE la Fondation « [F] [G] » aux entiers dépens,

REJETTE toute autre demande,

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait et jugé à Paris le 04 Septembre 2024

La Greffière La Présidente
Adélie LERESTIF Sarah KLINOWSKI


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 2ème chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 23/08420
Date de la décision : 04/09/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-09-04;23.08420 ?
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