20000724141
COUR SUPREME DU MALI ********* SECTION JUDICIAIRE *********
Chambre civile
POURVOI N° 183 DU 07 JUILLET 1999
ARRET N° 141 DU 24 JUILLET 2000
Témoignages - Transport judiciaire - Commencement de preuve par écrit.
Il échet de rappeler que l'application par les juges du fond du degré de crédibilité des témoignages est souveraine dès lors qu'elle ne repose sur aucun motif de droit et elle ne peut être révisée par la Cour de Cassation ; de même, en présence de témoignages contradictoires les juges choisissent librement ceux qui leur paraissent les plus convaincants et peuvent retenir comme déterminant soit un témoignage unique soit un témoignage que les premiers juges avaient implicitement écarté. (cf. la Cassation en matière civile de Ac A Edit. Serey 1998) ; dès lors en adoptant le rapport du Chef d'arrondissement de Markala, rien ne peut contraindre les juges d'Appel à statuer sur la foi probante d'un document contraire.
Qu'il échet par conséquent de rejeter ce moyen comme inopérant.
La Cour :
A statué en ces termes :
En la forme :
Suivant acte de pourvoi n° 183 du 07 juillet 1999 du greffe de la Cour d'Appel de Bamako, le Cabinet d'Avocats TAPO-SCP, au nom et pour le compte de Ad Am et Ai Am, a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n° 262 rendu le même jour dans l'affaire sus spécifiée ;
Les demandeurs ont consigné suivant certificat de dépôt du greffe de céans en date du 22 novembre 1999 et ont produit par l'organe de leur conseil un mémoire ampliatif ; celui-ci, notifié au défendeur, a fait l'objet d'un mémoire en réponse. Il n'y a cependant pas eu de réplique suite à la notification du mémoire en réponse aux demandeurs. Le tout s'est effectué dans les délai et forme de la loi. Le recours est donc recevable.
A-EXPOSE DES MOYENS DU POURVOI :
1° Du moyen tiré du défaut de réponses à conclusions
Le mémorant fait grief à l'arrêt querellé d'avoir infirmé le jugement n° 61 du 31 décembre 1998 et déclare les héritiers de feu Ao Am titulaires de droits coutumiers sur la parcelle litigieuse ;
aux motifs que « il résulte du rapport sur le litige entre les héritiers de feu Aa Am et de feu Ao Am établi par le Chef d'arrondissement de Markala que la parcelle litigieuse appartient à feu Ao Am ; que cette conclusion résulte d'une enquête minutieuse qui a permis d'entendre des témoins qui sont notables de Ak tels Aj Al, Chef de village de Af au moment des faits , Ah Ab et An Ae ; qu'en outre, le constat du Chef d'arrondissement résulte aussi des attitudes de chacun des groupes en litige ; que la conclusion de cet Administrateur conciliateur est corroboré par les témoignages de Dramane Coulibaly. » que des « déclarations non soutenues par d'autres éléments ne peuvent l'emporter sur celles appuyées par le constat du Chef d'arrondissement et des indices tels que le commencement de preuve que constitue la photocopie non légalisée l'attitude des intimés qui ont accepté que les appelants démolissent et reconstruisent certaines parties du lot litigieux ; qu'en tout état de cause, il est vraisemblable et même compréhensible que l'Administration coloniale attribue de façon préférentielle un lot à un homme qui a combattu pour la France et lui délivre de façon exceptionnelle un permis d'occuper » ;
Alors que d'une part, il existe dans le dossier à la fois une ordonnance de transport (ADD n° 42 bis du 26 novembre 1998 et un procès-verbal de transport en date du 05 décembre 1998 de la Justice de Paix à Compétence Etendue de Markala, tous deux dûment formalisés et visés dans le jugement n° 69 du 31 décembre 1998 dont était appel ;
Alors que d'autre part, dans leurs écritures en appel, les mémorants ont par l'entremise de leur conseil, conclu à la force probante de cette mesure d'instruction prise en vertu des dispositions pertinentes de la loi, en occurrence les articles 10 et 143 du Code de procédure civile, commerciale et sociale du Mali ;
Or, l'arrêt querellé se limite à la production du développement fait par les mémorants, sans même tenter d'y répondre. Nulle part en effet, les juges d'Appel n'évoquent la question de la force probante attachée à un procès-verbal de transport dûment établi ;
En n'examinant pas ce moyen, l'arrêt querellé a manqué de répondre à conclusions ;
Le défaut de réponse à conclusions étant constitutif du défaut de motif (Civ. 2è 11 janvier 1989, Bull. Civ. II n° 12. 10 juillet 1991, Bull. Civ. II n° 216, Civ. 1ère , 5 Mai 1993, ibid. I n° 155) il s'en suit que l'arrêt a violé l'article 463 du Code de procédure civile, commerciale et sociale et doit par conséquent être censuré.
2° Du moyen tiré de la violation de la loi développé en deux branches :
Les mémorants reprochent à l'arrêt querellé d'avoir infirmé le jugement entrepris et fait droit à la demande des appelants Ag Am, motifs pris de l'application de l'article 9 du Code de procédure civile, commerciale et sociale disposant que chacun doit apporter la preuve de ses allégations ; laquelle application a conduit les juges d'appel à fonder leur motivation sur le rapport du Commandant de cercle que viendraient corroborer certains témoignages et la photocopie du permis d'occuper appréciée comme commencement de preuve par écrit ;
Alors que d'une part, le rapport du Chef d'arrondissement ne saurait valablement l'emporter en présence du procès-verbal dressé par une juridiction en transport ;
En effet, le Chef d'arrondissement, en sa qualité d'Officier de Police Judiciaire a entendu certaines personnes et en a établi rapport ;
Ce rapport qui ne se borne pas à constater, mais tranche en estimant que « la parcelle appartient à Ao Am. » outrepasse les pouvoirs qui pourraient être dévolus à un expert ou technicien ou encore Officier de police judiciaire, « l'expert ne pouvant être chargé de rechercher le bien ou le mal fondé de sa demande » Civ. 2ème, 11 juin 1975, JCP 1975, IV
251.
L'article 32 de l'ancien Code de procédure civile, commerciale et sociale précise que « le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » ;
Au demeurant, même en passant outre ces irrégularités de fond qui entachent ce rapport, et en admettant qu'il fut bon, ce rapport peut à la limite être reçu à titre de renseignement. L'article 229 de l'ancien Code de procédure précise que « le juge n'est pas lié par les constatations ou conclusions du technicien » ;
C'est pourquoi d'ailleurs, l'article 168 du même Code de procédure précise qu'il peut « afin de vérifier lui même : prendre en toute matière une connaissance personnelle des fait litigieux, les parties présentes ou appelées. Il procède aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu'il estime nécessaires en se transportant au besoin sur les lieux ». Le juge de Markala, par souci d'une bonne administration de la justice a estimé nécessaire de faire application de ces dispositions et s'y est rigoureusement conformé ;
Les juges d'appel, en faisant fi du procès verbal ainsi dressé par le juge de Markala lors de son transport dans la famille Dembélé, et en lui préférant le rapport du Chef d'arrondissement de Markala en date du 22 mai 1992, ont entendu lier le juge par un constat d'expert, et en même temps lui ont dénié le pouvoir de constater personnellement. L'arrêt querellé a ainsi violé, notamment les dispositions du Code de procédure civile, commerciale et sociale et doit de ce chef encourir la censure de la Cour ;
Alors que d'autre part, c'est à tort que l'arrêt a estimé que « la photocopie du permis d'occuper établi le 17 avril 1936, bien que non conforme aux normes légales, peut constituer un commencement de preuve. » ;
En effet, les juges d'appel eux-mêmes commencent par reconnaître la non conformité à maintes reprises évoquée par les mémorants au niveau de l'appel ; l'original n'en a jamais été produit, tous les témoins, même ceux produits par les appelants, sont formels là-dessus, le lotissement de 1935 à Af n'a donné lieu à l'établissement d'aucun titre. Ce qui rend davantage invraisemblable que ce titre fut bon, malgré le savant exercice auquel s'est livrée la Cour d'appel en essayant de trouver une justification hypothétique qui se passe de tout commentaire « qu'en tout état de cause, il est vraisemblable et même compréhensible que l'administration coloniale attribue de façon préférentielle un lot à un homme qui a combattu pour la France et lui délivre de manière exceptionnelle un permis d'occuper ;
Ce permis d'occuper, ne peut en l'espèce valoir commencement de preuve par écrit au sens de la loi ;
En effet, au nombre des conditions exigées pour ce faire, l'article 1347 du Code civil précise entre autre que l'écrit doit émaner « de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente » ; « pour valoir commencement de preuve par écrit, l'écrit invoqué doit être l'ouvre personnelle de la partie à laquelle on l'oppose, soit qu'il émane d'elle-même, soit qu'il émane de ceux qu'elle représente ou qui l'ont représenté ; du moins cette partie doit être l'ouvre personnelle de la partie à laquelle on l'oppose, soit qu'il émane d'elle même soit qu'il émane de ceux qu'elle représente ou qui l'on présenté ; du moins cette partie doit se l'être rendu propre par son acceptation expresse ou tacite » (Civ. 2e , 29 février 1972 ; JCP 72, IV, 98 ; Bull III, n° 142 P. 1102.V. en ce sens Civ. 22 nov. 1948, D. 1949, 27). Or ce n'est pas le cas en l'espèce la photocopie n'émane pas des mémorants (intimés en appel) auxquels on l'oppose pourtant, et ils l'ont toujours contesté ;
En conférant à cette photocopie le caractère de commencement de preuve par écrit, et en fondant sa décision là-dessus, l'arrêt a donc violé la loi notamment l'article 1347 du Code civil et mérite de ce fait d'être cassé ;
Maître Ousmane Bocoum, avocat pour le compte du défendeur, a conclu au rejet du pourvoi comme mal fondé.
B-ANALYSE DES MOYENS DU POURVOI
1° Du défaut de réponse à conclusions :
Les conclusions prises par les parties ou leur conseil doivent formuler expressément leurs prétentions et moyens pour évoquer un défaut de réponse à conclusion, le demandeur au pourvoi doit non seulement avoir pris des conclusions écrites exposées sur un chef, mais également il faut que ces conclusions méritent réponse ;
Dans le cas d'espèce, le juge de Markala a, par jugement avant dire droit, ordonné le transport judiciaire du Tribunal aux fins d'identifier la concession » ; préalablement à cette décision et au procès-verbal rédigé conséquemment, figurait au dossier un rapport du Chef d'arrondissement, de Markala, lequel avait entendu les parties et les notabilités du lieu, il échet de rappeler que l'appréciation par les juges du fond du degré de crédibilité des témoignages est souveraine dès lors qu'elle ne repose sur aucun motif de droit (Civ. 07 - 12 -
55. Bull. Civ. II n° 5622) et elle ne peut être révisée par la Cour de Cassation ; de même, en présence de témoignages contradictoires, les juges choisissent librement ceux qui leur paraissent les plus convaincants et peuvent retenir comme déterminant soit un témoignage unique soit un témoignage que les premiers juges avaient implicitement écarté (cf. la cassation en matière civile de Ac A Ed. Sirey 19988) ; dès lors, en adoptant le rapport du Chef d'arrondissement de Markala, rien ne peut contraindre le juge d'appel à statuer sur la foi probante d'un document contraire ;
Qu'il échet par conséquent de rejeter ce moyen comme inopérant.
2° Du moyen pris de la violation de la loi par fausse interprétation :
Il est fait grief d'une part à l'arrêt attaqué d'avoir, en violation de l'article 9 du Code de procédure civile, commerciale et sociale, préféré le rapport du Chef d'arrondissement au procès-verbal de transport établi par le juge chargé de l'affaire, ce, malgré les nombreuses voies émaillant ledit rapport ;
-Sur la première branche du moyen relative au procès-verbal de transport sur les lieux, il échet de rappeler que s'il est vrai, aux termes de l'article 198 du Code de procédure civile, commerciale et sociale que le juge peut ordonner par décision avant dire droit toute mesure d'instruction tendant à éclairer sa religion,la décision prise par lui doit cantonner de façon claire et précise l'étendue de cette mission : A cet égard le jugement avant dire droit n° 42 bis du 26 novembre 1996 était ainsi conçu : « Ordonne le transport judiciaire du Tribunal aux fins d'identifier la concession litigieuse ; Réserve les dépens et renvoie la cause et les parties à l'audience du 17 décembre 1998 pour audition des témoins ».
Allant au-delà de cette décision, le juge a cru nécessaire, en exécution de sa décision, d'entendre des témoins avant la date prévue à cet effet, empêchant ainsi les parties de présenter des observations. Il échet également de noter que préalablement à ce procès-verbal de transport ainsi qu'à la saisine du Tribunal, un procès-verbal de l'Administrateur conciliateur, en sa qualité d'Officier de police judiciaire et non d'expert, avait été produit sur le litige et portant non conciliation des parties et analyse du point des faits ; de ces deux actes d'administration sont apparus des témoignages contradictoires parmi lesquels les juges du fond doivent choisir ; Vouloir faire grief aux juges du fond d'avoir pris leur conviction dans un acte au détriment d'un autre équivaudrait à leur dénier tout pouvoir souverain d'appréciation alors même que la loi leur laisse la liberté de choisir ;
Il y a donc lieu de rejeter le pourvoi de ce chef de demande ;
-Sur la seconde branche du moyen consistant à considérer la photocopie du permis d'occuper établi le 17 avril 1936 comme un commencement de preuve par écrit, alors que ce document est non conforme aux normes légales ;
Sur ce point, il échet de rappeler qu'un commencement de preuve par écrit est tout écrit qui rend vraisemblable le fait allégué et qui émane de celui auquel on l'oppose, de son auteur ou de son représentant ;
Dans le cas d'espèce, il est certain que la photocopie du permis d'occuper établi le 17 avril 1936 remplit bien cette fonction ;
Il échet par conséquent de rejeter cette branche du moyen.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR : En la forme : Reçoit le pourvoi ;
Au fond : Le rejette ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ordonne la confiscation de l'amende de consignation.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jours, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER.