19981121387
COUR SUPREME DU MALI ********* SECTION JUDICIAIRE *********
2ème Chambre Civile
ARRET N° 387 DU 24 NOVEMBRE 1998
Juridiction de renvoi - pourvoi contre un arrêt conforme à l'arrêt de la Cour Suprême - Contrat de transport - Obligation du transporteur.
En vertu de l'article 608 du CPCCS après cassation, la Cour Suprême renvoie la cause et les parties devant une juridiction du même ordre ou degré que celle qui a rendu la décision annulée ou devant la même juridiction autrement composée, le cas échéant, qui doit se conformer aux indications de l'arrêt de cassation.
Les dispositions susvisées n'interdisent pas le pourvoi même au cas où la juridiction de renvoi se serait conformée à l'avis de la Haute juridiction. Il appert que l'exception d'irrecevabilité est mal fondée et doit par conséquent être rejetée.
Dans le contrat de transport, conformément à l'article 1160 du code de commerce : « L'exécution défectueuse ou l'inexécution du contrat si elle cause préjudice à l'expéditeur ou au destinataire, engage la responsabilité du transporteur, conformément aux dispositions de l'article 1140. Toute entreprise de transport est responsable de tout accident survenu aux marchandises ; que cet accident soit de son propre fait ou du fait d'un tiers. Au cas où l'accident serait le fait de tiers, il appartient au transporteur d'agir par voie de recours contre le ou les responsables de l'accident pour se rembourser les dommages intérêts qu'il aura payés à ses clients. »
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi :
EN LA FORME
Suivant acte n° 28 du 28 février 1997 du greffe de la Cour d'appel de Bamako, il a été enregistré le pourvoi de Maître Sidy Haidara, Avocat, agissant au nom et pour compte de la Société Bally-S.A, contre l'arrêt n° 35 du 26 février 1997 de la Chambre Civile de ladite Cour rendu dans l'affaire ci-dessus spécifiée, arrêt au dispositif conçu ainsi qu'il suit :
« Statuant publiquement, contradictoirement en matière civile et appel et en dernier ressort ; La demanderesse a versé l'amende de cassation suivant certificat n° 139/97 du 28 février 1997. Elle a également produit un mémoire ampliatif qui, notifié à la demanderesse a fait l'objet de réponse, le tout, dans les délais et forme requis par la loi ; de ce qui précède, il appert que pourvoi est recevable en la forme car conforme aux prescriptions légales en vigueur.
En la forme : Reçoit l'appel ;
Au fond : Confirme le jugement entrepris ; Met les dépens à la charge de l'appelant ;
AU FOND ;
PRESANTATION DES MOYENS DU POURVOI
La demanderesse au pourvoi, par l'organe de son conseil a excipé des moyens de cassation ci-après :
1° Du moyen pris de la dénaturation des faits
En ce que la Cour d'Appel a affirmé que le sieur Aa Ab partie au contrat en tant que mandataire de Bally-S.A, était habilité à diriger les opérations de transport des marchandises qui se sont effectivement déroulées suivant ses instructions ; que de ce fait Aa Ab était non seulement le destinataire desdites marchandises toujours pour le compte de la société Bally-S.A ; qu'en reconnaissant à Aa Ab la double qualité, la Cour d'appel a procédé à la dénaturation des faits de la cause, car il résulte de tous les documents de transport que la société Bally-S.A était destinataire desdites marchandise ; qu'il échet de censurer cette dénaturation des faits à laquelle se sont livrés les juges de la Cour d'appel en violation de la loi ;
2° Du moyen tiré de la violation de l'obligation pour le transporteur d'assurer la garde et la conservation de la chose à transporter :
En ce que la Société Bally-S.A et Frères, quand bien même Aa Ab agissait en lieu et place de Bally-S.A, avait l'obligation de transporter la marchandise à bon port, c'est-à-dire la remettre au destinataire indiqué dans le document ; que dans le cas d'espèce la société Sylla a failli à cette obligation et demeure responsable vis-à-vis de Bally-S.A qui était destinataire des marchandises.
3° Du moyen tiré de la violation des articles 1147, 1156 et 1160 du Code de Commerce :
En ce que les articles 1147 et 1156 du Code de commerce prescrivent au transporteur de ne remettre les marchandises transportées qu'au destinataire désigné dans le titre de transport ; que l'article 1156 précise même que « si la simple détention du titre peut s'interpréter comme la preuve d'un mandat donné au porteur, le transporteur doit exiger que les pouvoirs du tiers détenteurs du titre soient établis de façon certaine, car toute livraison faite par erreur engage sa responsabilité ; que dans le cas d'espèce bien que Bally-SA soit désignée comme destinataire des marchandises, le transporteur a remis celles-ci à une tierce personne, autre que celle mentionnée dans le titre de transport, engageant ainsi sa responsabilité ;
Que l'arrêt attaqué ayant cautionné cette violation de la loi mérite d'être censuré.
En ce que par ailleurs l'article 1160 du Code de commerce que l'arrêt querellé invoque comme cause d'exonération, engage au contraire la responsabilité du transporteur ; qu'il y a également violation de cette disposition par la Cour d'appel.
La société Sylla et Frères, par l'organe de son conseil, maître Alassane Diallo, avocat, a rétorqué ainsi qu'il suit aux moyens du pourvoi ;
In limine litis la défenderesse a soulevé l'irrecevabilité du pourvoi aux motifs que la juridiction de renvoi s'est conformée à l'avis de la Cour Suprême, et ce, en application de l'article 608 alinéas 1 et 2 du CPCCS.
Concernant le premier moyen tiré de la dénaturation des faits, la défenderesse l'a réfutée et soutenue que Bally-SA n'était pas partie au contrat, mais plutôt Aa Ab son mandataire, et ce en application des articles 1140 et 1160 du Code de commerce.
S'agissant du moyen tiré de la violation des article 1147 et 1156 du Code de Commerce, la défenderesse a rétorqué que son cocontractant Aa Ab a réceptionné les marchandises à Bamako et n'a formulé aucune réserve ; qu'après la saisie des camions de la société Sylla et Frères, il a dégagé toute responsabilité ; que Bally-SA ne peut s'en prendre qu'à son mandataire et n'a aucune qualité à pratiquer saisie foraine contre la défenderesse ;
Qu'il échet de rejeter le pourvoi comme mal fondé ;
B-ANALYSE DES MOYENS DU POURVOI
1° L'exception d'irrecevabilité
La demanderesse soulève in limine litis l'irrecevabilité du pourvoi, du fait que la juridiction de renvoi s'est conformée à l'avis de la Cour Suprême qui a cassé le premier arrêt. Elle exciper à cet effet les dispositions de l'article 608 du CPCCS ainsi conçu : « Après cassation, la Cour Suprême renvoie la cause et les parties devant une juridiction du même ordre ou degré que celle qui a rendu la décision annulée ou devant la même juridiction autrement composée, le cas échéant, qui doit se conformer aux indications de l'arrêt de cassation.
Si la juridiction saisie après cassation ne se conformait pas au point de droit tranché par l'arrêt, la Cour sur un second pourvoi régulier, statue en fait et en droit ;
Les dispositions susvisées n'interdisent pas le pourvoi même au cas où la Cour de renvoi se serait conformée à l'avis de la Haute juridiction. Il appert que l'exception d'irrecevabilité est mal fondée et doit par conséquent être rejetée ;
2° Du moyen tiré de la dénaturation des faits
En ce que la Cour d'Appel a affirmé que Aa Ab est non seulement expéditeur des marchandises mais également en est le destinataire pour le compte de Bally-SA, alors que rien ne corrobore ces assertions dans le contrat de transport.
Qu'en effet, il y a lieu d'observer que sur les documents de transports se trouvant à la côte 5 du dossier d'appel (documents douaniers) il est indiqué que A Ac est l'importateur et le destinataire réel des marchandises ; que par conséquent, la Cour d'appel en affirmant que Aa Ab est non seulement l'expéditeur des marchandises mais aussi le destinataire même si c'est toujours pour compte de la société Bally-SA (page 2 verso première et 2ème ligne) a dénaturé les faits de la cause ; que les juges du fond peuvent interpréter les faits de la cause sans toutefois les dénaturer ; toute dénaturation des faits constitue une violation de la loi devant être censurée.
3° Du moyen tiré de la violation de la loi
Les moyens tirés de la violation des articles 1147, 1156 et 1160 peuvent s'analyser ensemble car traitant tous des obligations incombant au transporteur. Ces articles disposent :
-Article 1147 : « Lorsque le titre de transport est régulier, il établit un contrat entre le transporteur, l'expéditeur et le destinataire, il en résulte que le transporteur n'est tenu à l'égard de ce dernier que de la présentation des marchandises ou objets qui y sont énoncés.
Si le poids seul est mentionné, le transporteur ne répond pas du contenu, mais la possibilité de faire la preuve d'une erreur matérielle est admise. Il en résulte également que le transporteur ne peut remettre les marchandises qu'au destinataire désigné dans le titre de transport » ;
-Article 1156 : « A l'arrivée à destination, le transporteur ne doit remettre la chose, objet du contrat, qu'à la personne indiquée sur le titre de transport. Cette personne peut être le destinataire primitif ou son mandataire ou toute autre personne bénéficiaire d'une transmission régulière. La simple détention du titre peut s'interpréter comme la preuve d'un mandat donné au porteur, mais le transporteur doit exiger que les pouvoirs du tiers détenteur du titre soient établis de façon certaine car toute livraison faite par erreur engage sa responsabilité » ;
-Article 1160 : « L'exécution défectueuse ou l'inexécution du contrat si elle cause préjudice à l'expéditeur ou au destinataire, engage la responsabilité du transporteur, conformément aux dispositions de l'article 1140. Toute entreprise de transport est responsable de tout accident survenu aux marchandises, que cet accident soit de son propre fait ou du fait d'un tiers. Au cas où l'accident serait le fait de tiers, il appartient au transporteur d'agir par voie de recours contre le ou les responsables de l'accident pour se faire rembourser les dommages intérêts qu'il aura payés à ses clients » ;
Les documents douaniers versés au dossier (côte 5) constituent à n'en pas douter des titres de transport réguliers car non contestés par aucune des parties.
En application de l'article 1147 du Code de commerce il est crée des liens juridiques impliquant la société Sylla et Frères, Aa Ab et Bally-SA. La défenderesse est donc malvenue à dénier tout lien juridique entre elle et Bally-SA.
Bally-SA étant désignée comme destinataire des marchandises, la société Sylla et Frères sans mandat exprès de Bally-SA ne devrait donc pas livrer lesdites marchandises à Aa Ab, fut-il l'expéditeur. Sa responsabilité demeure donc engagée en application de l'article 1147 du Code de commerce. Ce point de vue est conforté par l'article 1156 du Code de commerce et également par l'article 1160 du même Code qui ouvre au profit du transporteur, un recours contre les tiers en cas d'accident survenu au cours du transport ;
Il résulte des dispositions qui précèdent, que Aa Ab l'expéditeur ne peut, par ses déclarations disculper la Société Sylla et Frères qui n'aurait pas dû lui livrer les marchandises sans mandat clair du destinataire ; que contrairement à ce qu'affirme la Cour d'appel de Bamako, les dispositions de l'article 1160 du Code de commerce ne renferment pas une cause d'exonération en faveur du transporteur ;
Ces causes, prévues à l'article 1161 du même Code portent sur les vices propres de la marchandise, la force majeure et le fait de l'ayant droit, aucun de ces cas n'est applicable en l'occurrence, Aa Ab n'étant pas une ayant droit du destinataire ;
De tout ce qui précède, il appert que la Cour d'Appel a violé les articles visés par le demandeur qui doit être reçu en ses moyens qui sont pertinents.
La cause revient devant la Cour Suprême après cassation d'un premier arrêt dans la même affaire entre les mêmes parties procédant en la même qualité, avec des moyens différents ; l'examen du pourvoi, en application de l'article 29 de la loi 96-071 du 16 décembre 1996 relève de la chambre civile compétente.
PAR CES MOTIFS : En la forme : Reçoit le pourvoi ; Au fond : Casse et annule l'arrêt déféré ; Et pour faire droit, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bamako autrement composée ; Ordonne la restitution de l'amende de consignation ; Met les dépens à la charge du Trésor Public. Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER