19990517132
COUR SUPREME DU MALI SECTION JUDICIAIRE Chambre Civile
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POURVOI N 34 DU 29 MAI 1996. ARRET N° 132 DU 17 MAI 1999
RECLAMATION DE BIENS SUCCESSORAUX -FEMME HERITIERE -PRATIQUE COUTUMIERE -COUTUME MUSULMANE LOCALE
Attendu qu'il est constant que la matière est coutumière et qu'il existe au Mali, plusieurs coutumes non encore codifiées ; qu'en matière de partage ou de réclamation de biens successoraux c'est la coutume des parties qui s'applique.
Attendu que les pratiques coutumières sont différentes suivant les ethnies, le milieu, les terroirs et conditions sociales.
Attendu que ce n'est pas la charia dérivée du coran qui s'applique à toutes les ethnies du pays.
Attendu que la République laïque et l'islam n'exclut pas l'existence de pratiques coutumières séculaires diverses.
Attendu qu'il a été reconnu par l'ensemble des notabilités du village de Z que les biens fonciers sont intransmissibles pour cause de décès aux héritiers de sexe féminin.
Attendu que le but de cette pratique séculaire est la volonté exprimée de conserver jalousement les terres, seules véritables richesses en milieu rural, dans la lignée mâle, les femmes étant appelées par transfert à enrichir le patrimoine foncier de leur époux au préjudice de la famille d'origine.
Attendu qu'en pareille circonstance (défaut d'héritiers mâles) les biens immobiliers fonciers du décujus tombent dans le patrimoine de la collectivité sous la responsabilité et la gestion du chef de village.
Attendu que ce système appelé « Beïtal » est identique à la succession vacante avec terres sans propriétaire dont la gestion est confiée au chef de village qui devient ainsi le curateur.
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
EN LA FORME :
Par acte N° 34 reçu au greffe de la Cour d'Appel de Mopti le 29 Mai 1996, le nommé Ad Aa Y, chef de village de Z, Arrondissement Central de Ab, a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt N° 63 rendu contradictoirement le même jour par la chambre civile de ladite Cour dans une instance en réclamation de biens successoraux qui l'oppose à la dame X AG B.
Le demandeur a consigné le 21 Janvier 1997 et produit mémoires ampliatifs sous les plumes de ses Conseils Maîtres Mahamadou SIDIBE et « ETUDE C»
Par son mémoire parvenu au greffe le 24 Février 1997, Maître Simon Lougué pour le compte de la défenderesse a répliqué et a conclu au rejet du pourvoi. Toutes les exigences de la loi ayant été respectées, le pourvoi est recevable en la forme.
AU FOND :
A cet état, la cause présentait à juger les points de droit soulevés par le mémoire rédigé par le Conseil Maître Mahamadou SIDIBE qui a été notifié à la défenderesse, celui produit par l'Etude C étant forclos et ce pour cause de retard dans la constitution et d'envoi au greffe dans le délai imparti par la loi et qui a l'analyse, est une reprise du mémoire de Maître SIDIBE.
A) MOYENS PRESENTES PAR LE DEMANDEUR :
A l'appui de son action, le demandeur sous la plume de son Conseil Maître SIDIBE a présenté deux moyens de cassation :
1)Premier moyen pris aux motifs d'une interprétation erronée des faits et mauvaise appIication de la coutume, défaut de base légale et de motifs :
En ce qu'il n'existe pas au Mali de coutumes codifiées ou homogènes ; qu'ainsi chaque milieu a ses pratiques coutumières ;
Que la Cour d'Appel de Mopti a considéré au mépris de la tradition du milieu que toutes les pratiques coutumières dans la région de Ac sont les mêmes, c'est à dire l'application du coran alors qu'il est constant que les pratiques coutumières varient d'un milieu à un autre ; Qu'ainsi, le cercle de Ab dont relèvent les parties, a ses pratiques coutumières différentes de Goundam, du cercle de Ac ;
Qu'ainsi, les croyances aux pratiques de l'islam n'excluent pas l'existence de certaines pratiques coutumières séculaires contraires ;
Qu'il résulte du dossier que l'ensemble des responsables du village de Z a reconnu que les biens immobiliers notamment les champs et les maisons sont intransmissibles pour cause de mort aux héritiers femelles ; qu'en pareil cas, ces biens tombent dans les « Béïtals du Que conformément à la coutume, le Chef de village a concédé une partie des champs à la défenderesse unique héritière du decujus AG A pour sa subsistance ; Que la Cour a déduit de cette bienfaisance de la part du mémorant comme une reconnaissance de la propriété de la défenderesse sur les lieux litigieux ;
Qu'il en résulte que la Cour a fait une mauvaise application de la coutume des parties et une interprétation erronée des faits ; d'où la censure de la Cour Suprême pour défaut de motifs et manque de base légale.
2)Second moyen pris du défaut de réponse à chef de demande et violation de l'article 423 du code de procédure civile, commerciale et sociale.
En ce qu'il résulte du dossier que la défenderesse n'a produit aucune pièce pour justifier de sa qualité à agir en justice pour revendiquer la succession laissée par feu AG A.
Que l'exception de défaut de qualité a été soulevée par l'intimé que la Cour s'est fondée sur certains gestes faits en faveur de la défenderesse pour présumer qu'elle justifie déjà de sa qualité alors que cette qualité doit être justifiée par un jugement d'hérédité ; Qu'il résulte du dispositif de l'arrêt querellé que la Cour n'a pas répondu à ce chef de demande dans son dispositif conformément à l'article 430 al 2 du code de procédure civile commerciale et sociale ;
Qu'il résulte enfin du dernier considérant que l'arrêt a fait ressortir le point de vue des Assesseurs alors que le secret des délibérations oblige l'anonymat ; Qu'ainsi de ce qui précède, l'arrêt déféré mérite la censure de la haute juridiction.
B) EXAMEN ET ANALYSE DES MOYENS DE CASSATION PRESENTES:
Attendu que suivant arrêt N° 63 du 29 Mai 1996, la chambre Civile de la Cour d'Appel de Mopti siégeant en matière coutumière, a infirmé le jugement N° 6 du 13 Avril 1995 suivant lequel le Tribunal Civil de Ab avait reconnu le droit du domaine public sur les champs et la concession litigieuse en raison de la coutume du milieu, à l'exception d'un champ consenti par le chef de village à la défenderesse pour sa subsistance ;
Que statuant à nouveau, la Cour d'Appel n'a pas cru devoir méconnaître la qualité d'héritière de l'intimé en disant que X AG B est propriétaire de six champs, d'un jardin et d'une concession sise à Z à elle légués par son feu père AG A conformément à la coutume coranique de la zone de Ac où la Charia est appliquée.
Que le demandeur Ad Aa Y en sa qualité de Chef de village de Z, s'est régulièrement pourvu en cassation contre l'arrêt en invoquant les moyens de cassation présentés ci-dessus et qu'il échet d'examiner et d'analyser pour en tirer les conséquence de droit.
Attendu qu'il est constant que la matière est coutumière et qu'il existe au Mali, plusieurs coutumes non encore codifiées ; qu'en matière de partage ou de réclamation de biens successoraux c'est la coutume des parties qui s'applique ;
Attendu que les pratiques coutumières sont différentes suivant les ethnies, le milieu, les terroirs et conditions sociales ;
Attendu que ce n'est pas la charia dérivée du Coran qui s'applique à toutes les ethnies du pays ;
Attendu que la Cour dans son Arrêt, affirme que la zone de Ac dont fait partie Ab, applique le Coran dans le partage de la succession ;
Attendu qu'il est constant que la coutume change suivant que les parties sont Peulhs, Sonrhaï, Tamasheq, Arabes nobles, Esclaves ou de caste ; Que dans la région administrative de Ac, les coutumes sont différentes dans les cercles de Goundam, Rharous, Ac, Ab ;
Attendu que la République est laïque et l'islam n'exclut pas l'existence de pratiques coutumières séculaires diverses ;
Attendu qu'il a été reconnu par l'ensemble des notabilités du village de Z (chef de village, Conseillers, Imam) que les biens fonciers (champs, jardins, maison d'habitation) sont intransmissibles pour cause de décès aux héritiers de sexe féminin ;
Attendu que le but de cette pratique séculaire est la volonté exprimée de conserver jalousement les terres, seules véritables richesses en milieu rural, dans la lignée mâle, les femmes étant appelées par transfert à enrichir le patrimoine foncier de leur époux au préjudice de la famille d'origine ;
Attendu qu'en pareille circonstance (défaut d'héritiers mâles) les biens immobiliers fonciers du décujus tombent dans le patrimoine de la collectivité (domaine public) sous la responsabilité et la gestion du chef de village ;
Attendu que ce système appelé « Béïtal » est identique à la succession vacante avec terres sans propriétaire dont la gestion est confiée au chef de village qui devient ainsi le curateur ;
Attendu qu'il ressort de l'examen du dossier que le vieux AG A B en mourant a laissé en plus d'une veuve qui s'est vue confiée la concession, une unique fille dame X AG a laquelle, le Chef de village a concédé un champ de culture pour sa subsistance et ce conformément à la coutume du milieu ; que la Cour ne saurait nullement assimiler cela à une quelconque reconnaissance par le mémorant de la qualité de seule et unique héritière de la défenderesse ;
Attendu que même dans l'hypothèse de l'application de la loi musulmane (Coran ou Sunna) la femme héritière unique est réservataire de la moitié et ne peut à elle seule épuiser la succession ;
2)Du second moyen pris du défaut de réponse à chef de demande et violation de l'article 423 du code de procédure civile, commerciale et sociale.
Attendu que le mémoire reproche le défaut de qualité à la défenderesse pour ester en justice et revendiquer la succession de feu son père AG A ;
Attendu qu'il ne ressort pas de l'examen des pièces du dossier que le demandeur en première instance, ait soulevé « in limine litis » la question ;
Qu'il est mal venu à soulever en Appel cette question préjudicielle, alors même qu'il a reconnu lui-même que la dame X AG est la fille unique de feu AG A, en conséquence, cette branche du moyen est à écarter.
Attendu que dans cette seconde branche du moyen, le demandeur reproche à l'arrêt d'avoir fait ressortir le point de vue des Assesseurs dans la formation collégiale statuant en matière coutumière ;
Attendu par ailleurs, qu'il ne ressort pas de l'examen des pièces du dossier qu'une ou plusieurs membres de la formation de jugement aient manifesté leurs sentiments à l'audience ou violé le secret des délibérations tel que prévu par l'article 423 du code de procédure civile, commerciale et sociale ;
Attendu que cette seconde branche est moins heureuse que la première et en conséquence ce moyen est à écarter.
PAR CES MOTIFS
En la forme : reçoit le pourvoi. Au fond : casse et annule l'arrêt déféré. Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Mopti autrement composée. Ordonne la restitution de l'amende de consignation. Met les dépens à la charge du trésor public.
Ainsi fait jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER. /.