N° 1
18 janvier 2002 248/00-COM
1) BANQUE. L'ENCAISSEMENT. REGLES UNIFORMES RELATIVES AUX ENCAISSEMENTS (R.U.E). NON APPLICATION PAR LA BANQUE. PORTEE.
2) BANQUE. QUALITE
1°- Une banque ne peut se référer aux dispositions des «Règles uniformes relatives aux encaissements» (R.U.E) pour dégager sa responsabilité alors qu'elle-même avait écarté l'application desdites règles et usages dans ses relations d'affaires depuis des années avec un client.
2°- L'étendue des obligations de la banque s'apprécie à chaque stade des opérations commerciales; la banque agit en qualité de mandataire dabs le cadre de la remise documentaire en tant que propriétaire lors d'une opération d'escompte.
La Cour,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi de la BNI-Crédit Lyonnais de M/car ayant son siège social Rue du 26 juin 1960 Ad Af, et élisant domicile … l'étude de son conseil Maître Chantal Razafinarivo, Avocat à la Cour, contre l'arrêt, °64 de la Chambre Commerciale de la Cour d'Appel d'Antananarivo, rendu le 11 mai 2000 dans le différend l'opposant à Ac Aa Ag ;
Vu les mémoires en demande et en défense produits respectivement par Maître Chantal Razafinarivo et Maîtres Félicien, Hanta et Koto Radilofe, avocats, Conseils des parties ;
Sur le premier moyen de cassation tiré de la violation des articles 180 et 410 du CPC, contradiction de motifs, violation de la loi, en ce que d'une part, les Ae Ac Aa Ag ont remis à l'agence BNI-CL deux ordres d'encaissement et les documents relatifs à l'envoi de deux lots de vanille les 15 et 17 mai 1998, d'une valeur respective de 230.000 et 315.000 USD et que les dispositions des articles 2,3 et 20 des « Règles uniformes relatives aux encaissements » (R.U.E) sont opposables aux Ae Ac Aa Ag, et d'autre part, la BNI-CL ne saurait se référer aux dispositions de R.U.E. pour dégager sa responsabilité alors que une telle contradiction de motifs est assimilée à une absence de motifs et qu'en conséquence, la Cour a violé les articles 180 et 410 du Code de Procédure Civile ;
Attendu que la BNI-CL fait grief à l'arrêt déféré de s'être contredit en relevant d'une part que les Ae Ac Aa Ag ont remis à l'agence BNI-CL de Ab deux ordres d'encaissements et les documents d'expédition relatifs à l'envoi de deux lots de vanille le 17 mars et 15 mai 1998, d'une valeur respective de 230.000 USD et 315.390 USD et que les dispositions des articles 2, 3 et 20 des « Règles Uniformes relatives aux encaissements (R.U.E) sont opposables aux Ae Ac Aa Ag, et d'autre part, que la BNI-CL ne saurait se référer aux dispositions des R.U.E pour dégager sa responsabilité ;
Mais attendu que juger des usages bancaires (R.U.E.) opposable à la clientèle bancaire n'exclut pas la possibilité de juger que dans un cas d'espèce, eu égard aux circonstances et faits de la cause, lesdits usages ne sont pas de nature à exonérer le banquier de sa responsabilité ;
Qu'en l'espèce, il ne saurait y avoir contradiction de motifs en ce que pour juger que la BNI-CL ne pouvait se retrancher derrière les R.U.E. pour dégager sa responsabilité, l'arrêt attaqué a préalablement relevé d'une part que les parties sont en relation d'affaires depuis des années et d'autre part, que la BNI-CL elle-même a, dans des cas précédents, agi au-delà des R.U.E. ;
Que dès lors que la BNI-CL, tout en opposant sur les formulaires qu'elle donne à remplir par sa clientèle une clause selon laquelle l'opération sera soumise aux règles et usances bancaires applicables en la matière, avait déjà, dans ses relations avec les Ae Ac Aa Ag, écarté l'application desdites règles et usances, c'est à juste titre que l'arrêt attaqué en a déduit que « la BNI-CL ne saurait se référer aux dispositions des R.U.E. pour dégager sa responsabilité alors qu'elle-même ne les a pas respectées » ;
D'où il suit que le moyen manquant en droit et en fait, ne saurait prospérer ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 180 et 410 du Code de Procédure Civile, contradiction de motifs en ce que d'une part l'arrêt déféré a relevé que la BNI-CL est un mandataire salarié et de ce fait a l'obligation d'agir dans l'intérêt des Ae Ac Aa Ag, lequel intérêt consiste à avoir une traite avalisée en garantie du paiement des deux lots de vanille livrés alors que d'autre part ledit arrêt affirme qu'en escomptant les documents qui lui ont été remis - ce qui a pour conséquence un transfert de propriété à son égard - la BNI-CL a intérêt à suivre les instructions apposées sur les documents ;
Attendu que le moyen fait grief à l'arrêt déféré d'avoir attribué, dans le traitement des mêmes opérations commerciales la qualité de mandataire et celle de propriétaire à la BNI-CL ;
Attendu qu'une telle analyse procède d'une confusion ; qu'en effet, dans leur appréciation des faits de la cause, les juges du fond ont relevé les étapes successives des opérations litigieuses, et à ce titre, ont relevé qu'à l'origine, il y eu remise des ordres d'encaissements suivie par la suite d'une opération d'escompte et ont pris le soin d'apprécier l'étendue des obligations de la BNI-CL à chaque stade des opérations, jugeant ainsi que dans le cadre de la remise documentaire, la banque agissant en qualité de mandataire, et que par suite de l'opération d'escompte, elle agissait comme propriétaire ;
Qu'il s'ensuit que le moyen, manquant également en fait, est inopérant ;
Sur les 3ème et 4ème moyen de cassation réunis pris de la violation des articles 123 et 125 de la loi relative à la Théorie Générale des Obligations (LTGO), 1984 et 1989 du Code Civil, défaut de base légale, dénaturation de la loi des parties, fausse application de la loi ;
En ce que l'arrêt attaqué a conclu que puisque la BNI-CL a apposé les références de la domiciliation sur les factures de montants respectifs de 315.190 USD en date du 27 avril 1998 et 230.000 USD en date du 3 mai 1998, elle a donc vu les instructions litigieuses mentionnées dans lesdites factures et que si elle a vu les inscriptions portées sur les documents énumérés dans les ordres d'encaissement, elle en a tenu compte ;
Alors d'une part que le tampon apposé sur chacun des documents annexés aux remises documentaires est une procédure purement interne qui vaut réception des documents, qui n'a aucune conséquence juridique et n'implique aucun examen du contenu de chacune des pièces, et que d'autre part, en toute bonne foi, les Ets Ac Aa Ag savaient depuis une dizaine d'années que le fait par la BNI-CL d'apposer des références sur les factures ne valait pas examen des factures et recherche d'instructions particulières et qu'ils se sont comportés comme des donneurs d'ordre ayant demandé à la banque de délivrer les documents contre acceptation simple des traites (3ème moyen) ;
En ce que la Cour d'Appel a énoncé que la BNI-CL est un mandataire salarié qui a l'obligation d'agir dans l'intérêt des Ets Ac Aa Ag dont l'intérêt consiste à avoir une traite avalisée en garantie du paiement des deux lots de vanille livrés, que les parties sont en relation d'affaires depuis des années et que la BNI-CL aurait dû conseiller les Ets Ac Aa Ag d'inscrire les instructions litigieuses dans les ordres d'encaissement eux- même selon l'article 1er des R.U.E. 322 alors que d'une part, les parties ont choisi de soumettre le mandat salarié conféré à la BNI-CL aux R.U.E 322 selon lesquelles l'obligation de la banque remettante était de procéder à la vérification de l'existence matérielle des documents énumérés et de suivre les instructions claires contenues dans les ordres, et que d'autre part, le contrat liant les parties est un mandat spécial avec des obligations spéciales et particulières sans obligation de conseil, d'autant plus que les Ets Ac sont des professionnels avertis en la matière et alors enfin que l'article 1er des R.U.E. 322 renvoie à la notion de bonne foi et soin raisonnable dans l'exécution par le mandataire des obligations précises, comme la vérification de l'existence matérielle de documents et non à une obligation de conseil ni stipulé par les parties, ni contenues dans les R.U.E. (4ème moyen) ;
Attendu que les deux moyens réunis proposés par la demanderesse ne font que discuter d'éléments et de circonstance de fait dont l'appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond ;
Que de tels moyens qui tentent de remettre en cause cette appréciation souveraine sont inopérants et doivent être écartés ;
Sur le cinquième moyen de cassation tiré de la violation de l'article 233 relative à la Théorie Générale des Obligations (L.T.G.O.), manque de base légale, en ce que la Cour a déclaré que les préjudices réellement subis par les Ets Ac Aa Ag consistent d'une part au non-paiement de la valeur de la vanille exportée et d'autre part, à un manque à gagner par privation de fonds car les Ets Ac Aa Ag ont affirmé qu'ils n'ont pas reçu le règlement de leurs factures alors que l'article 233 de la L.T.G.O. impose aux juges de tenir compte des caractères direct, actuel et certain du préjudice et que les pièces communiquées au cours de la procédure prouvent que des négociations ont eu lieu, que des propositions ont été avancées et « auraient été refusées » par les Ets Ac Aa Ag, et jusqu'à preuve du contraire, restent ouvertes ;
Attendu que le moyen fait grief à la Cour d'Appel d'avoir violé l'article 233 de la L.T.G.O., en n'ayant pas recherché si le préjudice subi par les Ets Ac Aa Ag était certain et actuel ;
Attendu que l'article visé au moyen régit la réparation des dommages extra-contractuels et non celle résultant d'une responsabilité contractuelle comme c'est le cas en l'espèce, les Ets Ac Aa Ag ayant reproché à la BNI-CL une faute dans l'exécution d'un mandat ;
Qu'aux termes de l'article 191 de la L.T.G.O., « le créancier peut invoquer comme éléments de son préjudice la perte qu'il a subie et le gain dont il est privé » ;
Qu'en énonçant que « les préjudices réellement subis par les Ets Ac Aa Ag consistent d'une part au non- paiementt de la valeur des vanilles exportées et d'autre part, à un manque à gagner par privation de ses fonds », la Cour d'Appel a légalement justifié sa décision ;
Que le moyen manquant en droit, est inopérant ;
Par ces motifs,
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la BNI-CL à l'amende et aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour Suprême, Formation de Contrôle, Chambre Civile et Sociale, en son audience publique ordinaire, les jour, mois et an que dessus.
Où étaient présents :
- Ramanandraibe François Xavier, Président de la Formation de Contrôle, Président ;
- Andriamaholy Vonimbolana, Conseiller, Rapporteur ;
- Ravandison Clémentine, Raharinivosoa Sahondra, Lala Andrianasolo Ramiandrarivo, Conseillers, tous Membres ;
- Razafindragosy Romuald, Avocat Général ;
- Razaiarimalala Norosoa, Greffier.
La minute du présent arrêt a été signée par le Président, le Rapporteur et le Greffier.