COUR DE CASSATION
(Deuxième Chambre Civile)
8 Mai 1964
Assurance Automobile, Assuré partiellement responsable condamné solidairement avec coauteur, Assureur redevable de toute l'indemnité- Droit de recours contre le tiers coauteur,
Sté d'Assurances Syrienne c/Raymond Chafic Khoury.
ARRET
La Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation,
Statuant sur le pourvoi formé le 18-12-62 par la Sté d'Assurance Syrienne contre M. Raymond Chafic Khoury attaquant l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Beyrouth en date du 24.10.62 confirmant le jugement de première instance rendu le 10-6-60 ayant jugé que la Sté d'Assurance Syrienne était redevable, en vertu de la police d'assurance, de l'indemnité objet du jugement daté du 11-12-59 en voie d'exécution contre R. Ch. Khoury et qu'elle supportait en conséquence les obligations mises par ledit jugement à la charge de R. Ch. Khoury sous réserve de son droit à se retourner contre le second coauteur M. Jos. Harfouche pour lui réclamer la part mise à sa charge dans lesdites obligations;
Attendu que la Sté d'Assurances Syrienne expose que R. Ch. Khoury a contracté auprès d'elle une police d'assurance couvrant sa responsabilité civile du fait des dommages causés aux tiers par sa voiture No 58805; qu'en date du 9-9-57, alors que l'assuré conduisait sa voiture ayant à ses côtés M. Jos. Harfouche, un accident est survenu occasionnant des blessures à M. M. Azouri; qu'à l'issue du procès pénal il a été établi que la responsabilité de l'accident était partagée à raison de 25% à la charge de M. R. Ch. Khoury et 75% à la charge de J. Harfouche; qu'ils avaient été condamnés à payer solidairement et conjointement la somme de L.L. 5000 à la victime.
Attendu que la Sté d'Assurances Syriennes prétend que l'arrêt attaqué a contrevenu à la loi et qu'il en a donné une interprétation erronée en ce qui concerne les principes de la responsabilité civile ainsi que le champ des ses obligation et qu'il a fait une mauvaise application de la loi aux faits de la cause.
Attendu que les motifs soulevés par la Sté d'Assurances Syrienne se résument comme suit:
I.- Quant aux principes de l'assurance et de la responsabilité civile en
général:
1.- En ce qui concerne le but de l'assurance:
Attendu que la Sté d'Assurances Syrienne avance que, quand une personne contracte une police d'assurance, elle a en vue la couverture d'un risque déterminé et que la société d'assurance ne saurait donc être redevable que des dommages résultant du risque désigné à la police d'une façon limitative.
2.- En ce qui concerne la couverture de la responsabilité civile en
général.
Attendu que ladite société expose que l'assurance est contractée pour couvrir la responsabilité civile à raison, soit du fait personnel, soit du fait d'autrui, soit du fait des choses inanimées; qu'il n'est pas possible de donner une interprétation large dans ce domaine car dans les contrats d'assurances la base sur laquelle doit être fixée l'obligation de l'assureur est le risque qui est indiqué à la police.
3.- En ce qui concerne la couverture de la responsabilité civile à raison du fait des choses inanimées.
Attendu que la Société d'Assurances avance qu'en cas d'accident auquel n'a pas participé la voiture de l'assuré ou dont il serait responsable à raison d'un autre chef que celui de la garde des chose inanimées (le fait d'autrui par exemple), cet accident n'est pas compris dans le risque assuré et la Sté d'Assurance n'en est pas redevable.
II.- Il n'existe pas de solidarité entre l'assureur, l'assuré et le
coauteur; vis-à-vis de la victime.
Attendu que ladite société prétend qu'en vertu du principe «pas de solidarité sans texte» il n'existe pas de solidarité vis-à-vis des victimes d'un accident entre l'assureur et l'assuré, et qu'à plus forte raison n'en existe-t-il pas entre l'assureur et un tiers étranger au contrat d'assurance, même si ce dernier est solidairement responsable avec l'assuré vis-à-vis de la victime.
III.- L'arrêt attaqué a contrevenu à ces principes et textes et en a
donné une interprétation erronée.
1.- Quant au risque assuré:
Attendu que la Sté d'Assurances Syrienne expose que la police d'assurance stipule qu'elle couvre les indemnités auxquelles serait tenu l'assuré du fait de dommages matériels ou personnels causés aux tiers par les voitures mentionnées à la police, de même que l'art. 131 du Code des Obligations et des Contrats prévoit la responsabilité du fait des dommages occasionnés par les choses inanimées, telle une automobile en marche;
Que deux conditions sont donc exigées: la responsabilité de l'assuré d'une part, et d'autre part le fait de la voiture; que dans l'affaire présente deux causes ont contribué à l'accident: la voiture qui était conduite par l'assuré et le fait du passager J. Harfouche ayant tendu le bras à travers la fenêtre comme cela a été établi dans l'arrêt de la Cour d'Appel Correctionnelle du Mont Liban rendu le 11-12-59 qui a partagé la responsabilité à raison de 25% à la charge de Mr. Khoury et 75% à la charge de Harfouche; que la responsabilité de l'assuré du fait de la voiture a donc été fixée à seulement 25%, que le reste de la responsabilité ne découle donc pas du fait de la voiture mais du fait et de la faute de Harfouche; que par conséquent tout ce qui pourrait être considéré couvert par la police et dont serait redevable la société d'assurance est seulement l'équivalent de la responsabilité civile de l'assuré,
2.- Quant à la création d'une solidarité entre l'assureur, son assuré et le coauteur,
Attendu que la Sté d'assurance expose que n'influe pas sur le champ et les limites de l'obligation de l'assureur par rapport au risque couvert, le fait que son assuré ait été condamné à l'indemnité solidairement et conjointement avec son coauteur, parce que la jurisprudence est constante pour considérer qu'il n'y a point de solidarité entre l'assureur et l'assuré; qu'à plus forte raison il n'y a pas solidarité entre l'assuré et son coauteur d'une part, et l'assureur d'autre part, parce que l'admission d'une telle solidarité entraînerait la couverture par l'assureur du fait personnel d'un tiers étranger au contrat d'assurance et à lui faire supporter les conséquences d'une responsabilité non prévue à la police qui couvre uniquement la responsabilité civile de l'assuré; qu'il n'est pas pensable que l'assureur soit tenu de payer une indemnité due par un tiers étranger à la police et auquel ne le lie aucun lien d'aucune sorte; que l'arrêt attaqué en jugeant contrairement a contrevenu à la loi et qu'il y a lieu de le casser de ce fait; tous motifs pour lesquels la Sté d'Assurances Syrienne demande que son pourvoi soit reçu en la forme, que l'arrêt rendu le 10-6-60 soit cassé, que la demanderesse soit déboutée et qu'il soit jugé qu'elle n'est redevable que de l'équivalent de la part de responsabilité de son assuré.
Attendu que R. Ch. Khoury a présenté en date du 30.1.63 des conclusions demandant le rejet du pourvoi et la confirmation de l'arrêt attaqué et que la Sté d'Assurances a présenté le 19.2.63 des conclusions réitérant ses demandes précédentes,
Sur tout ce qui précède:
En la forme:
Attendu que le pourvoi a été formé dans le délai légal, et selon les formes requises, qu'il est donc recevable en la forme,
Au fond: Sur tous les moyens pris en bloc:
Considérant que la Société d'Assurances Syrienne prétend qu'elle n'est redevable que des 25% de la responsabilité mis à la charge de son assuré en vertu de l'arrêt de la Cour Pénale parce qu'elle n'a couvert que les
dommages occasionnés par la voiture et qu'il n'existe pas de solidarité entre l'assureur, l'assuré et le tiers coauteur, vis-à-vis de la victime,
Considérant qu'il ressort de l'art. 1er de la police d'assurance que l'assureur couvre les dommages occasionnés aux tiers du fait de la voiture,
Considérant qu'une telle limitation de la responsabilité de l'assureur est également valable parce que non prohibée par un texte et que la doctrine l'a admise,
Considérant que si la police s'était limitée à ce texte il eut été possible de dire que l'assureur n'est responsable que des dommages occasionnés par la voiture à l'exclusion de ceux résultant du fait d'autrui.,
Mais considérant qu'il ressort du paragraphe 3 de l'art. 5 des conditions de la police qu'il échet d'aviser l'assureur quand il est possible de poursuivre un tiers responsable,
Considérant qu'il résulte de ce texte que l'assureur est tenu de couvrir l'assuré même quand il existe un tiers responsable contre lequel il peut ensuite se retourner,
Considérant que puisque l'assureur est redevable des dommages occasionnés par la voiture même en cas d'existence d'un tiers responsable, à plus forte raison en est-il quand ce tiers est solidairement responsable avec l'assuré,
Considérant qu'il n'y a lieu de s'arrêter ici à l'argumentation de la Sté d'assurance au sujet de l'inexistence de solidarité entre l'assureur, l'assuré et le tiers vis-à-vis de la victime, l'actuel procès pendant entre l'assureur et l'assuré, la victime n'y ayant aucune relation;
Considérant que les moyens soulevés par la Société d'assurance dans son pourvoi sont basés sur les points examiné ci-haut, qu'il n'y a pas lieu de les réexaminer et d'y répondre en plus de ce qui est dit dans cet arrêt,
Considérant qu'il apparaît en conséquence que la Cour d'Appel ayant rendu l'arrêt attaqué a sainement interprété la police d'assurance; qu'elle n'a pas contrevenu aux principes de droit et n'a pas faussé les faits prouvés,
Considérant que les moyens soulevés sont donc à rejeter,
Par ces motifs,
Reçoit le pourvoi en la forme,
Le rejette au fond,
Confirme l'arrêt attaqué..
Président: M. Zehdi Yakon.
Conseillers: MM. Gabriel Khlat et Victor Philippidès.