2001012909
COUR SUPREME DU MALI SECTION JUDICIAIRE
POURVOI N° 288 DU 3 SEPTEMBRE 1998. ARRET N° 09 DU 29 JANVIER 2001.
ANNULATION DE DONATION - ASSIMILATION DU CONTRAT DE DONATION ENTRE VIFS A UN TESTAMENT - DENATURATION DES TERMES D'UN ECRIT
La donation entre vifs est un contrat par lequel le donateur transfère la propriété du bien donné au donataire, sans contre partie et de façon irrévocable, il faut cependant qu'elle soit acceptée.
Le testament, par contre, est un acte par lequel le testateur de son vivant décide unilatéralement du sort de ses biens après sa mort, cet écrit est révocable.
Attendu que pour confirmer le jugement d'instance les juges d'appel ont retenu « qu'en droit musulman la rédaction et la révocation du testament sont dénuées de tout formalisme rigide. » Que Af Ab étant héritière légitime, elle ne peut avoir vocation à recevoir des legs.
Attendu qu'en se déterminant ainsi alors qu'il s'agit non pas de legs, mais d'une donation entre vifs ayant abouti à un transfert effectif du titre au donataire, alors qu'aucune révocation légale de donation n'a été exécutée, la cour d'appel a dénaturé les termes d'un écrit et exposé sa décision à la censure de la haute cour.
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi.
EN LA FORME. Par acte N°288 en date du 3 septembre 1999 du greffe civil de la Cour d'Appel de Bamako, maître Magatte SEYE avocat à la Cour agissant au nom et pour le compte de dame Af Ab, a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt N°362 du 02 septembre 1999 rendu par la chambre civile de ladite Cour dans l'instance en annulation de donation qui oppose sa cliente à Ad Ag et autres ;
Attendu que la demanderesse a versé l'amende de consignation et produit un mémoire ampliatif au soutien de son pourvoi ;
Attendu que le défendeur auquel les moyens de cassation ont été notifiés a produit un mémoire en réplique qui a été à son tour notifié à la demanderesse ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi déclaré par la dame Af est en la forme recevable pour avoir satisfait aux exigences de la loi.
AU FOND :
FAITS ET PROCEDURE :
Par requête en date du 10 juillet 1997, Ad Ag et autres sollicitaient du tribunal civil de la Commune II l'annulation de la donation faite suivant acte notarié par feu Naby Moussa Doumbia à son épouse Af Ab ;
Par jugement N°442 du 31 décembre 1997, le tribunal de première instance de la Commune Il prononça la nullité de la donation faite par feu Naby Moussa Doumbia à Af Ab.
Sur appel de dame Af Ab, la Cour d'Appel rendit l'arrêt confirmatif N°362 dont pourvoi ;
MOYENS DE CASSATION :
Par l'entremise de son conseil maître Magatte SEYE, dame Af excipe de trois moyens de cassation ainsi conçus :
1. Premier moyen pris de la violation de la loi
En ce que l'article 938 du code civil consacre le transfert de la propriété du bien donné au donataire ; Que l'article 955 du code civil détermine les raisons pour lesquelles la donation peut être révoquée ; Qu'il est constant que la mémorante n'a pas renoncé à la donation qui fait partie de son patrimoine ; Qu'il n'a été versé au dossier aucun acte judiciaire qui constate la validité de la révocation qui n'est un acte unilatéral que dans la mesure où elle n'a pas été acceptée ; Que par conséquent les motifs donnés par l'arrêt querellé sont impropres à justifier légalement la décision adoptée au regard des articles 938 et 955 du Code Civil ; D'où il s'en suit que l'arrêt doit être censuré ;
2. Deuxième moyen pris de la dénaturation
En ce que pour décider «qu'en droit musulman la rédaction et la révocation du testament sont dénuées de tout formalisme rigide... », l'arrêt retient que l'acte en date du 28 avril 1988 établi par Me Ahmadou Touré est un testament et en a tiré des conséquences juridiques précises ; Qu'alors que cet acte notarié constate une donation entre vifs ; Qu'il est interdit au juge de dénaturer un document dont les termes sont clairs et précis ; Que l'arrêt pour avoir dénaturé cet acte notarié du 28 avril 1988, mérite d'être censuré ;
3. Troisième moyen pris du manque de base légale
En ce que l'arrêt querellé confirme les dispositions du jugement du 31 décembre 1997 qui annulent la donation au motif qu'elle excède le quart des biens du disposant ;
Qu'or il ne ressort ni du jugement, ni de l'arrêt, la valeur des biens du disposant, et celle du bien donné ; Qu'il s'ensuit que les motifs ne permettent pas de vérifier si la donation excède le quart des biens du disposant ; Que la Cour d'Appel ne met pas la Cour Suprême en mesure d'exercer un contrôle à cause de ces imprécisions et insuffisances ;
Qu'il y a lieu par conséquent de censurer l'arrêt querellé.
ANALYSE DES MOYENS :
Attendu que la mémorante fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir violé la loi en ses articles 938 et 955 du Code Civil, dénaturé les termes d'un document, manqué de base légale s'exposant ainsi à la censure de la haute cour ;
DU PREMIER MOYEN TIRE DE LA VIOLATION DES ARTICLES 938 et 955 DU CODE CIVIL :
Attendu que le moyen reproche à l'arrêt critiqué la violation des articles susvisés en retenant que «les motifs donnés par l'arrêt querellé sont impropres à justifier la décision adoptée ;
Attendu que de jurisprudence constante il a été admis que la seule indication par le moyen du texte dont la violation est invoquée ne constitue pas l'énoncé d'un moyen de cassation (civ 8 oct .1953, buIl civ 263; Soc 18 lan 1962, D.952-164 Ac Ae page 733 N°2454) ;
Attendu que le moyen doit être énoncé de façon assez claire, précise et intelligible dans son principe et applicable au cas d'espèce critiqué ;
Attendu qu'il résulte donc que le premier moyen n'étant pas précis, il ne permet pas à la Cour d'exercer sa mission de contrôle ; qu'il échet de l'écarter ;
DU SECOND MOYEN TIRE DE LA DENATURATION D'UN ECRIT :
Attendu qu'il est fait grief à la Cour d'avoir dénaturé un écrit en faisant passer un acte notarié constatant une donation entre vifs, pour un testament ; Attendu que les juges du fond apprécient souverainement les faits à condition de ne pas les dénaturer, il leur est interdit de dénaturer un écrit lorsque le sens est clair et précis et exprime la volonté des parties ;
Attendu par ailleurs la donation entre vifs est un contrat par lequel le donateur transfère la propriété du bien donné au donataire sans contre partie et de façon irrévocable, il faut cependant qu'elle soit acceptée ;
Attendu par contre que le testament est un acte par lequel le testateur de son vivant décide unilatéralement du sort de ses biens après sa mort, cet écrit est révocable ;
Attendu que dans le cas d'espèce le document dont la dénaturation est invoquée a été établi le 28 avril 1988 sur instruction de feu Moussa Doumbia par maître Ahmadou Touré par-devant maître Tidiani DEME tous notaires résidant à Bamako.
Attendu que ce document stipule entre autre : « Mr Naby Moussa Doumbia, greffier en retraite, demeurant à Aa, Rue 42 X 27 Bamako, lequel par les présentes fait donation entre vifs avec dispense de rapport à la succession et garantie de tous troubles et éviction à madame Af Ab, domicilié à Aa, rue 42 X 27 Bamako qui déclare accepter ;
De sa concession sise à Bamako objet du permis d'occuper N°10 R4-01 délivré en remplacement du permis d'occuper N°337 établi le 27 juillet 1945 sis à Aa » ;
Attendu que cet acte versé au dossier à la côte 6 est un acte ayant constaté clairement une donation entre vifs a eu comme effet le transfert du titre au profit de la donataire depuis le 29 avril 1988 sur demande écrite du donateur adressée à l'autorité compétente (Gouverneur du District) le 3 octobre 1988.
Attendu que pour confirmer Ie jugement d'instance les juges d'appel ont retenu «qu'en droit musulman la rédaction et la révocation du testament sont dénuées de tout formalisme rigide. » que Af Ab étant héritière légitime, elle ne peut avoir vocation à recevoir des legs ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi alors qu'il s'agit non pas de legs, mais d'une donation entre vifs ayant abouti à un transfert effectif du titre au donataire, alors qu'aucune révocation légale de la donation n'a été exécutée, la Cour d'Appel a dénaturé les termes d'un écrit et exposé sa décision à la censure de la Haute Cour ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède, que le moyen soulevé doit être accueilli ;
Sans qu'il soit nécessaire d'analyser le 3ème moyen ;
PAR CES MOTIFS
En la forme : reçoit le pourvoi. Au fond : casse et annule l'arrêt déféré. Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Bamako autrement composée. Met les dépens à la charge du trésor public. Ordonne la restitution de l'amende de consignation.
Ainsi tait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.
PROCEDURE