COUR DE CASSATION
(Deuxième Chambre Civile)
1er Juillet 1963
Droit civil,
1- Cautionnement- Art. 1061 du Code des Obligations et des Contrats: acceptation formelle par la caution- condition de forme exigées pour cette acceptation, expresse et certaine.
2- Cautionnement, absence de mention «bon pour», contrat civil, commencement de preuve par écrit, témoignage ou aveu.
Dr. Farid Issa El Khoury c/Banque Misr Liban.
ARRET
La Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation,
Statuant sur le pourvoi formé en date du 6/6/62 par le Dr Farid Issa Khoury contre la Banque Misr Liban et le tiers mis en cause la Faillite Issa El Khoury & Co, attaquant l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Beyrouth en date du 6 mars 1962 et à lui notifié le 19 Mai 1962, qui avait reçu l'appel en la forme, rejeté la demande de mise en cause de la Faillite Issa El Khouty & Co, réservé le droit du Dr Issa El Khoury de l'actionner séparément, rejeté l'appel au fond et confirmé le jugement de première instance,
Attendu que le demandeur au pourvoi demande que son pourvoi soit reçu en la forme parce que conforme aux conditions légales; qu'il soit reçu au fond pour légalité des motifs; que l'arrêt attaqué soit cassé pour contravention àla loi, fausse interprétation des textes et absence de base légale; que statuant à nouveau, la Cour décide la mise en cause de la Faillite Issa El Khoury & C, ordonne, si besoin est , un supplément d'enquête, rejette l'action en son entier et, à titre subsidiaire, condamne la faillite précitée et chacun des deux membres la constituant à ce à quoi serait condamné le demandeur au pourvoi,
Attendu que la défenderesse au pourvoi demande dans sa réplique du 29-6-62 le rejet du pourvoi en bloc pour infondé,
Attendu que le demandeur au pourvoi réitère dans ses conclusions du 19-10-62 ses demandes précédentes,
Attendu que la défenderesse au pourvoi reprend dans sa duplique ses défenses antérieures,
En la forme:
Attendu que le pourvoi a été formé dans le délai légal remplissant les conditions requises et qu'il est donc recevable en la forme,
Au fond: sur les moyens de cassation:
1.- Contravention à l'art. 1061 du Code des Obligations et des contrats et son interprétation erronée:
Attendu que le demandeur au pourvoi expose sous ce moyen que le législateur libanais a prévu un texte spécial, l'art. 1061 du Code des Obligations et des Contrats, exigeant l'acceptation du cautionnement par le créancier; que ladite acceptation doit se réaliser dans un titre, ou selon une formule, ou tout au moins dans une forme conforme aux stipulations des articles 1053 et 1059 du Code des Obligations et des Contrats; que l'acceptation visée par le législateur est l'acceptation réalisée selon une forme déterminée telle que l'acceptation formulée en fin de la déclaration de la caution, ou sur sa copie, ou à son verso, ou dans une lettre séparée s'y referant; que le législateur libanais a rejeté le principe de l'acceptation tacite ou de l'acceptation non formelle et a réservé à cette question un article spécial prévoyant des formes essentielles et obligatoires rendant impossible de déduire ou de rechercher l'acceptation du créancier du fait de son silence ou de sa non opposition ou de ses divers agissements; que l'arrêt attaqué a commis une erreur en considérant que la traduction en arabe du texte de l'art. 1061 s'etait une traduction saine et sincère et que l'acceptation visée par le législateur n'était pas l'acceptation écrite ou l'acceptation réalisée selon une forme spéciale,
Attendu que la Cour d'Appel a précisé, dans l'arrêt attaqué, que l'acceptation formelle prévue à l'art. 1061 du Code des Obligations et des Contrats ne signifiait pas une acceptation écrite, ni une acceptation soumise à un cérémonial, mais seulement une acceptation certaine
Attendu que l'art. 1061 du Code des Obligations et des Contrats stipule que le cautionnement «doit être accepté formellement par le créancier»
Attendu que la Cour d'Appel a considéré la traduction en arabe de ce texte saine et sincère,
Attendu que la Cour d'Appel a exercé son droit d'interprétation du texte français et notamment du terme «formellement» tiré du mot «formel» qui veut dire en lui-même «exprès» ainsi on dit un «texte formel» ou exprès, un «ordre formel» ou exprès, un «acquiescement formel» ou exprès, un «démenti formel» ou exprès,
Attendu que l'art. 1059 du Code des Obligations et des Contrats dispose que le cautionnement ne se présume pas et que la volonté de cautionner doit résulter clairement de l'acte, de même que l'art. 1061 de même code exige que le cautionnement soit accepté formellement par le créancier,
Attendu que la Cour d'Appel a interprété ce texte en jugeant que l'acceptation formelle ne signifie pas une acceptation écrite ou selon une forme spéciale, mais une acceptation expresse et certaine; qu'elle a constaté que le demandeur au pourvoi avait établi le cautionnement suite à la demande de son frère Nadra Issa El Khoury, qui l'a remis à son tour à la Banque Misr Liban, laquelle, sans ce cautionnement n'aurait pas accepté d'avancer des fonds à la Sté Nadra Issa El Khoury & Co et d'escompter les effets endossés en son nom par ladite société; que la position de la Banque était suffisamment explicite et résultait de ses faits matériels tel que son acceptation d'escompter les effets endossés à son ordre par la Société, acceptation qui était conditionnée par la présentation du cautionnement qui a été accepté par la Banque; que le demandeur au pourvoi avait lui-même reconnu lors de son interrogatoire en première instance, que le cautionnement avait été exécuté,
Attendu qu'il ressort de l'interrogatoire du demandeur au pourvoi devant le tribunal de première instance qu'il avait signé le cautionnement lequel avait été remis par son frère à la Banque, qui en avait pris livraison, l'avait accepté et en avait effectivement exécuté le contenu,
Attendu que les juges du fond ont établi sur la base des dires du demandeur au pourvoi lui-même, que la Banque avait accepté le cautionnement d'une façon formelle, considérant que l'acceptation du créancier prévue à l'art. 1061 doit être expresse et claire et qu'elle n'est pas soumise à un cérémonial déterminé ou à une forme spéciale,
Attendu qu'en recherchant ainsi la volonté du législateur les juges du fond n'ont pas donné une interprétation erronée au texte de l'article précité; qu'ils n'ont pas contrevenu à la loi; que ce moyen doit donc être rejeté,
2. En ce qui concerne l'absence dans le cautionnement de la mention: « bon pour».
Attendu que le demandeur au pourvoi expose sous ce moyen que l'arrêt attaqué a contrevenu à l'art. 363 du Code des obligations et des Contrats en ce qu'il a pris en considération l'acte de cautionnement daté du 5 Avril 1954 malgré l'absence de la mention «bon pour»,
Attendu que ce moyen est nouveau et qu'il n'en a pas été fait état ni en première instance, ni en appel;
Attendu, en tout cas, que si le cautionnement est considéré comme étant un contrat civil soumis aux stipulations de l'art. 363 du Code des Obligations et des Contrats en ce qui concerne la caution, il n'en demeure pas moins qu'il constitue un commencement de preuve par écrit susceptible d'être complété par les témoignages, les présomptions, le serment et l'aveu, conformement à la jurisprudence et à la doctrine constantes,
Attendu que dans l'affaire actuelle, la caution a, lors de son interrogatoire devant le tribunal de première instance, expressément admis l'existence du cautionnement, et son acceptation par le créancier dans les limites du montant dans l'acte de cautionnement,
Attendu que point n'est besoin, en présence de cet aveu, d'entreprendre un supplément d'enquête; que ce moyen est également à rejeter,
3.- Contravention aux articles 1091, 1092, 1066 et 369 du Code des Obligations et des Contrats:
Attendu que le demandeur au pourvoi expose sous ce moyen que la Cour d'Appel a contrevenu aux art. précités en ce qu'elle a considéré qu'il n'y avait ni libération, ni novation, ni nouvelles obligations,
Attendu que la Cour d'Appel a répondu à ce moyen en précisant qu'il ressort du texte du cautionnement, que le demandeur au pourvoi s'est, en date du 5 avril 1954, porté caution de la Société Issa El Khoury & Co. vis-à-vis de la Banque Misr Liban, et jusqu'à concurrence de la somme de 100.000- L.L., du paiement du montant de tout effet qui lui serait endossé par la société; et que ledit texte engage la caution au cas où il resterait entre les mains de la Banque des effets endossés à son ordre par la Sté Issa El Khoury et non réglés à condition qu'ils ne dépassent pas la limite des 100.000 L.L.
Attendu que le demandeur au pourvoi ayant avancé que la Sté Issa El Khoury & Co. Avait endossé à l'ordre de la Banque Misr Liban des effets d'une valeur matérielle supérieure à Cent Mille Livres Libanaises dont elle lui avait payé le montant, et qu'il était de ce fait libéré du cautionnement, la Cour d'Appel a répondu à ce moyen en précisant que la caution, comme indiqué à l'acte de cautionnement, avait garanti le paiement des effets endossés par la Sté Issa El Khoury & Co. sans exception et que sa caution demeurait jusqu'au paiement complet du montant des dits effets que seraient transmis à la Banque par leur endossement par la société précitée,
Attendu que la Cour d'Appel a également répondu à ce moyen en ajoutant que ce qui doit être pris en considération, ce sont les effets demeurés entre les mains de la Banque Misr Liban lors de la clôture des comptes entre la caution et le débiteur et dont le montant n'a pas été payé à la Banque parce que, dans le cas contraire, le texte du cautionnement n'aurait pas été rédigé dans sa forme absolue et la caution aurait indiqué de façon limitative les effets dont elle se portait caution ainsi que leur valeur, et aurait précisé que sa garantie ne jouerait plus en cas de paiement de tels effets; que le cautionnement a posé comme condition pour engager la caution, que les effets soient endossés à l'ordre de la Banque postérieurement au 5 Avril 1954 et que leur montant n'ait pas été payé; que la Banque a produit en première instance quarante effets tous endossés à son ordre par la Sté Issa El Khoury & Co. apres la date du 5 Avril 1954 et n'avaient pas été honorés, puisque détenus par la Banque, ce dont le demandeur au pourvoi n'avait pas apporté la preuve contraire,
Attendu que la Cour d'Appel, par cette motivation abondante n'a pas admis la libération de la caution de sa garantie et du débiteur de sa dette,
Attendu qu'en ce qui concerne la novation, la Cour d'Appel a répondu qu'il n'existait pas de substitution d'une nouvelle obligation à l'obligation primitive, mais qu'il s'agissait d'une série d'opérations commerciales consistant en l'endossement d'effets à l'ordre de la Banque Misr Liban par la Sté Issa El Khoury & Co. lLaquelle encaissait leur montant de ladite Banque.
Attendu que la Cour d'Appel n'a également pas admis, dans l'arrêt attaqué, que le cautionnement ait fixé un laps de temps déterminé durant lequel la caution serait demeurée engagée par son cautionnement,
Mais attendu, qu'au contraire, elle a précisé que le cautionnement couvrait d'une façon absolue et sans exception les effets endossés après le 5 Avril 1954 et jusqu'au paiement de leur montant à concurrence de Cent Mille Liv. Lib.,
Attendu que l'interprétation du contenu du cautionnement, de cette façon, entre dans le domaine du pouvoir d'appréciation des juges du fond, et que la Cour de Cassation ne peut exercer sa censure puisque lesdits juges ont pris en considération le texte du cautionnement et son contenu, n'ont pas en cela abusé de leur pouvoir d'appréciation et n'ont nullement dénaturé les pièces et faits à eux soumis,
Attendu que ce moyen ne peut donc être reçu, la Cour d'Appel n'ayant pas contrevenu, dans son interprétation du contenu du cautionnement, à la volonté et à l'intention des parties, telles qu'elles ressortent du texte même du cautionnement,
Attendu d'autre part, comme l'a fait ressortir la Cour d'Appel, qu'il n'existe rien dans le contenu du cautionnement qui permette de dire que ce dernier était limité dans le temps par une échéance ou une période déterminées, mais qu'au contraire le cautionnement était absolu et comportait garantie de la société par la caution jusqu'au complet paiement du montant des effets endossés par la société à l'ordre de la Banque.
4.- Contravention à l'art. 1089 du Code des Obligations et des contrats et son interprétation erronée:
Attendu que sous ce moyen le demandeur au pourvoi reproche à l'arrêt attaqué d'avoir négligé d'appliquer l'art. 1089 susindiqué et que cette négligence et l'acceptation par la Cour de l'ajournement des échéances des effets ont rendu sans effet la subrogation de la caution aux droits de la banque contre la société,
Attendu que la Cour d'Appel a répondu à ce moyen en précisant que le cautionnement n'était pas limité dans le temps; que la Banque avait le droit de maintenir ses relations avec la société tant que la caution n'avait pas exprimé son désir de mettre fin au cautionnement, de liquider le compte et de payer ce à quoi elle aurait été tenue en vertu de ce cautionnement; que la Banque était en droit de continuer à accepter l'endossement à son ordre par la société des effets, fussent-ils anciens ou renouvelés, tant que la caution ne l'avait pas notifiée de son intention de mettre fin au cautionnement,
Attendu que la Cour d'Appel n'a , d'autre part, pas retenu que la Banque ait entrepris un fait quelconque susceptible de diminuer les garanties attachées à la créance, de même qu'elle a proclamé que la Banque n'avait commis aucune négligence et qu'elle ne se devait pas de tenir la caution informée de la situation à laquelle était arrivé le compte de la société puisque la caution était au courant de cette situation, étant le frère de deux associés composant la société garantie et étant de ce fait présumée être au courant de la situation financière de cette société.
Attendu qu'en déclarant que la Banque n'avait entrepris aucune action de nature à faire perdre à la caution ses garanties et en proclamant la non responsabilité de la Banque dans la déclaration en faillite de la Sté Issa El Khoury & Co., et en précisant que le cautionnement n'avait été exigé qu'en vue d'éviter les dommages futurs auxquels serait exposée la Banque du fait de la défaillance de la Société, la Cour d'Appel a suffisamment répondu à ce moyen et usé de son pouvoir d'appréciation des pièces et faits de la cause ainsi que des enquêtes qui ont été menées,
5.- En ce qui concerne l'absence de base légale du fait du rejet de la demande de mise en cause da la faillitte du débiteur la Sté Issa El Khoury & Co. Et la contravention à la loi:
Attendu que la Cour d'Appel a rejeté la demande de mise en cause de la société pour le motif qu'elle retarderait le vidé du procès, parce que la question de savoir si le demandeur au pourvoi était
créancier de la Sté Issa El Khoury & Co., et la fixation d'une telle créance nécessiteraient la vérification et l'examen des opérations et des comptes existant entre eux,
Attendu que la Cour d'Appel a réservé le droit du demandeur au pourvoi d'agir par une action séparée,
Attendu que les débats étaient épuisés et le procès prêt à être jugé, et qu'il appartenait à la Cour d'accepter ou de rejeter la demande de mise en cause à la lumière des élément de l'affaire,
Attendu qu'il y a lieu de rejeter ce moyen,
Par ces motifs,
Reçoit le pourvoi en la forme,
Le rejette au fond
Confirme l'arrêt attaqué..
Président: M. Zehdi Yakon
Conseillers: MM. Victor Philoppides et Chafic Lotfi.