20000725135
COUR SUPRÊME DU MALI ********* SECTION JUDICIAIRE *********
Chambre civile
POURVOI N° 14 DU 04 FEVRIER 1998
ARRÊT N° 135 DU 25 JUILLET 2000
Droit domanial et foncier - Litige de terres - Interprétation de jugements - Cassation après 2e renvoi.
Résumé de la procédure : Il s'agit d'une instance en interprétation de la décision n° 2 du 21 avril 1939 du tribunal du 2e degré de Mopti confirmant le jugement n° 33 du 11 mars 1939 du Tribunal local du 1er degré, opposant les villages de Sossobé et Salsalbé à propos de la zone litigieuse de « Todji-diohel ».
Par un arrêt n° 72 du 19 juin 1996, la Cour d'Appel de Mopti, en interprétation de la décision sus évoquée, et sur requête de la communauté villageoise de Salsalbé, a statué en reconnaissant l'appartenance de la zone litigieuse du Todji-diohel à Salsalbé et en renvoyant les parties au croquis fait par la Commission régionale du 03 janvier 1994.
Sur pourvoi contre cet arrêt Sossobé obtient la cassation par arrêt n° 63 du 12 février 1997.
La Cour d'Appel de Mopti sur renvoi, statua le 04 février 1998 en ces termes :
En la forme : Reçoit la requête en interprétation ;
Au fond : Dit que A dont la propriété a été reconnue à Salsablé par jugement confirmatif n° 2 du 21 avril 1939 du Tribunal du second degré a pour limite celles naturelles
Ab Ac et le chenal de Koloniania à l'Est ;
Met les dépens à la charge du requérant.
C'est cet arrêt n° 13 du 04 février 1998 qui est de nouveau frappé de pourvoi.
Il s'agit d'un second pourvoi ; cependant, puisque les moyens de cassation sont différents de ceux évoqués dans le 1er pourvoi, la Chambre ordinaire de la Cour Suprême est compétente.
Ce second pourvoi amena également à la cassation de l'arrêt déféré ; et cette fois-ci la Cour d'Appel de Bamako sera saisie.
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
En la forme :
Par acte n°14 du 4 Février 1998 du greffe de la Cour d'Appel de Mopti, Ad B a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n°13 rendu le même jour par la Chambre Civile de ladite Cour dans une instance en interprétation opposant le village de Sossobé à Salsalbé.
Le demandeur par l'organe de ses conseils a produit un mémoire ampliatif parvenu au greffe de la Cour Suprême le 6 Novembre 1998 puis un mémoire additionnel le 25 Janvier 1998, la réplique au mémoire ampliatif le 11 Janvier 1999 l'ont été hors délais et ne seront pas pris en compte ;
FAITS ET PROCEDURE :
Par requête du 4 Février 1996 la Communauté Villageoise de Salsalbé saisissait la Cour d'Appel de Mopti en interprétation de la décision n°2 du 21 Avril 1939 du Tribunal 2ème degré de Mopti confirmant le jugement n°33 du 11 Mars 1939 du Tribunal local du 1er degré ;
Par arrêt n°72 du 19 Juin 1996 la Cour décide ce qui suit : « En la forme : reçoit la requête ; au fond : dit et juge que la limite de la zone litigieuse Todi-Diolel appartenant à Salsalbé est conforme au croquis fait par la commission régionale du 3 Janvier 1994, par conséquent renvoie les parties audit croquis pour toutes fins. Met les dépens à la charge du défendeur » ;
La communauté villageoise de Sossobé représentée par Ad B formait pourvoi contre cet arrêt qui a été sanctionnée par l'arrêt de cassation n°63 du 18 Février 1997.
La Cour d'Appel sur renvoi, statuait le 4 Février 1998 en ces termes :
En la forme : Reçoit la requête en interprétation ;
Au fond : Dit que Aa Ae dont la propriété a été reconnue à Salsalbé par jugement confirmatif n°2 du 21 Avril 1939 du Tribunal du second degré a pour limites celles naturelles Ab Ac et le Chenal de Koloniania à l'Est ;
Met les dépens à la charge du requérant ;
C'est cet arrêt n°13 du 4 Février 1998 qui est de nouveau frappé de pourvoi ; attendu que cette affaire qui revient sur un second pourvoi, soulève des moyens différents du précédent, que l'affaire relève par conséquent de la chambre ordinaire :
Au fond :
A-MOYENS PRESENTES PAR MAITRE BOUBACAR SIDIBE
Le mémoire produit par Me Boubacar SIDIBE soulève quatre moyens tirés de l'irrecevabilité de l'action, de l'excès de pouvoir s'analysant en incompétence, violation des articles 436, 437 et 438 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale ;
1° Premier moyen : de l'irrecevabilité de l'action en interprétation :
En ce que la Cour d'Appel de Mopti, constatant la non production du jugement n°13 du 11 Mars 1939 et devant l'impossibilité du requérant de produire des pièces authentiques, aurait dû, au mieux ordonner la reconstitution de cette décision suivant la procédure prévue en cette matière, sinon déclarer l'action irrecevable surtout pour les décisions du premier degré et du second degré qui sont intervenues à 42 jours d'intervalle et n'inspirent pas confiance ;
Que l'arrêt mérite la censure.
2° Deuxième moyen : Excès de pouvoir s'analysant en incompétence par fausse application de la loi :
En ce que la Cour d'Appel de Mopti, constatant qu'il s'agit d'une rectification a cru bon accueillir l'action en application de l'article 454 du code de procédure civile, commerciale et sociale alors que ces dispositions ont trait aux décisions ambiguës ou obscures et alors même qu'il appartient à la juridiction même qui a rendu la décision de l'interpréter «ejus est interprétari cujus est condere » ; qu'or la décision à interpréter n'émane ni de la Cour d'Appel de Mopti ni de son homologue d'autrefois le Tribunal Colonial d'Appel devenu tribunal supérieur, que l'arrêt querellé a, par fausse assimilation de la loi, commis un excès de pourvoir et mérite de ce fait la censure ;
3° Troisième moyen : Tiré de la double violation par la Cour d'Appel de la loi applicable :
En ce que s'agissant de prairie, domaine privé de l'état,
La Cour d'Appel interprétant 57 ans après, la décision du tribunal coutumier du second degré, a violé les articles 37 et 127 du code domanial et foncier, en proclamant le droit de propriété du salsalbé sur la zone concernée alors qu'elle a constaté que la convention de 1936 n'a reconnu qu'une préséance, à savoir une priorité en matière de parcage ; qu'il s'ensuit que l'arrêt encourt la cassation ;
4° Quatrième moyen : Défaut de moyen s'analysant en manque de base légale :
?En ce que pour écarter l'exception pré judiciaire tendant au sursis jusqu'au terme de la procédure en faux principal, l'arrêt affirme que l'interprétation tendant à définir les limites non précisées par le premier jugement non produit, l'inexistence de cette décision autorisait les juges à faire droit à l'interprétation que de toute évidence l'arrêt querellé n'est pas motivé et encourt la censure ;
?En ce que l'arrêt s'est fondé sur le rapport d'une commission qui n'avait pas compétence pour le litige et qui en outre n'a reçu aucune délégation judiciaire ; que ce faisant la cassation est encourue surtout que les conclusions dudit rapport ne sont pas opposables à la mémorante ;
B-MOYEN PRESENTE PAR MAITRE ALSSEINI TOGO :
Le mémorant, sous la plume de son conseil susnommé, présente un moyen unique de cassation basé sur la nullité de l'arrêt querellé en ce que l'arrêt n°63 du 18 Février 1997 de la Cour Suprême avait annulé et cassé l'arrêt n°78 du 19 Juin 1996 et renvoyé l'affaire devant la Cour d'Appel de Mopti autrement composée ; Que contrairement aux indications de l'arrêt de la haute juridiction, un membre de sa première composition en l'occurrence le conseiller Moussa S. Diallo ayant participé à la délibération de la décision annulée a siégé dans la formation de l'arrêt déféré ; que se faisant, l'arrêt attaqué est nul et de nul effet par violation de l'article 608 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale et mérite la censure de la juridiction suprême ;
C-ANALYSE DES MOYENS
a° Des moyens présentés par Maître Boubacar SIDIBE
?Premier moyen : Tiré de l'irrecevabilité de l'action en interprétation :
Attendu que la mémorante fait grief de l'arrêt attaqué d'avoir reçu l'action en interprétation alors qu'il résulte de ses constatations que le jugement du premier degré n'a pu être produit ce que devait conduire soit à la reconnaissance de cet acte soit à déclarer l'action irrecevable ;
Attendu que la Cour d'Appel était la juridiction compétente pour la reconstitution si elle la jugeait opportune, que s'agissant d'une mesure d'instruction elle est souveraine pour l'écarter ou l'ordonner selon les besoins de la cause ;
Attendu que le cas d'espèce a été qualifié de rectification de la décision, l'absence de la décision dont elle avait un extrait, ne constituant pas un obstacle, c'est à bon droit qu'elle a poursuivi l'instance ; que ce moyen n'est pas fondé et doit être rejeté ;
?Deuxième moyen : Tiré de l'excès de pouvoir par fausse application de la loi de procédure :
Attendu que ce moyen critique l'arrêt parce qu'il a reçu l'action en interprétation alors que la décision à interpréter est claire et d'autre part que la Cour d'Appel de Mopti n'est pas le tribunal coutumier au 2ème degré ni même l'homologue de celui-ci ;
Attendu que s'agissant du premier aspect du grief l'article 12 du code de procédure civile, commerciale et sociale stipule « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties auraient proposées » ; que la demande a été par la Cour, Juridiquement qualifiée d'action en rectification de la décision du Tribunal coutumier du deuxième degré ;
Attendu par ailleurs que s'agissant de la compétence, l'article 82 du code procédure civile, commerciale et sociale dispose : « s'il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée ;
Attendu qu'il est constant que l'arrêt n°72 du 19 Juin 1996 est intervenu sans que cette exception soit soulevée n'apparaissant pour la première fois que dans les moyens du pourvoi visant ledit arrêt ; que sur le renvoi devant la Cour d'Appel de Mopti, les conclusions des 14 Novembre 1997 et 30 Octobre 1997 des conseils de Sossobé de même que les notes d'audience ne la laissent paraître, que ces conseils n'ont pu dans ce cas fournir une motivation conséquent et l'indication de la juridiction normalement compétente ; que le moyen est inopérant et comme tel est à rejeter ;
?Troisième moyen : Tiré de la violation des articles 37 et 127 du code domanial et foncier
Attendu que ce moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, contre les prescriptions des articles que dessus, consacré la propriété de Salsalbé sur la zone litigieuse ;
Attendu que la notion de propriété est contenue dans le jugement du second degré, décision antérieure au code domanial et foncier que celui-ci ayant ramené les droits coutumiers à l'usage que les parties font du sol il n'y a pas de difficulté pour savoir qu'il s'agit de l'usage ; la propriété privée se constatant par d'autres titres ;
Attendu qu'aucune violation n'est imputable à l'arrêt incriminé ; que le moyen doit en conséquence être écarté ;
?Quatrième moyen : Tiré du défaut de motifs et manque de base légale :
1° Attendu que dans cette branche le mémorant reproche à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception préjudicielle tendant au sursis à statuer jusqu'à décision sur le faux principal au seul motif que l'inexistence du jugement du premier degré autorisait à recevoir la demande d'interprétation ;
Attendu que contrairement à ces assertions l'arrêt est motivé comme suit :
-Considérant que pour soutenir ce moyen (la communauté villageoise de Sossobé n'a versée au dossier que copie d'une requête en date du 11 Mars 1996 destinée au Président du Tribunal de Mopti, copie ne comportant ni mention de l'enregistrement ni autre mention de ce greffe encore moins les autres exigences les alinéas 2,3 et 4 de l'article 289 du code de procédure civile, commerciale et sociale dont elle se prévaut. Qu'il s'ensuit que l'exception n'a pas été retenue parce que le mémorant ne s'est pas conformé aux prescriptions de l'article 289 que l'arrêt sur ce point est motivé ; que cette branche du moyen doit être rejetée ;
2° Attendu que dans cette autre branche reproche à l'arrêt d'être fondé sur le rapport d'une commission qui n'était pas investie d'une délégation judiciaire ;
Attendu que la mémorante ne dit pas en quoi le rapport de la commission régulièrement versé aux débats qu'elle n'a pas combattu, ne peut servir d'élément d'appréciation pour le juge d'appel qui d'autre part a eu recours à d'autres documents pour asseoir sa conviction ; Que cette branche n'est pas plus heureuse que la précédente et doit être rejetée ;
DU MOYEN ADDITIONNEL PRESENTE PAR MAÎTRE ALSEINI TOGO :
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt entrepris d'avoir été rendu en la présence d'un conseiller qui a siégé dans la formation qui a délibéré dans l'arrêt annulé et cassé par l'arrêt du 19 Juin 1996 de la Cour Suprême ;
Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que le conseiller Moussa S. Diallo a siégé dans la formation de jugement qui a rendu l'arrêt n°78 du 19 Juin 1996 (cf côte 13 dossier d'appel ; que ledit arrêt a été annulé et cassé par l'arrêt n°63 du 18 Février 1997 de la deuxième chambre civile de la Cour Suprême de céans qui a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Mopti autrement composée (cf côte 14 deuxième pourvoi) ; Qu'il s'ensuit que la Cour d'Appel a manifestement violé les dispositions de l'article 608 ancien, 652 nouveau du code de procédure civile, commerciale et sociale qui stipule en son alinéa premier que « après cassation la Cour Suprême renvoie la cause et les parties devant une juridiction de même ordre ou degré que celle qui a rendu la décision annulée ou devant la même juridiction autrement composée, le cas échéant, qui doit se conformer aux indications de l'arrêt de cassation. » ; Que le moyen est conséquent pertinent et doit être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
En la forme : Reçoit le pourvoi ; Au fond : Casse et annule l'arrêt déféré ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Bamako ; Ordonne la restitution de l'amende de consignation ; Met les dépens à la charge du Trésor Public. Ainsi fait jugé et prononce publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER