19991123304
COUR SUPREME DU MALI SECTION JUDICIAIRE 2ème Chambre Civile
POURVOI N° 29 DU 20 NOVEMBRE 1997. ARRET N° 304 DU 23 NOVEMBRE 1999
DROIT DOMANIAL ET FONCIER-POSSESSION COUTUMIERE
Article 127 du code domanial et foncier « les terres non immatriculées, détenues en vertu des droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement, font parties du domaine privé de l'Etat.
L'exercice des dits droits coutumiers et conféré pour autant que l'Etat n'ait pas besoin des terres sur lesquelles ils s'exercent. »
Article 128 « les droits coutumiers, collectifs ou individuels ne peuvent être transférés ou modifiés qu'au profit de collectivités ou d'individus susceptibles de posséder les mêmes droits en vertu des règles coutumières et seulement dans les conditions et limites qu'elles prévoient » .
Attendu que par rapport à ces dispositions légales, il n'est pas contesté que depuis plus de quatre vingt cinq ans, la famille B a occupé la portion de terre litigieuse et qu'elle a exercé des droits coutumiers par des mises en valeur effectives matérialisées par des constructions à usage d'habitation qui leur confèrent une emprise évidente et permanente sur la tenure du sol.
Attendu que le défendeur au pourvoi ne conteste pas le bien fondé de cette occupation paisible et permanente des lieux par les B pendant plus d'un demi siècle mais s'emploie à affirmer qu'à l'origine le terrain litigieux avait été prêté par ses ancêtres aux B.
Attendu à cet égard que l'article 129 du code domanial et foncier, en son dernier alinéa, dispose formellement que « les chefs coutumiers qui règlent les coutumes l'utilisation de la terre par les familles ou les individus ne peuvent en aucun cas se prévaloir de leurs fonctions pour revendiquer d'autres droits sur le sol que ceux résultant de leur exploitation personnelle en conformité avec la coutume.
Attendu qu'en occultant les dispositions d'ordre public du code domanial et foncier ci-dessus spécifiées pour déclarer dans les motifs de l'arrêt querellé que Af B n'a pas le transfert de propriétaire coutumière des A sur la parcelle litigieuse à son feu père », la cour d'appel a manifestement violé l'esprit et la lettre des textes de loi visés aux moyens.
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi :
EN LA FORME :
Par acte en date du 20 Novembre 1997 Ae Ab B, agissant au nom et pour le compte de Af B et Frères, a déclaré se pourvoir en cassation contre
l'arrêt n°74 rendu le 19Novembre 1997 par la Cour d'Appel de Kayes dans une instance de litige de terre opposant ses mandats à Ag A ; Les demandeurs ont acquitté l'amende de consignation et produit mémoire ampliatif qui a été notifié au défendeur, qui n'a pas répliqué ; Pour avoir satisfait aux prescriptions de la loi, le pourvoi est recevable en la forme ;
AU FOND :
Présentation des moyens :
Le mémoire ampliatif et les deux mémoires ampliatifs soulèvent les moyens de cassation suivant :
-Premier moyen tiré du manque de base légale : Les mémorants subdivisent ce moyen en deux branches ci-après :
a) Première branche basée sur le non respect de la coutume :
En ce que l'arrêt déféré n'a pas respecté la coutume des parties : de la loi n°88-39/AN RM du 5 Août 1988 portant réorganisation judiciaire en cas d'appel des décisions rendues par les Tribunaux de Première Instance, les sections détachées et les justices de paix à compétence étendue statuant en matière coutumière, la Cour est complétée par les assesseurs de la coutume des parties en l'espèce celle du "Ad" Kirané relevant de la contrée du "Ad" ; et qu'ils ont de plus complété la Cour en leur qualité "d'assesseurs de fait" n'ayant été nommé ni par l'arrêté du Ministre de la Justice ni désigné par ordonnance judiciaire ; Qu'en conséquence l'arrêt doit être cassé ;
b) Deuxième branche du moyen tiré de la non justification de sa décision :
En ce que la Cour n'a pas justifié sa décision en ce sens que s'il est vrai que l'exercice des droits coutumiers est conforme dès lors que l'Etat n'a pas besoin des terres sur lesquels ils s'exercent, il est également vrai que ces droits coutumiers qu'ils soient collectifs ou même individuels ne peuvent être ni transférés, ni modifiés qu'au bénéfice de collectivités ou d'individus pouvant posséder les mêmes droits sur la même terre selon les règles, les conditions et limites de la coutume ;
Qu'il est constant à l'espèce que la famille B a exercé des droits coutumiers sur la portion de terre qu'elle a occupé et que dès lors que l'Etat n'a pas eu besoin de cette portion de terre l'exercice de leur droit coutumier se trouve conforté ;
Qu'il est incontestable que la famille B est détentrice coutumière de la portion de terre sur laquelle s'exerce leurs droits coutumiers ;
Que ce faisant aux termes de l'article 128 du code domanial et foncier ces droits coutumiers ou du moins leur détention coutumière de la portion de terre qu'ils occupent ne peut être transférée ou modifiée qu'au profit d'individus susceptibles de posséder les mêmes droit en vertu des règles coutumières et seulement dans les conditions et limites qu'elle prévient ;
Qu'en décidant que Ag A dit Ac est seul titulaire de droit coutumier sur la parcelle litigieuse, la Cour a modifié les droits coutumiers ou du moins la détention coutumière de la famille B de la portion de terre qu'elle occupe au profit de Ag A sans s'expliquer sur les règles coutumières, les conditions et limites en vertu desquelles cette détention coutumière de la famille B peut être modifiée au profit de Ag A dit Ac ; Que partant, la Cour n'a donc pas donné de base légale à sa décision qui mérite en conséquence la cassation ;
-Deuxième moyen tiré de l'absence de motifs : En ce que la Cour d'Appel, dans ses motifs, a retenu et affirmé que Af B n'a pas prouvé le transfert de cette propriété coutumière au profit de son père ; Qu'en reconnaissant que la famille B est propriétaire des constructions édifiées, la Cour a par cette affirmation reconnue que la famille B est détentrice de la portion de terre ; Que celle-ci occupe de cette façon si l'on sait que seuls les droits coutumiers qui emportent emprise évidente et permanente sur le sol se traduisant par des constructions pouvant être transformées en droit de concession rurale qui est un droit supérieur auquel seule la famille B peut prétendre, alors qu'en déclarant que la propriété coutumière de la famille A sur la parcelle litigieuse reste une réalité mais aussi en reconnaissant que la famille B est détentrice coutumière puisque propriétaire de constructions qui sont édifiées sur sa portion de terre, la Cour a introduit une contradiction dans ses motifs, laquelle équivaut à une absence de motifs ; En conséquence sa décision mérite la cassation
-Troisième moyen pris de la violation du caractère public des droits : En ce que dans le dispositif de l'arrêt attaqué, il est clairement écrit que les débats ont eu lieu en Chambre du conseil comme si le litige relevait des affaires à débattre en Chambre du Conseil tel que le divorce ; Que l'arrêt mérite d'être annulé car violant le grand principe de la publicité des débats d'audience ;
-Quatrième moyen basé sur la dénaturation des faits :
En ce que lorsque le chef de village donne une place à un nouveau venu pour y construire et s'installer dans l'esprit des deux, la place reste acquise définitivement au nouveau venu et que dans le cas d'espèce, la parcelle litigieuse est définitivement acquise aux B ; Qu'en disposant autrement la Cour d'Appel a dénaturé les faits et expose sa décision à la censure de la haute juridiction.
ANALYSE DES MOYENS :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt querellé le manque de base légale, le défaut de base légale, la violation du caractère public des débats et la dénaturation des faits ;
Attendu, sur la première branche du premier moyen tiré du manque de base légale, qu'il est relevé que les assesseurs ayant complété la formation de la Cour d'Appel originaires du Khasso sont plutôt de la coutume Kassonké qu'en la cause la coutume des parties est celle du "Ad Aa" relevant de la contrée du Ad et que les deux assesseurs mis en cause auraient complété la cour en tant qu'assesseurs de fait ;
Attendu que par rapport à ces griefs, l'article 405 du code de procédure civile, commerciale et sociale, dispose que "la juridiction est composée à peine de nullité conformément aux règles relatives à l'organisation judiciaire. Toute fois, les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d'irrecevabilité dès l'ouverture des débats ou dès la révélation de l'irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d'office"
Attendu que dans le cas de figure, il ne résulte pas des notes d'audience versées au dossier que le pourvoyant ait soulevé et fait acter cette contestation à l'ouverture des débats ; Que ce moyen en l'état ne peut prospérer et doit être rejeté ;
Attendu, sur la deuxième branche du moyen tirée de la violation de la loi notamment les violations des articles 127 et 128 du code domanial et foncier, que lesdits articles sont libellés comme suit :
-Article 127 : Les terres non immatriculées, détenues en vertu des droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement, font partie du domaine privé de l'Etat ; L'exercice desdits droits coutumiers est conféré pour autant que l'Etat n'ait pas besoin des terres sur lesquelles ils s'exercent.
-Article 128 : Les droits coutumiers, collectifs ou individuels ne peuvent être transférés ou modifiés qu'au profit de collectivités ou individus susceptibles de posséder les mêmes droits en vertu des règles coutumières et seulement dans les conditions limites qu'elles prévoient ;
Attendu que par rapport à ces dispositions légales, il n'est pas contesté que depuis plus de quatre vingt cinq ans la famille B a occupé la portion de terre litigieuse et qu'elle a exercé des droits coutumiers par des mises en valeur effectives matérialisées par des constructions à usage d'habitation qui leur confèrent une emprise évidente et permanente sur la tenue du sol ;
Attendu que sur ce point, il résulte amplement du témoignage du chef de village de Kirané âgé de 90 ans contenu dans un procès verbal dressé par le chef d'arrondissement de Kirané que "la famille de feu Ab B lui-même et ses enfants y sont nés ;
Attendu que le défendeur au pourvoi ne conteste pas le bien fondé de cette occupation paisible et permanente des lieux, portion détenue par les B pendant plus d'un demi siècle, mais s'emploie à affirmer qu'à l'origine le terrain litigieux avait été prêté par ses ancêtres aux B ;
Attendu à cet égard que l'article 129 du code domanial et foncier, en son dernier alinéa, dispose formellement que les chefs coutumiers qui règlent les coutumes l'utilisation de la terre par les familles ou les individus ne peuvent en aucun cas se prévaloir de leurs fonctions pour revendiquer d'autres droits sur le sol que ceux résultant de leur exploitation personnelle en conformité avec la coutume ;
Attendu qu'en occultant les dispositions d'ordre public du code domanial et foncier ci-dessus spécifiées pour déclarer dans les motifs de l'arrêt querellé que "Af B n'a pas le transfert de propriété coutumière des A sur la parcelle litigieuse à son feu père", la Cour d'Appel a manifestement violé l'esprit et la lettre des textes de loi visés au moyen ; Que cette entorse à la loi emporte la censure de la haute juridiction ; Qu'il s'en suit que la deuxième branche du premier moyen est fort pertinente et doit être accueillie ;
Attendu que la cassation est encourue l'examen des autres moyens soulevés s'avère superfétatoire ;
PAR CES MOTIFS :
En la forme : reçoit le pourvoi ; Au fond : Casse et annule l'arrêt déféré ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Bamako autrement composée ; Ordonne la restitution de l'amende de consignation ; Met les dépens à la charge du trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.