Vu l'ordonnance n° 60.048 du 22 Juin 1960 fixant la procédure à suivre devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême
modifiée par l'ordonnance n° 62.073 du 29 Septembre 1962 ;
Vu les dispositions de l'article 02.02.04 du Code Général des Impôts annexé à la loi n° 00.005 du 22 Décembre 1977 portant Loi des Finances
pour 1978 ;
Vu la loi n° 61.013 du 19 Juillet 1961 portant création de la Cour Suprême modifiée par l'ordonnance n° 62.091 du 1er Octobre 1962 et par la
loi n° 65.016 du 16 Décembre 1965 ;
Vu la requête présentée par la Société OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR poursuites et diligences du Sieur RAVELOSON A.F Directeur Général de
ladite Société, faisant éléction de domicile en l'Etude de Maître RAHARINARIVONIRINA Maria Sylvie, Avocat à la Cour, 23, Avenue Ac,
Mahamasina-Sud, ANTANANARIVO, ladite requête enregistrée au Greffe de la Chambre Administrative de la Cour Suprême le 05 Février 1999 sous le
n° 28/99-ADM et tendant à ce qu'il plaise à la Cour condamner l'Etat Malagasy à lui payer la somme de soixante-quinze milliards de francs
malagasy (75.000.000.000 FMG) à titre de dommages-intérêts ;
....................
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que la Société OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR, O.C.M. sollicite la condamnation de l'Etat Malagasy au paiement de la somme de 75
Milliards de FMG à titre de dommages-intérêts ;
Qu'au soutien de sa requête, la Société requérante fait valoir que le refus opposé à sa demande de remblayage lui cause une préjudice grave en
raison de l'immobilisation du terrain d'une contenance de 41 ha 55 a 96 ca, de l'immobilisation des capacités de travail, des occasions perdues
depuis plusieurs années et du manque à gagner ;
SUR LA COMPETENCE :
Considérant que dans son mémoire en défense, l'Etat Malagasy, soutient que le litige dont s'agit, fondé principalement sur une atteinte à
l'exercice du droit de propriété, a trait à un droit fondamental relevant de la compétence exclusive des juridictions de l'ordre judiciaire,
gardienne de la propriété privée ;
qu'en effet, il ne s'agit pas, dans le cas d'espèce, d'une expropriation pour cause d'utilité publique mais d'une simple mesure d'interdiction
peuvent entraîner, certes, des conséquences sur le droit des propriétaires concernés ; que de ce qui précède, la Cour de céans devrait se
déclarer incompétente pour statuer sur la présente affaire ;
Considérant cependant qu'il ne s'agit ni d'une emprise, ni d'une voie de fait ; qu'en effet, aucune prise de possession ou dépossession par
l'Administration, d'une propriété privée, ne saurait être relevée en l'espèce car la propriété dite « TANANA SOA MANAMBINA », appartient
toujours à la Société OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR, d'après le certificat d'immobilisation et de situation juridique du 16 Septembre 1998
versé au dossier ; que d'autre part, la théorie de la voie de fait ou atteinte d'une particulière gravité à une propriété privée ou à une
liberté fondammentale, qui suppose l'existence d'une activité administrative sur une telle propriété, ne saurait, encore moins jouer ;
Qu'en tout état de cause, il s'agit de ce que la jurisprudence française, qualifie de situations de fait « illustrées par les arrêts suivants :
-Conseil d'Etat : Arrêt du 06.12.85 : VELLAS $Commune de SOUBES ;
-Conseil d'Etat : Arrêt du 28.07.51 : BERANGER (CE, Lec Lebon, p.473) ;
- Arrêt du 26.02.07 : FONSEGRIVE (CE. Rec Labon, p. 256) ;
- Arrêt du 29/04/87 : PRESNET -DECOTTE
- Arrêt du 03.02.88 : MANTELIN ;
Que si dans l'affaire VELLAS $COMMUNE DE SOUBES, le Conseil d'Etat Français avait à connaître d'un litige relatif à une interdiction de
procéder à des travaux de forage et de puits sur la propriété appartenant au requérant, l'affaire OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR $ETAT
MALAGASY, quant à elle, a trait à une interdiction de procéder à des travaux relatifs à la réalisation d'un projet immobilier sur une propriété
appartenant à la Société requérante ; que dans ces conditions, puisque la solution à ces situations de fait a été apportée selon les pratiques
jurisprudentielles, par les juridictions administratives et non les tribunaux judiciaires, il échet de retenir la compétence de la Cour de
céans dans la présente affaire ;
AU FOND :
Considérant que le fond du présent cas consiste à établir l'existence ou non d'une responsabilité de l'Etat Malagasy, peuvent donner lieu à
réparation des préjudices subis ;
SUR LA RESPONSABILITE DE L'ETAT MALAGASY :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la Société requérante a déposé une demande d'autorisation de remblayer le 25 Avril 1991,
demande rejetée 4 ans après par le Ministère des Travaux Publics et de l'Aménagement du Territoire ;
DISCUSSION :
Que les motifs du refus de l'Administration opposé à la demande d'autorisation de remblayer, invoquée dans la lettre du 19 Octobre 1995, ont
trait à la protection contre les crues dans le cadre du projet de développement de la plaine d'ANTANANARIVO, d'où la prise des dispositions
réglementaires telles que l'arrêté interministériel n° 1024/95-MAT/SG/DUHL du 09 Mars 1995 ou le n° 6728/90 du 16 Novembre 1990, «interdisant
tous travaux de remblaiement à l'intérieur des périmètres fermés définis par les voiries et quartier ci-après...» (Article premier de l'arrêté
interministériel n° 1024/95-MAT/SG/DUHL-3/95 du 9 Mars 1995)
Que cependant, les remarques suivantes méritent d'être relevées :
a)- l'article 6-c de l'arrêté interministériel n° 6728/90 du 16 Novembre 1990 stipule que « tous les travaux de remblaiement, de construction,
de terrassement, d'établissement de décharges et généralement tous ouvrages pouvant entraîner une modification de la configuration du sol dans
les zones d'enquête, sont soumis à autorisation préalable du Service Provincial de l'Equipement d'ANTANANARIVO» ; que d'autre part, l'article
premier de l'arrêté interministériel n° 1024/95-MATM/SGDUHL.3/95 du 09 Mars 1995 dispose que «...tous les travaux de remblaiement sont
interdits à l'intérieur des périmètres fermés définis par les voiries et quartiers ci-après»... ; que entre 1990 et 1995 donc, les travaux de
remblaiement étaient encore autorisés, après aval préalable de Service Provincial de l'Equipement ; que c'est ainsi que la demande
d'autorisation de remblaiement de la Société ZITAL du 06 Juin 1991 portant sur un terrain de 75.000 m2, sis à Ankorondrano ainsi que celle du
29 Avril 1992 du Sieur RAKOTOARIJAONA Claude sur un terrain à Ag, ont toutes obtenus une suite favorable, à l'exception de la
demande faite par l'O.C.M le 26 Avril 1991, alors même que les périmètres à remblayer sont tous compris dans les zones concernées par les
travaux d'urbanisme ;
b)- que la demande d'autorisation de remblaiement formulée par la Société ZITAL le 04 Juin 1991 a eu son aval le 06 Juin 1991, soit deux jours
après son dépôt ; que de même, la demande du Sieur RAKOTOARIJAONA Claude faite le 29 Avril 1992, fut accessible favorablement le 13 Juillet
1992 ; soit moins de 3 mois après son dépôt, alors que celle de l'OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR en date du 26 Avril 1991, a été refusée,
seulement 4 ans plus tard, par lettre en date du 19 Octobre 1995 ;
c)- que la décision de refus de l'Administration opposée à la demande d'autorisation de remblaiement de l'O.C.M a été prise bien après la
publication de l'arrêté interministériel de 09 Mars 1995, lequel interdit dorénavant tous travaux de remblaiement ; que cependant, il
semblerait que cet arrêté interministériel constitue le justificatif du refus de l'Administration, si en 1991, année de dépôt de la demande
d'autorisation, les travaux de remblaiement n'étaient pas encore interdite mais permis après autorisation principale du Service Provincial de
l'Equipement d'ANTANANARIVO ;
d)- que toutes les tentatives tendant à trouver une solution de recharge furent vouées à l'échec ; qu'en effet, la proposition d'échange de
terrain, la demande de levée de l'interdiction de remblai, la procédure d'une expropriation pour cause d'utilité publique, n'ont reçu aucune
suite ;
Qu'en résumé, l'OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR devient propriétaire d'un terrain marécageux dont le remblaiement est interdit, donc
inutilisable, et aux conséquences inestimables : impossibilité d'une mise en valeur, abandon du projet immobilier ;
Considérant que dans son mémoire en défense, l'Etat Malagasy fait remarquer que, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'arrêté
interministériel n° 6728/90 du 15 Novembre 1990, «les terrains à vocation agricole ne peuvent changer de destination» ;
que cependant, il ressort des pièces du dossier que la propriété «TANANA SOA MANAMBINA» a été incluse dans la zone réservée à l'urbanisation,
selon l'avis favorable du Ministre de l'Agriculture et du Patrimoine Foncier en date du 18 Novembre 1990, zone réservée à l'habitation à faible
densité, tel qu'il est précisé par la lettre n° 363-SRP-CH/-/89 du 07 Février 1989 émanant du Ministre des Travaux Publics ;
Qu'il résulte de ce qui précède que s'il est indéniable que l'Administration est seul juge d'opportunité dans l'octroi d'autorisation de
remblaiement, un tel octroi doit, se faire dans un souci d'égalité de traitement ;
qu'en effet, et d'une part, toutes les demandes d'autorisation formulées par les propriétaires voisins ont eu une suite, quelques jours ou
quelques mois après leurs dépôts alors que l'OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR a fallu attendre plus de 4 ans après pour voir sa demande refusée
; que d'autre part, toutes les parcelles dont le remblaiement a été autorisé, font partie des périmètres formés prévus par l'arrêté
interministériel n° 6728/90 du 16 Novembre 1990 ; qu'en accordant des autorisations de remblaiement à d'autres pétitionnaires, l'Administration
n'a pas respecté le principe d'égalité de traitement devant le service public et a entre passé ses pouvoirs ; que de tels agissements engagent
sa responsabilité ; que dès lors, la Société requérante est fondée à demander réparation ;
SUR LE PREJUDICE :
Considérant que l'OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR prétend avoir subi des préjudices du fait du traitement inégalitaire dont il fut victime ;
qu'il résulte des pièces versées au dossier que ces préjudices portant essentiellement sur l'immobilisation du terrain et l'impossibilité de
mise en valeur, sur l'immobilisation des capacités de travail et enfin sur le manque à gagner ; qu'il fait valoir qu'à défaut de remblaiement,
le terrain, marécageux, deviendrait inutilisable et irrécupérable car il ne servirait à rien, sans aucune possibilité de mise en valeur à
envisager ; que c'est ainsi qu'il a fait appel aux services de la Société d'Etudes, de Conseils d'expertise, S.E.C.E aux fins de procéder à une
évaluation de la valeur vénale dudit terrain, tel qu'il est précisé par le rapport d'expertise du 21 Décembre 1998, versé au dossier :
Superficie : 41ha 55a 96ca ;
Surface remblayée : 6225 m2
Surface restante : 40937 m2
Evaluation de l'ensemble du terrain : 55.395.980.000 FMG
(coeficient conjonctuel ) x 1,2
Valeur vénale totale : 66.476.376.000 FMG
Que par ailleurs, la Société requérante affirme que par le biais de l'entreprise Groupement Immobilier de Madagascar, G.I.M., elle a projeté
d'implanter sur la propriété «TANANA SOA MANAMBINA», des travaux de construction et de production immobilière (zones d'habitation sociale et
résidentielles et commerciales) ;
qu'à cet effet, elle a déjà investi dans l'achat des matériels, engins, véhicules en tous genres en vue de l'exécution desdits travaux ; qu'un
procès-verbal d'huissier en date du 21 Juillet 1992 ainsi que des dossiers relatifs à leurs importations ont été jointes à la présente requête
; que ces matériels et engins de travaux publics sont pour la plupart très sophistiqués et très coûteux et ne peuvent servir à d'autres fins ;
que l'immobilisation de ces capacités de travail lui cause un préjudice considérable ; qu'enfin, la Société requérante soutient que
l'immobilisation du terrain et l'immobilisation des capacités de travail engendre un manque à gagner conséquent ;
SUR LE QUANTUM :
Considérant que l'OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR sollicite le paiement de la somme de 75 Milliards de FMG à titre de dommages-intérêts,
comprenant entre autres le montant de la valeur venale totale du terrain, soit 66.476.376.000 FMG ;
Que cependant, de telles prétentions s'avèrent exagérées et excessivement élevées ; qu'en effet, bien que marécageux et nécessitant un
remblayage pour être opérationnel, le terrain dans sa totalité, reste toujours la propriété de la Société et non, vendu ; que d'autre part, une
partie de la surface totale, soit 6225 m2 étant déjà remblayés, la demande de dédommagement ne saurait donc concerner que la partie restante,
soit 409.000 m2, basée essentiellement sur l'immobilisation du terrain vendu inutilisable, sur l'immobilisation des capacités de travail, sur
le manque à gagner résultant de la non réalisation du projet immobilier ; qu'en aucune manière donc, la société requérante n'est à demander le
montant de la valeur vénale totale du terrain ;
1)- Sur l'immobilisation du terrain et des capacités de travail :
Considérant que le dédommagement a été calculé en raison de 150.000 FMG le m2 ; que même si cette valeur a été retenue et proposée par le livre
document «INVESTIR A MADAGASCAR» publié par l'Organisation des Ad Aa pour le Développement Industriel, année 1996 (chapitre B : Coûts
de facteurs, Mai 1996, p. 20, relatifs aux terrains et constructions), dont les sources des données proviennent en partie des Services des
Domaines, il demeure pas moins qu'une telle prétention s'avère éxagérée et doit être ramenée à de justes proportions ;
Qu'il sera donc fait une juste appréciation de ce chef de demande en allouant à l'OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR un dédommagement à raison de
60.000 FMG le m2, soit :
60.000 FMG x 409.000 = 24.640.000.000 FMG
2)- Sur le manque à gagner :
Considérant que selon les dires de la Société requérante, le manque à gagner résulterait de la non réalisation du projet immobilisé
(immobilisation du terrain et immobilisation des capacités de travail) ;
Que l'analyse du compte d'exploitation provisionnel versé au dossier permet d'arriver aux conclusions suivantes ;
unité : Millions de FMG
Ae Ab : Année 1990 : (1990) ! - Résultat
Année 1991 : (1890) ! négatif
Année 1992 : 2000
Année 1993 : 3260
Année 1994 : 3038
Que le cash flow ou capacité d'auto-financement représentant le montant des ressources réelles dégagées par l'entreprise à partir
de son
activité courante, est obtenu par la différence entre les produits encaissables et les charges décaissables et permet de rénumérer les capitaux
investis, de rembourser les emprunts, de financer le renouvellement des investissements, d'augmenter le fond de roulement net global... il
permet donc de développer et de maintenir le potentiel économique de l'entreprise ;
Qu'ainsi, de 1990 à 1994, l'entreprise Groupement Immobilier de Madagascar aurait dû avoir un cash flow de :
(2080 + 3260 + 3038) - (1990 + 1890) = 4498 millions FMG si le projet immobilier était réalisé ; que ce cash flow représente donc, dans le cas
d'espèce, le manque à gagner, à défaut de réalisation dudit projet ;
Que dans ces conditions, il échet de condamner l'Etat Malagasy à payer au profit de la Société OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR, la somme de
29.038.000.000 FMG, toutes causes confondues ;
P A R C E S M O T I F S,
D é c i d e :
Article premier : A Af est condamné à payer à la Société OMNIUM COMMERCIAL DE MADAGASCAR, la somme de VINGT NEUF MILLIARDS, TRENTE
HUIT MILLIONS DE FRANCS MALAGASY ( 29.038.000.000 FMG ) ;
Article 2 : Les dépens sont mis à la charge du Trésor Public ;
Article 3 : Expédition du présent arrêt sera transmise à Monsieur le Directeur de la Législation et du Contentieux et à la Société requérante ;