COUR SUPREME DU MALI REPUBLIQUE DU MALI
SECTION JUDICIAIREUN PEUPLE - UN BUT - UNE FOI
Chambre Commerciale --------------------
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POURVOI N°182 DU 27 JUIN 2003
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ARRET N° 32 DU 13 SEPTEMBRE 2004
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NATURE : Réparation de préjudice.
LA COUR SUPREME DU MALI
A, en son audience publique ordinaire du lundi treize septembre de l'an deux mille quatre à laquelle siégeaient Messieurs:
Ab B: Président de la Chambre Commerciale, Président;
Abdoulaye Issoufi TOURE: Conseiller à la Cour membre;
Madame X Ac C : Conseiller à la Cour, membre;
En présence du Monsieur Moussa Balla KEÏTA, Avocat Général près ladite Cour ;
Avec l'assistance de Maître SAMAKE Fatoumata Zahara KEITA, greffier;
Rendu l'arrêt dont la teneur suit:
SUR LE POURVOI de Maître Mamadou G. DIARRA, Avocat à la cour, agissant au nom et pour le compte de l'AGETIPE - MALI, d'une part;
CONTRE: ZED - AS ayant pour conseil Maître Bréhima KONE, Avocat à la Cour, défendeur, d'autre part;
Sur le rapport du Conseiller Abdoulaye Issoufi TOURE et les conclusions écrites et orales des Avocats Généraux Mahamadou BOUARE et Moussa Balla KEÏTA ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi:
EN LA FORME:
Par acte fait au greffe, le 27 juin 2003, sous le numéro 182, Maître Mamadou G. DIARRA, Avocat à la Cour agissant au nom et pour le compte de l'AGETIPE- Mali a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n°185 rendu le 25 juin 2003 par la Chambre Commerciale de la Cour d'Appel de Bamako dans une instance en réparation de préjudice opposant sa cliente à ZED - SA;
Suivant certificat de dépôt n°243 du 07 novembre 2003, la demanderesse a acquitté l'amende de consignation; elle a en outre par l'organe de son conseil et du Contentieux produit mémoires ampliatif qui notifiés, au défendeur, ont fait l'objet de mémoire en réponse;
Pour avoir satisfait aux exigences de la loi, le pourvoi est recevable.
AU FOND:
I- PRESENTATION DES MOYENS:
A- Moyens présentés par la Direction Générale du Contentieux de l'Etat:
- Premier moyen tiré de la violation des articles 1793 du Code Civil et 175 de la loi n°87-31 fixant le Régime Général des Obligations: en ce que l'AGETIPE - Mali a été condamnée à payer à ZED - SA la somme de 120.420.080. F qui représenterait le surcroît de travaux supplémentaires sur le contrat n° T1. BNO 15/6-01-04/99 et qui serait une novation prévue lors de la réunion du 24 janvier 2002, alors qu'en vertu des dispositions de l'article visé « lorsqu'un architecte ou un entrepreneur, s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le ^prétexte de l'augmentation de la main d'ouvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit et le prix convenu avec le propriétaire»; que cet article constitue une loi impérative d'ordre public, contre à laquelle les parties ne peuvent déroger même par une convention; que nulle part, il ne ressort qu'une autorisation écrite de changement ou d'augmentation des plans ait été donnée à ZED - SA par l'agence; qu'il est de jurisprudence constante que « l'autorisation écrite de modifier le plan et la fixation d'un prix pour les travaux nécessités par ces changements sont impérativement exigés par l'article 1793, faute d'en justifier, l'entrepreneur est irrecevable à demander un supplément de prix» ( civ 10/06/1931 OP 1932 - 1 - 65 note de M. Aa A; que la jurisprudence poursuit: « l'article 1793 visant les augmentations faites sur le plan convenu pour la construction à forfait d'un bâtiment, s'applique aux travaux supplémentaires et l'accord verbal du Maître de l'ouvrage sur les modifications à apporter à ce plan ne saurait être retenu» ( civ 1ère 17/10/1966. D. 1967 - 29); qu'en fin la jurisprudence a affirmé « l'autorisation écrite doit émaner du propriétaire lui même; donnée par l'architecte en cette qualité, elle est inopérante » ( Req 05/03/1872 DP 72 - 1 - 359); qu'à cet égard, le conseil de ZED - SA ainsi que le jugement n°404 d'instance et l'arrêt n°285 disent clairement qu'aucun ordre de service n'a été fait par rapport aux modifications apportées seulement par ZED; que pour qu'il y ait novation en matière de contrat d'entreprise de marché à forfait, il faut impérativement une autorisation écrite par le propriétaire et un prix convenu avec le même propriétaire; que l'article 175 de la loi 87-31 fixant le Régime Général des Obligations dispose: « la novation ne se présume pas mais doit résulter de la volonté clairement exprimée par les parties de remplacer une obligation par une autre»; qu'or en l'espèce aucune des conditions posées par les deux articles n'a été remplie; qu'en décidant autrement la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision qui encourt la cassation.
- Deuxième moyen tiré de la violation des articles 104 alinéa 1 et 132 de la loi 87-31 fixant le Régime Général des Obligations: en ce que l'arrêt attaqué a condamné l'AGETIPE à payer 103.537.273 F représentant le reliquat du contrat n° T1 - BNO - 1546 alors que l'article 104 al 1 de la loi susvisée dispose: « dans les contrats synallagmatiques chacun des cocontractants peut refuser de remplir son obligation tant que l'autre n'exécute pas la sienne» et qu'il résulte du procès verbal en date du 24 janvier 2002 que la réception provisoire est intervenue le 08 /122001 avec beaucoup de réserves qui n'ont pas été exécutées à ce jour par ZED, et du Procès - Verbal de réception technique définitive du 5 au 06 mai 2003 que toutes les réserves doivent être levées dans un délai de 15 jours à compter du 07 mai 2003»; or ces réserves n'ont pas été levées par ZED - SA qui n'a pas non plus exécuté intégralement le marché T1 - BNO - 1546 - 01 - 04/99; ZED - SA n'a jamais apporté la preuve d'une réception définitive, ni de celle de la levée des réserves et ne peut justifier une exécution totale du marché; que l'exception d'inexécution est opposable à ZED - SA qui n'a point droit à la somme de 103.537.273 F; qu'en décidant autrement, la Cour d'Appel fait encourir la cassation à sa décision.
- Troisième moyen tiré de la violation des articles 11 et 133 de la loi 87 - 31 fixant le Régime Général des Obligations: en ce que la Cour d'appel a accordé 25 millions de francs à titre de dommages - intérêts alors que l'article 133 stipule « sauf les cas de dol ou de faute lourde du débiteur, ce dernier n'est tenu que par des dommages - intérêts qui ont été prévus lors du contrat»; que dans l'arrêt querellé il existe une confusion entre les dommages - intérêts en matière de responsabilité contractuelle et des dommages - intérêts en matière de responsabilité delictuelle; de même aux termes de l'article 11 du Régime Général des Obligations « le débiteur d'une obligation de faire ou de ne pas faire doit exécuter son obligation à défaut, il est tenu à réparation»; qu'à partir du moment où ZED - SA n'a pas levé les réserves et exécuté totalement le marché, il ne saurait lui être accordé de dommages - intérêts d'où la censure de la Haute Juridiction;
- Quatrième moyen tiré de la violation de l'article 578 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale: en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle en dommages - intérêts de l'AGETIPE comme demande nouvelle alors que l'article 578 du Code de Procédure civile, Commerciale et Sociale est sans ambiguïté « les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles - ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément. Les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel»;
B- Moyens présentés par Maître Mamadou G. DIARRA:
- Premier moyen tiré de l'incompétence de la Juridiction commerciale: en ce que l'arrêt querellé a confirmé le jugement n°404 du 04 décembre 2002 rendu par le Tribunal de Commerce et ainsi passé outre l'exception d'incompétence soulevée par l'AGETIPE dans ses différentes conclusions, alors que le marché dont l'exécution a été déféré devant le Tribunal de Commerce de Bamako est un marché de travaux publics, passé entre l'AGETIPE maître d'ouvrage délégué au nom et pour le compte de la Présidence de la République et la Société ZED pour le la réalisation d'un ouvrage public; en la matière, l'article 2 du Décret 95 - 401/PRM portant Code des Marchés inclut dans sa définition des marchés publics, les contrats écrits passés pour la réalisation de travaux, la livraison de fournitures et la prestation de service par:
L'Etat,
Les personnes morales de droit privé agissant pour le compte de l'Etat ou de personnes morales de droit public lorsqu'elles bénéficient de leurs concours financiers ou de leur garantie.
Les litiges nés de l'exécution d'un marché du genre ressortissent de la compétence des seuls Tribunaux Arbitral et Administratif; c'est donc en violation des règles de compétence, en excédant ses pouvoirs d'attribution que le juge du Tribunal de Commerce suivi par les juges d'appel a retenu sa compétence; que par ailleurs contrairement à la motivation de l'arrêt, l'ordonnance rendue par le juge administratif l'a été de façon contradictoire et les frais de l'expert ont même été payés en partie par l'AGETIPE. L'arrêt n°285 du 25 juin 2003 de la Cour d'appel de Bamako, en confirmant cette décision dans une affaire déjà déférée devant le juge administratif mérite la censure de la Juridiction Suprêmepar une cassation sans renvoi.
- Deuxième moyen tiré du défaut de réponse à conclusions: en ce que les juges d'Appel n'ont pas estimé nécessaire de répondre au point de droit soulevé par l'AGETIPE soutenant que le juge de Première Instance ne lui avait pas permis de conclure au fond après le rejet des exceptions; qu'ainsi le juge de première instance a violé le principe du contradictoire, méprisant le principe qui impose au juge de motiver sa décision et qui assimile le défaut de réponse à conclusion à un défaut de motif; les juges d'appel n'ont pas non plus estimé nécessaire de se prononcer sur les points relatifs à la non levée des réserves formulées sur le chantier, relatives entre autre au nombre de groupe électrogènes, à la puissance de splits, à la sécurité incendie; d'où, l'arrêt querellé doit encourir la cassation.
- Troisième moyen tiré de la violation de la loi, par dénaturation d'un écrit et par défaut de base légale: en ce que la Cour d'Appel s'est fondée sur une interprétation dénaturée d'un contrat de travaux signé entre ZED - SA et l'AGETIPE - MALI, lequel était conclu forfaitairement et à prix non révisable. Le maître d'ouvrage ou le maître d'ouvrage délégué demeure libre d'apporter des modifications, sans avenant tant que la consistance des modifications en plus ou en moins ne dépasse pas 20%; cette clause claire et précise a été occultée et les juges d'appel qui lui ont, à tort substitué un procès verbal de réunion lequel prévoyait la possibilité d'un avenant ( à ne pas confondre avec une possibilité de substitution ); que la novation ne se présume point; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte, en l'espèce il n'a jamais été question entre l'AGETIPE Mali et ZED - SA que le procès verbal de la réunion du 24 janvier 2002 se substituerait au contrat de travaux; par ailleurs l'AGETIPE a été condamnée à payer la somme de 223.957.353 F alors que ce montant ne se fonde sur rien sinon qu'il est le fruit d'une auto évaluation faite par ZED - SA de ce qu'il prétend avoir réalisé comme travaux supplémentaires sans support, en occurrence sans ordre de service; or si le juge du fond est admis à déduire des situations de fait, des conséquences de droit, il n'en demeure pas moins soumis à l'obligation d'« indiquer l'origine et la nature des renseignements qui ont servi à motiver sa décision» ( cass 2ème civ 19/11/65) et de « préciser les éléments qui lui permettent de constater» le fait considéré (cass. 2ème civ. 25 nov. 1970) sous peine d'entacher sa décision d'un défaut de base légale; les juges d'appel en fondant leur décision sur une évaluation non faite d'accord parties et sur un procès verbal postérieur aux travaux et en déplaçant la chronologie des faits ont manqué de lui donner une base légale; qu'ainsi l'arrêt doit encourir la cassation, sans renvoi.
II- ANALYSE DES MOYENS:
1- Sur la compétence:
Attendu qu'en l'espèce d'abord, le contrat a été passé non par le maître d'ouvrage lui même mais par le maître d'ouvrage délégué qui n'est donc plus chargé de la surveillance seulement mais est investi de la qualité de partie au contrat excluant entièrement la puissance publique; ensuite nulle part le contrat ne fait référence à la loi sur les marchés publics; enfin ce contrat n'a été visé ni par la Direction des Marchés publics, ni par le Ministère des Finances ni par le Secrétariat Général du Gouvernement; que par ailleurs en matière de travaux publics, l'Etat garde toujours le monopole du contrôle et du suivi, toutes choses qui enlèvent au contrat entre l'AGETIPE et ZED SA, le caractère de contrat administratif; que c'est donc à juste raison que les juridictions civiles ont retenu leur compétence.
2- Du défaut de réponse à conclusions:
Attendu qu'il est fait grief à l'a Cour de n'avoir pas répondu au point 2.2 des conclusions par lequel il était reproché au juge d'instance de n'avoir pas permis au mémorant de conclure au fond après le rejet des exceptions;
Attendu à cet égard que la Cour en statuant sans prendre aucune mesure d'annulation a implicitement répondu à ce point; que par ailleurs, il est constant que les conclusions de ZED du 08 octobre 2002 avaient bel et bien été communiquées à l'AGETIPE en première instance; qu'en estimant s'arrêter à l'exception seule le mémorant ne peut s'enprendre qu'à lui même.
3- De la violation de la loi par dénaturation d'un écrit et du défaut de base légale:
a)- De la dénaturation de l'écrit: en ce que la Cour a à tort substitué le procès verbal de réunion au contrat; attendu à cet égard, qu'il y a lieu de faire observer que la dénaturation est toujours relative au contenu même de l'acte; que la Cour d'Appel en excluant le contrat au profit du dernier écrit, le procès verbal, n'a nullement dénaturé le dit contrat;
b) Du défaut de base légale: en ce que l'AGETIPE a été condamnée à 223.957.353 F alors que ce montant ne se fonde sur rien sinon qu'il est le fruit d'une auto - évaluation faite par ZED - SA;
Attendu que le Procès - verbal du 24 janvier 2002, n'a posé comme condition que cette auto - évaluation suivie de commentaires techniques et des factures ; que néanmoins l'AGETIPE aurait dû faire des propositions ouvrant la voie à la discussion; qu'en s'abstenant
de toute réaction, l'AGETIPE elle même n'a pas ouvert la possibilité d'avoir d'autres éléments d'appréciation.
Attendu que les moyens proposés par Maître Mamadou G. DIARRA ne peuvent prospérer.
4- De la violation des articles 1793 du Code Civil et 175 de la loi 87-31 fixant le Régime Général des Obligations: en ce que l'AGETIPE a été condamnée à la somme de 120.420.080 F représentant le surcroît de travaux supplémentaires, alors que l'article 1793 s'oppose à toute augmentation de prix dans telles circonstances;
Attendu à cet égard que l'article 1793 pose clairement une réserve consistant en une autorisation par écrit; que la Cour en considérant le Procès verbal établi d'accord parties comme une autorisation, n'a pas fait une fausse application du texte visé; que conséquemment on ne saurait dire que la novation a été présumée; que donc la branche relative à la violation de l'article 175 ne peut prospérer.
5- De la violation des articles 104 (al1) et 132 de la loi 87-31:
Attendu que du fait de la réception définitive, ZED a exécuté l'essentiel des obligations qui lui incombent; que l'entretien mis à sa charge et qui n'a pas été exécuté est justement la raison de la demande reconventionnelle; que dès lors ni l'article 104 ( al1) ni l'article 132 ne trouve application;
6- De la violation des articles 11 et 133 de loi 87 - 31 fixant le Régime Général des Obligations:
Attendu que contrairement à ce que prétend le mémorant les dommages - intérêts alloués, l'ont été sur la base de l'article 138 du Régime Général des Obligations non sur celle de l'article 133; le retard dans le paiement n'est nullement contesté et l'article 138 dispose: « le créancier a droit, lorsque l'obligation a pour objet le paiement d'une somme d'argent, par le seul fait du retard et sans qu'il ait à justifier d'aucun préjudice au paiement des intérêts.»: qu'en accédant à la demande de ZED SA, la Cour n'a violé aucun des textes visés au moyen;
7- De la violation de l'article 578 du Code de Procédure civile, Commerciale et Sociale:
Attendu en effet qu'aux termes de l'article 578 « les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel»; que la Cour d'appel en motivant « que c'est en appel que l'AGETIPE a présenté pour la première fois une demande reconventionnelle; que celle -ci alors sera déclarée irrecevable comme demande nouvelle»; viole manifestement la lettre de l'article sus visé et encourt la cassation de ce chef;
Attendu que cette demande reconventionnelle est dissociable des autres chefs de demande; qu'il échet donc faire application de l'article 647 du Code de Procédure civile, Commerciale et Sociale ( cassation partielle).
PAR CES MOTIFS:
En la forme: reçoit le pourvoi;
Au fond: le déclare mal fondé sur tous les chefs à l'exception du chef de la demande reconventionnelle; casser l'arrêt déféré uniquement sur ce point; renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bamako autrement composée pour qu'il soit statué exclusivement sur la demande reconventionnelle de l'AGETIPE - Mali; Ordonne la restitution de l'amende de consignation;
Met les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.