Vu l'ordonnance n° 60-048 du 22 juin 1960 fixant la procédure à suivre devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême
modifiée par l'ordonnance n° 62-073 du 29 septembre 1962 ;
Vu les dispositions de l'article 02.02.04 du Code général des Impôts annexé à la loi n° 00.005 du 22 décembre 1977 portant Loi des Finances
pour 1978 ;
Vu la loi n° 61-013 du 19 juillet 1961 portant création de la Cour Suprême modifiée par l'ordonnance n° 62-091 du 1er octobre 1962 et par la
loi n° 65-016 du 16 décembre 1965 ;
Vu les requêtes présentées par les Ab A et Cie, ayant pour Conseil Maître Marie Harline Herisoa, Avocat à la Cour, 38, Avenue
Grandidier, Isoraka, ANTANANARIVO, lesdites requêtes enregistrées au Greffe de la Chambre Administrative de la Cour Suprême le 20 mai 1998 sous
le n° 96/98-ADM et tendant à ce qu'il plaise à la Cour :
1) prononcer la résiliation du contrat du 28 juillet 1995 ;
2) condamner l'Etat Malagasy au paiement de la somme en principal de 891.814.309 Fmg outre les intérêts-moratoires ;
3) condamner l'Etat Malagasy au paiement de la somme de 10.000.000.000 Fmg à titre de préjudice commercial ;
....................
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que les Ab A et Compagnie sollicitent la résiliation du contrat du 28 juillet 1996, la condamnation de l'Etat
Malagasy au paiement de la somme de 2.679.000.000 Fmg, outre les intérêts moratoires et de celle de dix milliards de Fmg à titre de préjudice
commercial ;
Qu'au soutien de leurs requêtes, ils font valoir que des dépenses supplémentaires ont été engagées sans qu'aucune suite concrète n'ait été
donnée à leurs demandes tendant à l'établissement d'un avenant ; que par ailleurs, il y a violation des droits du cocontractant ; Qu'enfin, le
silence prolongé de l'Administration leur fait subir un préjudice commercial ;
AU FOND
Considérant que les requérants soutiennent que l'Etat Malagasy est responsable des dépenses supplémentaires et du préjudice commercial subi du
fait de son silence prolongé ainsi que de l'absence d'une suite à leurs demandes tendant à l'établissement d'un avenant au contrat du 28
juillet 1996 relatif à la construction d'un radier busé sur la rivière Maevarano-BEALANANA ;
Que d'autre part, il y a violation des droits du cocontractant en ce qu'aucune notification ni de la décision de résiliation du marché n°
MAT/AEI-CAP/MAH/96/02 aux torts du titulaire, ni de la mise en demeure et du procès verbal de carence n'a été faite aux requérants ;
SUR LA RESPONSABILITE :
Considérant que le mémoire en défense pour l'Etat Malagasy fait remarquer que la décision de résiliation du 15 Mars 1997 a été prise après mise
en demeure notifiée le 28 septembre 1996 et sur la base d'un constat de carence dressé le 25 octobre 1996, conformément aux dispositions de
l'article 20 de l'arrêté n° 1008 FIN du 06 mars 1970 constituant Cahier des clauses Administratives Générales des marchés publics de travaux,
lesquelles stipulent en son alinéa premier que « si le Titulaire ne se conforme pas soit aux dispositions du marché, soit aux ordres de service
écrits qui lui sont donnés par l'Administration, l'autorité compétente peut le mettre en demeure d'y satisfaire dans un délai déterminé, par
une décision qui lui est notifiée par ordre de service » ;
Qu'un arrêt de non lieu à statuer est sollicité en ce que la demande des requérants tendant à une résiliation du marché a déjà été satisfaite ;
que par voie de conséquence, les autres chefs de demande s'avèrent dépourvus de base juridique et donc bon fondés ;
Considérant d'autre part que cette résiliation a été prononcée aux torts du titulaire, les Ab A et Cie ; Qu'il en résulte que
la demande tendant au paiement de la somme de dix milliards de FMG pour préjudice commercial doit être rejetée, nul ne pouvant se prévaloir de
sa propre turpitude » ;
Considérant cependant qu'il convient de faire les remarques suivantes : les résultats de l'étude du béton effectuée par le laboratoire National
des Travaux Publics et Bâtiment (L.N.T.P.B), n'ont été faits que le 23 octobre 1996 alors que travaux proprement dits devaient commencer
courant juillet 1996 ;
Que les requérants contestent les affirmations selon lesquelles le constat de carence et la mise en demeure leur ont été notifiés en septembre
1996 puisque le rapport technique du L.N.T.P.B, prévu par l'article 9 du marché dont s'agit, n'a été dressé que le 23 octobre 1996 ; Que
d'autre part, l'ordre de service présenterait des vices de formes en ce que son numéro comporte des ratures ; Que le numéro d'inscription au
registre de Bealanana est suspendu au dessus de la ligne ; Qu'il y a des parties vides avec trace d'écriture effacée au dessus et au dessous du
reçu de la notification ; Que ledit reçu, contrairement aux usages des « Ab A et Cie », ne comporte pas son cachet ;
Que les précédentes remarques relatives à la date d'établissement du rapport de l'étude du béton faite par le L.N.T.P.B et à l'existence de
vice de forme de l'ordre de service ainsi qu'à l'absence de notification de la mise en demeure, n'ont été contestées par le mémoire en réplique
de l'Etat Malagasy ; que dès lors, il est tenu pour avoir acquiescé à ces faits allégués dans le mémoire en réponse des requérants ;
Considérant d'autre part que la décision de résiliation du marché aux torts du Titulaire a été prise le 15 mars 1997 ; Que cependant, dans une
correspondance du 30 Avril 1997, le responsable du C.A.P/US.AID a répondu aux demandes des Ab A et Cie tendant à
l'établissement d'un avenant au contrat que "les Services compétents du projet CAP/USAID et du Min ATV étudient votre dossier avec la plus
grande attention" ; "Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de la suite donnée à votre requête" ; Que cela traduit l'existence d'une
discordance dans la manière d'agir de l'Administration ;
Considérant que les requérants affirment n'avoir été notifiés de la décision de résiliation du marché du 15 mars 1997 ; Que cependant, ladite
décision existe en ce sens qu'elle a été produite conjointement au mémoire en défense de l'Etat Malagasy, lequel leur a été communiqué et
notifié ; Qu'une telle décision peut être prise par l'Administration, conformément aux dispositions de l'article 40, paragraphe 2 de l'arrêté
n° 1008 FIN du 06 mars 1970 qui stipulent que « le marché peut être résilié unilatéralement par l'Administration, après mise en demeure restée
sans effet dans le délai imparti dans les cas suivants : ...c. Lorsqu'il (le titulaire) a pris un tel retard dans l'exécution du marché que le
respect des délais contractuels devient manifestement impossible sans un effort particulier » ;
Que cependant, il résulte des pièces versées au dossier que la mise en demeure s'est avérée prise prématurément ; Qu'en effet, le résultat de
l'étude technique du L.N.T.P.B, obligatoire avant tout commencement des travaux proprements dits, et d'ailleurs, prévu par l'article 9 du
contrat n° MAT/AEI/CAP/MAH/96/02, n'a été dressé qu'au mois d'octobre 1996 alors que lesdits travaux devaient débuter le 25 juillet 1996 pour
une durée initiale de 2 mois et 15 jours ; Que par ailleurs, la demande d'établissement d'un avenant au contrat, basée sur l'existence de
sujections techniques imprévues, a été acceptée par les Responsables du projet CAP/US-AID à la condition de retrait de la demande de révision
de prix ;
Considérant d'autre part que l'article 41, alinéa 3 de l'arrêté n° 1008-FIN du 6 Mars 1970 stipule que « l'Administration doit résilier le
marché, lorsqu'en dehors de toute faute du titulaire, elle a prescrit la cessation définitive de l'exécution du marché » ; Que cependant,
l'article 44, alinéa 1 poursuit que « lorsque le marché est résilié, il est immédiatement procédé avec le titulaire ou ses ayant droits,
présents ou représentés ou dûment convoqués, à un inventaire descriptif détaillé des prestations terminées, des prestations non terminées, des
approvisionnements constitués en vue de l'exécution du marché » ; Qu'un tel inventaire, obligatoire n'a pourtant pas eu lieu ;
Qu'il résulte de tout ce qui précède que ces agissements fautifs de l'Administration engagent sa responsabilité et donnent lieu à une
réparation des préjudices subis par le titulaire ;
SUR LE PREJUDICE
Considérant que pour justifier leurs demandes, les Ab A et Cie ont apporté les précisions suivantes : Que des diverses
dépenses relatives à l'approvisionnement en matériels (bétonnières, moto pompe, pervibrateurs, divers outillages de chantier) tous neufs ainsi
que des matériaux (fers ronds, ciment, moellons, blocage, gravillons et sable de rivière...) ont été engagées et dont les différentes
livraisons ont été consignées dans le cahier d'attachement ; Qu'il y a en outre les dépenses de démarrage des travaux (envoi sur le chantier
d'une quarantaine d'ouvriers spécialisés et de manoeuvres, location de bâtiment, divers transport de matériels, de matériaux, de personnel...)
; Qu'il en est de même des dépenses supplémentaires pour le stockage et le gardiennage des matériels et du reste des matériaux non utilisés,
d'un procès-verbal de constat d'huissier à la date du 15 mars 1997 contenant la liste des matériels et matériaux mis sur le chantier et enfin
des factures détaillées ainsi qu'un état récapitulatif de la situation comptable ; Que le montant total de ces dépenses supplémentaires se
chiffre à 12.679.830.375 Fmg dont 10.000.000 Fmg en réparation du préjudice commercial subi, dépenses s'étalant sur une période comprise entre
le 15 octobre 1996 et le 31 octobre 1998 ;
Que cependant, le 15 Mars 1997, les requérants, avec l'aide d'un Huissier de Justice en la personne de Maître Georges RANDRIARIMALALA, ont
procédé à un inventaire des matériaux et matériels constatés sur les lieux, le tout ayant été enregistré dans un procès-verbal de constat
dressé le 17 Avril 1997 ; Qu'un tel inventaire s'assimile à un acte précédant un repli de chantier en ce sens que tous ces matériaux et
matériels inventories ne devraient plus être utilisés, même à un quelconque travail préparatoire tant que l'avenant au contrat demandé n'aurait
été accepté expressément par l'Administration et appliqué au même titre que le contrat lui-même ; Que dès lors, l'intervalle de temps pris en
compte dans le calcul des différentes indemnités demandées ne saurait dépasser la limite de cette date du 15 Mars 1997, soit une période de 5
mois pour compter du mois d'octobre, date à laquelle a été faite la première évaluation des dépenses supplémentaires ;
Sur les différentes demandes d'indemnité formulées par le titulaire :
a) Considérant que les Ab A et Cie sollicitent le remboursement des frais d'études faites par le laboratoire National des
Travaux Publics et Bâtiment, d'une valeur de 7.199.149 FMG ; l'article 9 du marché n° MAH/96/02/M/103 stipule que « la réalisation des essais
est, sauf indication contraire, payée au titulaire comme dépenses remboursables... » ; Qu'il convient dès lors de prononcer le paiement de
ladite somme au profit du titulaire ;
b) Considérant qu'il est demandé également remboursement des honoraires et dépenses relatives au constat d'Huissier en date du 15 Mars 1997, se
chiffrant à 3.789.570 Fmg ; qu'en l'absence d'un inventaire descriptif détaillé prévu par l'article 44 alinéa 1 de l'arrêté n° 1008-FIN du 05
Mars 1970 sus invoqué, lequel est obligatoire après résiliation du marché, il convient de sanctionner cette faute commise par l'Administration
en mettant à sa charge le paiement de cette somme ; Que d'ailleurs, puisque ni les matériaux de construction ni les matériels n'ont fait
l'objet d'aucun rachat par l'Administration, il ne saurait être contesté qu'ils resteront la propriété de l'entreprise après repli de chantier ;
c) Considérant par ailleurs que les requérants affirment avoir subi des pertes du fait de l'existence des dépenses supplémentaires, un manque à
gagner sur immobilisation des matériels et du personnel et enfin un préjudice commercial ; Qu'il convient cependant de préciser que le
préjudice, toutes causes confondues, ne saurait être apprécié au delà du 15 Mars 1997, date à laquelle le constat d'Huissier fut fait et la
décision de résiliation du contrat, prise ; Que dans le cas d'espèce, ce préjudice englobe le damnum emergens, les pertes subies, c'est-à-dire
les frais et dépenses de toutes nature que l'entrepreneur n'a pu récupérer, d'une part et le lucrum cessans, le manque à gagner, c'est-à-dire
le bénéfice que l'entrepreneur eut réalisé si les travaux qu'il n'a pas exécutés avaient été réalisés par lui, d'autre part ; Qu'à cet effet,
l'article 50, alinéa 3 de l'arrêté n° 1008 FIN du 05 Mars 1970 sus invoqué, stipule que « les aléas de chantier sont à la charge du titulaire ;
toutefois, en cas de sujetions techniques exceptionnelles et imprévues, ne faisant pas obstacle à l'exécution du marché, mais la rendant plus
onéreuse et si l'existence de ces sujetions est admise par l'Administration, le Titulaire peut prétendre à l'indemnisation des débours
supplémentaires entraînés par lesdites sujetions » ; Que dans sa lettre du 14 Novembre 1996, le Responsable du projet CAP-USAID semble
reconnaître et admettre l'existence de ces sujetions techniques exceptionnelles et imprévues en affirmant n'avoir aucune objection à l'octroi
de la suspension des travaux et de la prolongation du délai d'exécution ; Que le damnum emergens ou pertes subies concernent essentiellement la
rémunération du personnel, les loyers du gîte d'étape et du magasin de stockage, le gardiennage et l'entretien périodique des matériels ; le
lucrum cessans ou manque à gagner s'entend de l'immobilisation des matériels et du personnel ;
SUR LE QUANTUM
1) Considérant qu'il est demandé le remboursement du montant des loyers du gîte d'étape et du magasin de stockage soit 7.000.000 Fmg ; Que
cependant, il convient de ramener le loyer du gîte d'étape à 300.000 Fmg/mois et celui du magasin de stockage à 700.000 Fmg/mois, ce qui fait :
loyer du gîte d'étape : 300.000 FMG X 5= 1.500.000 FMG
Loyer du magasin de stockage : 700.000 FMG X 5 = 3.500.000 FMG
T O T A L : 5.000.000 FMG
2) Considérant que le gardiennage a nécessité 6.000.000 Fmg (300.000 Fmg x 4 x 5) pour le service des quatre gardiens ; qu'il convient
d'allouer au titulaire cette somme ;
3)Considérant par ailleurs qu'il est demandé également le remboursement de la rémunération du personnel se chiffrant à 51.300.000 Fmg, se
répartissant ainsi :
Ouvriers spécialisés
: Nombre 17: 360.000 FMG/moisx17x5 = 30.600.000 FMG
Manoeuvres : Nombre : 23 : 180.000 FMG/mois x 23 x 5 = 20.700.000 FMG
T O T A L : 51.300.000 FMG
Que le paiement de cette rémunération qui s'avère justifiée, doit être effectué au profit du titulaire ;
4) Considérant que l'entretien périodique des matériels d'un montant de 6.000.000 Fmg (1.200.000 FMG/mois x 5) devrait aussi donner lieu
réparation ; Qu'il sera fait une juste appréciation de la perte subie en le ramenant à 2.000.000 FMG sois 400.000 Fmg/mois x 5 = 2.000.000 Fmg ;
5) Considérant enfin que le titulaire affirme avoir subi un manque à gagner de l'ordre de 2.000.000 Fmg/jour, du fait surtout de
l'immobilisation des matériels et du personnel ; Que cependant, le chiffre avancé s'avère exagéré ; Qu'en tout et pour tout, le montant du
lucrum cessans ne saurait dépasser les 45% de celui proposé, soit : 900.000 Fmg/jour
C.à.d : 2.000.000 Fmg x 45/100 : 900.000 Fmg/jour x 30 x 5 = 135.000.000 FMG
Considérant qu'en définitive, les sommes que l'Etat Aa doit à l'entrepreneur sont, après récapitulation, les suivantes :
1) frais d'études faites par le L.N.T.P.B ...........7.199.249
2) frais du constat d'Huissier............................3.789.570
3) loyers divers.................................................5.000.000
4) rémunération du gardiennage......................6.000.000
5) rémunération du personnel........................51.300.000
6) entretien périodique des matériels...............2.000.000
7) manque à gagner sur immobilisation des
matériels et du personnel............................135.000.000
T O T A L : 210.288.819 FMG
Qu'il convient, par suite, de condamner l'Etat Malagasy à payer aux Ab A et Cie, la somme de deux cent dix millions deux cent
quatre vingt huit mille huit cent dix neuf francs malagasy, toutes causes confondues ;
PAR CES MOTIFS,
D é c i d e :
Article premier. - L'Etat Malagasy est condamné à payer aux Ab A et Compagnie la somme de deux cent dix millions deux cent
quatre vingt huit mille huit cent dix neuf francs malagasy (210.288.819 Fmg), toutes causes confondues ;
Article 2. - Les dépens sont mis à la charge du Trésor Public ;
Article 3. - Expédition du présent arrêt sera transmise à Monsieur le Directeur de la Législation et du Contentieux (copie sera notifiée à
Messieurs le Ministre des Travaux Publics et Ministre de l'Aménagement du Territoire et de la Ville pour leur information) et aux requérants ;