COUR SUPREME DU MALI REPUBLIQUE DU MALI
SECTION JUDICIAIRE Un Peuple - Un But - Une Foi
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Chambre Sociale
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POURVOI N°31 DU 23 JUIN 2003
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ARRET N°17 DU 11 OCTOBRE 2004
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NATURE: Réclamation de droits
et de dommages - intérêts.
LA COUR SUPREME DU MALI
A, en son audience publique ordinaire du lundi onze octobre de l'an deux mille quatre, à laquelle siégeaient :
Madame Niamoye TOURE, Présidente de la Chambre Sociale, Président;
Monsieur Fakary DEMBELE, Conseiller à la Cour, Membre;
Monsieur Boubacar DIALLO, Conseiller à la Cour, Membre;
En présence de Monsieur Mahamadou BOIRE, avocat général près ladite Cour, occupant le banc du Ministère Public;
Avec l'assistance de Maître TRAORE Adama SOW, Greffier;
Rendu l'arrêt dont la teneur suit:
SUR LE POURVOI de Madame Ab B, Directrice Générale du Contentieux du Gouvernement, agissant au nom et le compte de la C.M.D.T, d'une part;
CONTRE: Ac A, ayant pour conseil Maître Antonin SIDIBE et Seydou S. COULIBALY, défendeur, d'autre part;
Sur le rapport du Conseiller Fakary DEMBELE et les conclusions écrites et orales Du Procureur Général Aa C et de l'Avocat Général Mahamadou BOIRE.
Après en avoir délibéré conformément à la loi:
EN LA FORME:
Par acte n°31 du 23 juin 2003 du greffe de la Cour d'Appel de Bamako, Madame Ab B, Directrice Générale du Contentieux du gouvernement, agissant au nom et pour le compte de la Compagnie Malienne de Textile ( C.M.D..T) a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n°53 du 19 juin 2003 de la Chambre Sociale de ladite Cour dans l'instance en réclamation de droits et de dommages - intérêts opposant celle -ci à Ac A;
La pourvoyante dispensée de consignation a, par l'organe de son conseil, produit mémoire amplaitf dans le délai légal qui a été notifié au conseil du défendeur qui a répliqué en concluant au rejet du pourvoi et formé pourvoi incident conformément aux dispositions des articles 622 et 564 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale;
Pour avoir satisfait aux exigences de la loi, les pourvois de Mme Ab B, Directrice Générale du Contentieux du Gouvernement et de Maître Yacouba KONE sont recevables en la forme;
AU FOND:
EXPOSE DES MOYENS:
A l'appui de leurs pourvois, les mémorants ont invoqué les moyens ci - après:
I- Moyens présentés par la Directrice Générale du Contentieux de l'Etat:
La mémorante au soutien de son pourvoi présente deux moyens de cassation tirés de la dénaturation des faits et du défaut de base légale les Condamnations prononcées;
Premier moyen: de la dénaturation des faits:
En ce que le juge d'appel pour soutenir sa décision indique que le licenciement du sieur Ac A a été opéré sans motif; qu'il s'agit là d'une allégation qui n'est pas réelle et qui ne doit en aucune manière attirer l'attention de l'auguste institution qu'est la Cour Suprême; qu'en réalité ce sont les mauvais comportements de monsieur Ac A qui ont conduit la C.M.D.T à se passer de ses services; que Monsieur A s'est absenté plusieurs fois de son poste de travail;qu'il a refusé de rejoindre son lieu d'affectation où un logement lui a été construit par les soins de la C.M.D.T dans le souci de lui permettre de s'occuper convenablement de l'encadrement des paysans; qu'il a régulièrement désobéi aux ordres de son supérieur hiérarchique; que ce sont tous ces faits énumérés qui ont obligé la C.M.D.T à décider du licenciement de Monsieur Ac A; que la preuve de l'argument selon lequel Ac A a refusé de rejoindre son poste de travail est jointe au dossier; que selon une jurisprudence constate le refus d'obtempérer est un motif légitime de licenciement qu'en outre aux termes de l'article 55 de l'accord d'établissement de la c;m;d;t, le travailleur qui abandonne son poste de travail après trois jours ouvrables est rayé des effectifs de l'entreprise; que donc la C.M.D.T qui a licencié Ac A pour désobéissance, absences régulières et abandon de poste avait des motifs légitimes pour son congédiement que par ailleurs le juge d'appel soutient que le licenciement du sieur A a été décidé sans que la possibilité lui soit donnée de se faire assister par un délégué syndical ou un délégué du personnel conformément à l'article 53 nouveau de l'accord d'établissement; que cependant les dispositions dudit article sont claires et précises; que l'assistance dont il est question audit article n'est pas une obligations; que cet article dispose que « le travailleur peut se faire assister»; que donc la C.M.D.T n'a commis aucune faute si IssiakaGUINDO n'a été assisté par un délégué du personnel ou un délégué syndical;que pour soutenir sa décision le juge d'appel allègue que la C.M.D.T. n'a pas communiqué à l'inspecteur du travail de Koulikoro les pièces demandées; que l'article L 40 du Code du Travail dispose que « tout employeur qui désire licencier un travailleur engagé pour plus de 3 mois est tenu d'informer l'inspecteur du travail du ressort»; que donc il ne s'agissait nullement pour la C.M.D.T de demander à l'inspecteur du travail de Koulikoro l'autorisation de licencier Ac A; que l'obligation pour un employeur de demander à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier travailleur découle du code de travail de 1962; que depuis l'adoption de la loi n°92-020 du 23 septembre 1992 portant nouveau Code du Travail il s'agit simplement pour un employeur d'informer l'inspecteur du travail de sa décision de licencier un travailleur ( article L 40); que selon le même article « l'inspecteur du travail dispose d'un délai de 15 jours pour émettre un avis»; que la C.M.DT ne s'est pas contentée seulement d'informer l'inspecteur du travail de Koulikoro de sa décision de licencier le sieur A conformément à l'article L 40 mais qu'elle a, par lettre n°86 SD/Mme S du 05 septembre 2001, demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Ac A; que l'inspecteur du travail qui devait donner un avis à la C.M.D.T dans un délai de 15 jours, délai légal, a attendu le 28 févier 2002 pour réagir à la requête de la C.M.D.T et demander à celle - ci la communication des pièces soit plus de 5 mois après; que la Cour d'Appel qui devait se poser l question de savoir, dans le cas d'espèce qui, de l'inspecteur du travail et de la C.M.D.T, a violé la loi, s'est contentée de culpabiliser la C.M.D.T; qu'en fait c'est l'inspecteur du travail qui a violé la loi;
Que la C.M.D.T. a respecté la disposition légale en la matière et que sa correspondance en date du 05 septembre 2001 et celle de l'inspecteur du travail en date du 28 février 2002 sont versées au dossier; qu'un rapide examen de sa lettre n°865 D/ MME S du 05 septembre 2001 permet de constater aisément que le comité syndical et les délégués du personnel de la C.MD.T. ont été bel et bien avisés de l'intention de cette dernière de licencier Monsieur A puis qu'ils ont été tenus ampliataires; que le juge soutient que Monsieur A a été licencié sans préavis alors que du 05 septembre 2001 au 30 décembre 2001 date à laquelle est intervenue le licenciement du sieur A 4 mois se sont écoulés; que donc ce dernier a bénéficié de 4 mois de préavis au lieu d'un mois légalement prévu; que là aussi il s'est agi d'une fausse allégation qui ne pourra distraire la haute Cour Suprême du Mali;
Deuxième moyen tiré du défaut de base légale:
En ce que la Cour d'Appel de Bamako a confirmé le jugement n°07 du 05 août 2002 en condamnant la C.M.D.T à payer deux millions de dommages - intérêts à Ac A; qu'il est constant que la condamnation à des dommages - intérêts suppose l'accomplissement d'un acte préjudiciable à autrui; que Ac A qui a été tout simplement licencié pour des motifs légaux par la C.M.D.T n'a subi aucun préjudice; que dès lors la Cour d'Appel de Bamako qui a condamné la C.M.D.T à payer deux millions de francs CFA à Ac A à titre de dommages - intérêts a pris une décision illégale; que la Cour Suprême se doit de casser et d'annuler l'arrêt n°53 du 13 juin 2003 qui a confirmé le jugement n°07 du 05 août 2002 qui a condamné la C.M.D.T à payer des dommages - intérêts à Ac A; qu'en outre la Cour d'appel de Bamako a condamné la C.M.D.T à payer à Ac A la somme de 158.000 F au titre du salaire du mois de janvier alors que ce dernier a été licencié par la note d'application régionale n°317/SDMme S en date du 30 décembre 2001; que depuis cette date Ac A ne fait plus partie des effectifs de la dite structure; qu'il est constant que le salaire est la contre partie du travail effectué; que Ac A qui n'a fourni aucun service à la C.M.D.T. pour motif de licenciement courant janvier ne peut en aucune manière avoir droit à un salaire au titre dudit mois; qu'au regard de tout ce qui précède l'arrêt entrepris mérite la censure de la Haute Juridiction;
II- Moyens présentés par Maître Yacouba KONE:
Au soutien de son pourvoi, Maître Yacouba KONE invoque deux moyens de cassation tirés respectivement du défaut de motifs pour défaut de réponse à conclusions et du défaut de base légale.
Premier moyen de cassation: défaut de motifs pour défaut de réponse à conclusions:
En ce que dans ces conclusions d'appel le mémorant a eu à contester le bien fondé de son licenciement et a sollicité sa réintégration au sein de l'effectif C.M.D.T; que l'arrêt querellé comme cela ressort de son dispositif a occulté la demande de réintégration du concluant; que l'arrêt entrepris aurait dû se prononcer sur le bien fondé de ladite demande ce qui ne fut pas le cas; que le fait pour l'arrêt querellé d'avoir occulté ce point important constitue un défaut de réponse à concluions qui équivaut à un défaut de motifs constitutif lui - même d'un motif de cassation; qu'il échet de censurer l'arrêt querellé;
Deuxième moyen de cassation tiré du défaut de base légale:
En ce que le mémorant a toujours exigé sa réintégration; que cette demande de réintégration est d'autant fondée que le licenciement du mémorant est en flagrante contradictoire avec les termes de l'accord d'établissement de la C.M.D.T, notamment ses articles 53 et 54 ( pièce n°4); que la justesse de cette demande de réintégration est par ailleurs corroborée par les correspondances en date du 22 janvier 2002, du 28 février 2002 et du 29 mars 2002 correspondances visées plus haut aux pièces n°1, 2, et 3; que c'est le lieu de rappeler que le mémorant a été licencié par son directeur régional et non par le Président Directeur Général de la c;m;d;t comme cela aurait dû être le cas; que malheureusement les juges du fond n'ont pas cru bon réserver une suite favorable à ladite demande; que le rejet, sans motifs légaux de la demande de réintégration du mémorant ôte à l'arrêt querellé toute base légale, ce qui l'expose à la censure de la haute juridiction; que par ailleurs les droits et dommages - intérêts accordés au mémorant sont de loin inférieurs à ceux qui lui seraient légalement dus en cas de licenciement; qu'en effet après 17 années de service à la C.M.D.T., le mémorant, au moment de son licenciement était encore à 18 ans de la retraite; qu'ainsi pour un salaire mensuel de 158.020 F cfa ses droits auraient dû s'élever à la somme de 34.132.320 F cfa comme cela résulte de l'opération suivante: 158.020 Fcfa X 12 X 18 = 34.132.320 F cfa; que c'est sur une telle base qu'ont été calculés tous les droits dus aux travailleurs licenciés en raison du plan social de la C.M.D.T; qu'en ce qui concerne les dommages - intérêts, force est de reconnaître que la somme de 2.000.000F cfa allouée au mémorant l'a été en violation des dispositions de l'article L51 du Code du Travail qui dispose que « la rupture abusive du contrat peut donner lieu à ces dommages - intérêts; le montant des dommages - intérêts est fixé, lorsque la responsabilité incombe à l'employeur, compte tenu des usages, de la nature des services, de l'âge du travailleur et des droits acquis à quelque titre que ce soit»; que s'agissant d'un travailleur ayant 17 ans d'ancienneté avec un salaire mensuel de 158.020 F cfa, marié et père de plusieurs enfants et dont les conditions de vie sont devenues des plus précaires suite à son licenciement, il reste entendu qu'une somme de 2.000.000 F cfa ne peut suffire à réparer le préjudice subi; que pour avoir accordé au mémorant un montant forfaitaire à titre de dommages - intérêts, l'arrêt querellé manque de base légale, ce qui l'expose à la censure de la haute juridiction.
ANALYSE DES MOYENS:
I- Moyens présentés par la Direction Générale du contentieux de l'Etat:
Attendu que le premier moyen fait grief à l'arrêt déféré d'avoir procédé par dénaturation des faits; qu'à cet égard il convient de faire observer que suivant une jurisprudence constante un tel moyen n'est pas recevable et que seule l'interprétation d'un écrit peut faire l'objet de ce grief; qu'en tout état de cause, l'appréciation des faits relève de la souveraineté des juges du fond et échappe par conséquent à la censure de la Cour Suprême; que pour déclarer le licenciement non motivé, l'arrêt querellé a relevé que celui ci était intervenu en violation de l'alinéa 3 de l'article L40 du Code du Travail qui dispose que «En cas de contestation du ou des motifs de licenciement, le travail leur peut se pourvoir devant le Tribunal; le recours devant le Tribunal du travail est suspensif de la décision de l'employeur»; que dans la note d'application n°317 du 30 décembre 2001, le chef de la Direction Régionale de la C.M.D.T de Fana a décidé que Ac A est licencié et rayé des effectifs de la C.M.D.T sans y énoncer aucun motif et que les motifs de licenciement à savoir les abandons répétés de poste et le refus d'obtempérer n'ont été révélés que devant le Tribunal de travail de Koulikoro; que dès lors le moyen n'est pas opérant;
Attendu que par le deuxième moyen, il est reproché à l'arrêt entrepris le défaut de base légale qui est constitué par une insuffisance de motifs empêchant la Cour Suprême d'exercer son contrôle;
Attendu que contrairement aux allégations de la mémorante l'arrêt déféré dans ses différents considérants après avoir relevé que le licenciement de Ac A avait été opéré en violation de l'article L 40 du Code de Travail, 53 nouveau de l'Accord d'Etablissement de la C.M.D.T et sans préavis a conclu que ledit licenciement était non seulement irrégulier mais aussi abusif et condamné son employeur à lui payer, outre les indemnités de licenciement, de congés payés et de préavis, 2.000.000 de francs CFA à titre de dommages - intérêts et 158.020 F cfa au titre du mois de janvier, la décision n'ayant été reçue que le 22 janvier 2002;
Qu'en procédant
comme il l'ont fait le juges du fond ont conféré une base légale à leur arrêt d'où ce moyen n'est pas plus heureux que le premier.
II- Moyens présentés par Maître Yacouba KONE:
Attendu que les moyens eu égard à leur interférence peuvent être analysés ensemble;
Attendu que le mémorant reproche à l'arrêt querellé de n'avoir donné aucune réponse à ses concluions en cause d'appel tendant à sa réintégration au sein de l'effectif de la C.M.D.T;
Attendu que contrairement aux assertions contenues dans le moyen soulevé aucune demande de réintégration au sein de l'effectif de la C.M.D.T n'a été soumise à l'appréciation des juges du fond, le mémorant dans ses conclusions d'appel s'étant borné à déclarer qu'il relevait appel contre le jugement d'instance seulement par rapport au montant de deux millions de francs CFA alloué comme dommages - intérêts; que la demande de réintégration n'a été présentée qu'au juge d'instance qui y a répondu;
Attendu que par ailleurs il est reproché à l'arrêt entrepris d'avoir minoré les droits et les dommages - intérêts alloués au mémorant en violation des dispositions de l'article L 51 du Code de Travail;
Attendu qu'aux termes De l'article L 51 du Code de Travail la rupture abusive du contrat peut donner lien à des dommages - intérêts dont le montant est fixé compte tenu de tous les éléments qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé et notamment lorsque la responsabilité incombe à l'employeur, des usages, de la nature des services engagés, de l'ancienneté des services, de l'âge du travailleur et des droits acquis à quelque titre que ce soit;
Attendu que l'allocation des dommages - intérêts relève de l'intime conviction des juges du fond après examen des faits;
Attendu par ailleurs que les juges du fond déterminent souverainement l'évaluation de l'indemnité et qu'ils n'ont même pas à faire connaître les éléments sur lesquels ils se sont fondés; qu'il s'ensuit que les moyens soulevés sont inopérants et le pourvoi doit être rejeté;
PAR CES MOTIFS:
En la forme: Recevoir les pourvois;
Au fond: Les rejette comme étant mal fondés;
Met les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.