2000041875
COUR SUPREME DU MALI ********* SECTION JUDICIAIRE *********
Chambre civile
POURVOI N° 87 DU 24 DECEMBRE 1998
ARRET N° 75 DU 18 AVRIL 2000
Code Domanial et Foncier - Carnet de terre - Appréciation des juges du fond.
Attendu, outre qu'il est affirmé dans l'arrêt que les parties ont produit des témoignages de part et d'autre qui ont confirmé leur version réciproque des faits, les juges d'Appel ont indiqué que « les carnets de terre institués dans la région de Gao depuis l'époque coloniale l'ont été comme instrument pratique de matérialisation de l'occupation du sol et comme tel, mode de preuve dans la constatation des droits coutumiers. » et, indiqué que « les premiers desquels l'intimé (présentement défendeur) tient ses droits ont bénéficié de leurs carnets. depuis 1955 avant d'être transférés à celui dudit intimé (défendeur) en 1979 » avant de constater qu'il y a emprise évidente et permanente et de juger qu'il y a eu une bonne et saine application de l'article 127 du Code domanial et foncier.
Que ce faisant, il ne peut être reproché à l'arrêt un défaut de base légale.
Sur pourvoi de Ae Ah et autres ayant pour Conseil Maître Moussa Maïga, avocat à la Cour, demandeur au pourvoi ;
D'une part
Contre Ao Am ayant pour conseil Maître Seydou I. Maïga avocat à la Cour, défendeur ;
D'autre part
Vu le rapport du Conseiller Diadié Issa Maïga ; Et les conclusions écrites et orales de l'Avocat Général Aa Af ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
En la forme :
Par acte n° 87 du greffe en date du 24 décembre 1998, Maître Magatte Seye avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de Ae Ah et autres, a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n° 115 rendu le 23 décembre 1998 par la Chambre civile de la Cour d'appel de Mopti dans une instance de litige de terre opposant ses clients à Ao Am.
Suivant certificat de dépôt, les demandeurs ont acquitté l'amende de consignation.
Par l'organe de leur conseil, les demandeurs ont produit mémoire ampliatif qui a été notifié au défendeur qui a répliqué en concluant au rejet ;
Pour avoir satisfait aux prescriptions de la loi, le pourvoi est recevable en la forme.
Au fond :
Le mémorant, par l'organe de son conseil, soulève à l'appui de sa demande les moyens de cassation ci-après :
1° Premier moyen basé sur la violation de la loi :
En ce que l'arrêt attaqué en reconnaissant que l'île de Aj Ar est la propriété du défendeur, de surcroît chef de village de Thirissoro, alors que l'article 129 du Code domanial et foncier qui dispose que « les chefs coutumiers qui règlent selon les coutumes l'utilisation de la terre par les familles ou les individus ne peuvent en aucun cas se prévaloir de leurs fonctions pour revendiquer d'autres droits sur le sol que ceux résultant de leur exploitation » viole les dispositions de l'article sus évoqué et mérite d'être censuré.
2° Deuxième moyen tiré du défaut de motif :
Le mémorant subdivise ce moyen en deux branches.
-a° De la première branche basée sur le défaut de motif proprement dit :
En ce que l'analyse des deux décisions rendues par la Cour d'appel de Mopti dans la même affaire permet de constater que l'arrêt n° 115 du 23 décembre 1998 c'est-à-dire l'arrêt déféré ne contient pas de motifs sérieux pouvant justifier la décision prise.
-b° De la deuxième branche tirée de la contradiction de motifs :
En ce que l'arrêt s'est fondé sur trois éléments à savoir : le croquis des lieux, les carnets de terre et l'emprise évidente et permanente et prétendant que la parcelle litigieuse est la propriété de Ao Am (le défendeur) parce que limitrophe à plusieurs autres occupées par les ressortissants du village de Thirissoro, alors que d'une part, Aj Ar est une île et par conséquent aucune parcelle ne peut lui être contiguë, que d'autre part, avant 1960, deux des sept pères des mémorants se sont faits recenser avec le village de Thirissoro et c'est pourquoi sur le croquis le nom de Thirissoro apparaît sur certains de leurs champs qui avoisinent la zone litigieuse et que parmi ceux qui ont leurs champs proches de Aj Ar il y a des ressortissants des villages de Thirissoro, Ap et Ad puisque tous ces trois villages ont leur terroir confondu, d'autre part encore, les mémorants ont produit au dossier une décision du Chef de subdivision de Gao en date du 12 mai 1956 sur le règlement de litiges dans les quartiers du village de Ap ; que dans ce document, la Djema a indiqué que Aj est réservé à l'installation des paillotes et au pâturage ; que par un rapport en date du 10 février 1997 le Chef d'Arrondissement fait ressortir que Aj Ar a toujours été exploitée par Ae Ah (le damandeur) et consorts et que le champ leur appartient.
Qu'enfin, le seul carnet de terre produit par le défendeur ne peut servir de base juridique pour lui reconnaître la propriété du lieu litigieux surtout qu'il n'existe aucun lien de parenté entre le titulaire des carnets de terre et lui et que l'emprise évidente et permanente soutenue par la décision querellée est sans fondement puisqu'il est établi dans les documents administratifs que c'est en 1998 qu'il a voulu mettre le champ litigieux en valeur d'où la saisine du Tribunal car ledit champ servait de jardin et de pâturage pour les ressortissants du village Ap et ce depuis l'époque coloniale ; que ce faisant, l'arrêt mérite d'être censuré.
3° Troisième moyen basé sur le manque de base légale :
En ce que l'arrêt querellé devrait donner les raisons pour lesquelles d'une part les documents administratifs et les carnets de terre produits par le mémorant ont été rejetés au profit du carnet de terre du défendeur, et d'autre part, l'audition du témoin An Ac sollicitée par l'arrêt n° 10 du 07 avril 1998 de la Cour Suprême n'a pas été acceptée ; que par ailleurs, il avait été également indiqué de déterminer la valeur intrinsèque ainsi que la portée et la consistance réelle des droits coutumiers reconnus par le carnet de terre du défendeur ; d'où il s'en suit que l'arrêt mérite d'être rejeté.
ANALYSE DES MOYENS :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt déféré la violation de la loi, le défaut de motif subdivisé en défaut de motif proprement dit et la contradiction de motifs et le manque de base légale ;
Attendu que sur le premier moyen, il y a violation de la loi, lorsqu'il appert à partir de faits matériellement établis, correctement qualifiés, les juges du fond ont fait une mauvaise application de la loi au prix d'une erreur le plus souvent grossière soit qu'ils aient ajouté à la loi une condition qu'elle ne pose pas, soit qu'ils aient refusé d'en faire application à une situation qui manifestement rentrait dans son champ d'application (cf. la Technique de la Cassation, Al Ai Aq Ab et Ak Ab, P. 138) ;
Attendu que le mémorant soutient la violation de l'article 129 du Code Domanial et Foncier en ce que le défendeur à qui la propriété coutumière du champ litigieux a été attribuée est chef de village, donc chef coutumier ;
Attendu que s'il est établit que le défendeur est chef de village de Thirissoro, il n'en demeure pas moins exact que Ag est une entité administrative différente du lieu de situation géographique du champ litigieux et que ce n'est pas en sa qualité de chef de village qu'il a revendiqué la propriété coutumière du champ ; qu'il s'en suit que l'article 129 susdit n'a nullement été violé par les juges d'Appel ; le moyen n'est donc pas opérant ;
Attendu que, sur le moyen basé sur le défaut de motif, que la cassation ne doit être prononcée que dans des hypothèses où l'arrêt ne contient aucune justification en droit, et surtout en fait de la décision rendue ;
Attendu que l'arrêt querellé a scrupuleusement observé les prescriptions de l'article 463 Nouveau (430 ancien du CPCCS) qui dispose que : « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé à peine de nullité. »
Qu'en effet, les juges d'appel ont clairement exposé les prétentions des parties et leurs moyens avant de statuer que « . au vu du croquis des lieux versé au dossier, l'on se rend compte que la parcelle litigieuse est limitrophe à plusieurs autres occupées par les ressortissants du village de Thirissoro ; que les carnets de terre institués dans la région de Gao depuis l'époque Coloniale l'ont été comme instrument pratique de matérialisation de l'occupation du sol et comme tel, mode de preuve dans la constatation des droits coutumiers de leurs bénéficiaires ; qu'en l'espèce, les premiers desquels l'intimé tient ses droits ont bénéficié de leur carnet relatif à Tassiro ou Tachiro depuis 1955 avant d'être transféré à celui dudit intimé en 1979. » ; que ce faisant leur décision est amplement motivée, ce moyen n'est par conséquent pas plus heureux que le premier ;
Attendu que, sur la deuxième branche du moyen tiré de la contradiction de motifs, il ne peut être reproché à l'arrêt recherché d'énumérer les éléments (à savoir le croquis des lieux, les carnets de terre et l'emprise évidente et permanente) sur lesquels se fonde son analyse juridique, encore moins relever une contradiction de motifs laquelle suppose un vice de raisonnement dans la décision qui, en définitive touche au fond même de celle-ci ;
Que par ailleurs, l'élément « emprise évidente et permanente » est une constatation de fait qui relève de l'appréciation du juge du fond, mais qui dans le cas d'espèce, a été amplement démontrée ; ce moyen n'est pas plus opérant que le précédent ;
Attendu que le troisième moyen n'est donc pas plus opérant que le précédent ;
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Attendu que le défaut de base légale est constitué par une insuffisance de motivation de la décision attaquée qui ne permet pas à la Cour Suprême de contrôler la régularité de la décision ou plus précisément de vérifier que les juges du fond ont fait une application correcte de la règle de droit.
Attendu, outre qu'il est affirmé dans l'arrêt que les parties ont produit des témoignages de part et d'autre qui ont confirmé leur version réciproque des faits, les juges d'Appel ont indiqué que « les carnets de terre institués dans la région de Gao depuis l'époque Coloniale l'ont été comme instrument pratique de matérialisation de l'occupation du sol et comme tel, mode de preuve dans la constatation des droits coutumiers. », et, indiqué que « les premiers desquels l'intimé (présentement défendeur) tient ses droits ont bénéficié de leurs carnets. depuis 1955 avant d'être transférés à celui dudit intimé (défendeur) en 1979 », avant de constater qu'il y a emprise évidente et permanente et de juger qu'il y a eu une bonne et saine application de l'article 127 du Code Domanial et Foncier.
Que ce faisant, il ne peut être reproché à l'arrêt attaqué un défaut de base légale au sens de la définition ci-dessus spécifiée ; ce moyen doit aussi être rejeté.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR : En la forme : Reçoit le pourvoi ;
Au fond : Le rejette comme étant mal fondé ;
Ordonne la confiscation de l'amende de consignation ;
Met les dépens à la charge des demandeurs.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER