20071008225
COUR SUPREME DU MALI SECTION JUDICIAIRE
2ème Chambre Civile
POURVOI N°16 DU 16 JUILLET 2003 ARRET N°225 DU 08 OCTOBRE 2007
RÉCLAMATION DE TERRE DE CULTURE, NOTION D'EMPRISE ÉVIDENTE ET PERMANENTE SUR LE SOL -
FAUSSE APPLICATION DES ARTICLES 45 ET 46 DU CODE
DOMANIAL ET FONCIER
Il résulte des articles 45 et 46 du code domanial et foncier que le législateur, tout en reconnaissant l'existence de droits coutumiers, soumet cependant leur consécration à la notion d'emprise évidente et permanente se traduisant par une mise en valeur régulière ou par des constructions.
Ainsi, en se fondant sur des déclarations au demeurant contradictoires des témoins de l'intimé pour déclarer que celui-ci a une emprise évidente, permanente et paisible sur le champ litigieux sans préciser par quelle mise en valeur ou par quelles constructions se traduisait cette emprise, la cour d'appel de Kayes a fait une application erronée des dispositions des articles 45 et 46 du code domanial et foncier.
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME:
Par acte n°16 reçu au greffe le 16 juillet 2003, Monsieur Aa Ac agissant en son nom et pour son propre compte a déclaré se pourvoir en cassation contre l'arrêt n°34 rendu le 16 juillet 2003 par la chambre civile de la Cour d'appel de Kayes dans l'affaire en réclamation de terre de culture qui l'oppose à Monsieur Hamadi Konté ;
Suivant certificat de dépôt n°113 du Greffier en chef de la Cour Suprême en date du 23 mai 2006, le demandeur au pourvoi a acquitté le montant de la consignation prévue par la loi ; Il a ensuite produit un mémoire ampliatif qui, notifié au défendeur a fait l'objet de réplique ; Le pourvoi ayant ainsi satisfait aux exigences de la loi, il y a lieu de le déclarer recevable en la forme ;
AU FOND
FAITS ET PROCEDURE :
Par jugement n°35 du 1er août 2002 le tribunal civil de DIEMA a rendu le jugement suivant: « Statuant publiquement contradictoirement en matière coutumière et en premier ressort ; Reçoit la requête de Hamadi Konté le déclare détenteur des droits de propriété coutumière sur
la parcelle litigieuse limitée à l'ouest par le rocher traversant la terre du nord au sud, à l'est par le baobab, au nord et au sud par des rochers ; Met les dépens à la charge des défendeurs » ; Sur appel de Aa Ac, la Cour d'appel de Kayes a par arrêt n°34/03 du 16 juillet 2003, confirmé ledit jugement ; Sur pourvoi du même Balla, la 2ème chambre de la Cour Suprême a, par arrêt n°122 du 23 août 2004 déclaré le pourvoi irrecevable pour défaut de consignation et de mémoire ampliatif ; Suite à la requête de Aa Ac, les chambres réunies ont rabattu ledit arrêt et ont déclaré le pourvoi recevable par arrêt n°19 du 06 février 2007 ; L'affaire revient donc devant la 2e chambre ;
EXPOSE DES MOYENS :
Au soutien de son recours le mémorant soulève sous la plume de son conseil, un moyen unique de cassation tiré de la fausse application de la loi En ce que l'arrêt confirmatif attaqué a fait une fausse application des articles 45 et 46 du code domanial et foncier ; Que l'article 45 dudit code dispose : « Les droits coutumiers individuels ainsi constatés, quand ils comportent emprise évidente et permanente sur le sol se traduisant par des constructions ou une mise en valeur régulière sauf le cas échéant interruptions justifiées par les modes de culture peuvent être grevés de droits nouveaux ou concédés au profit de tous tiers. Dans ce cas le nouveau concessionnaire est tenu de requérir et sans délai l'immatriculation de l'immeuble.
Les droits ainsi constatés lorsqu'ils comportent emprise évidente et permanente sur le sol peuvent également être transformés en droit de propriété au profit de leur titulaire qui requiert à cet effet leur immatriculation » ;
Que l'article 46 ajoute : « les droits coutumiers autres que ceux définis à l'article précédent ne peuvent être immatriculés. Ils ne peuvent être transférés qu'à des individus ou à des collectivités susceptibles de posséder les mêmes droits en vertu de la coutume et seulement dans les conditions et limites qu'elle prévoit.
Néanmoins il peut être fait abandon de tous droits fonciers coutumiers tant en faveur des collectivités et établissements publics qu'en faveur des demandeurs de concessions» ; Qu'ainsi, le législateur, en reconnaissant l'existence de droits coutumiers soumet cependant leur consécration à la notion d'emprise évidente et permanente.
Que le concept d'emprise évidente et permanente se traduit par une mise en valeur régulière ou des constructions que cette exigence du code domanial et foncier impose au Juge la recherche de ce concept d'emprise évidente et permanente pour dire en définitive qui est véritablement titulaire de droit coutumier. Que déjà devant le premier juge Hamadi KONTE a déclaré que «Kassé a abandonné le champ il ya de cela 5 à 6 ans»; Qu'en clair non seulement Hamadi Konté n'avait aucune emprise personnelle sur le terrain litigieux mais qu'en plus depuis cinq ans selon Ab lui-même ledit terrain était abandonné.
Que l'arrêt attaqué n'a pas tenu compte de tout cet état de fait et par son insuffisance on peut toujours se poser la question de savoir qui est le véritable titulaire car il ne spécifie pas en quoi a consisté pour Hamadi Konté l'emprise évidente et permanente.
Que l'arrêt attaqué a plutôt fait comme s'il s'agissait de trancher un droit de propriété et d'ailleurs le premier jugement parle de « propriété coutumière » ;
Qu'or dans l'arsenal juridique en la matière seul le titre foncier confère droit de propriété, le droit coutumier reconnu n'étant qu'un droit d'usage et d'occupation essentiellement précaire.
Qu'ainsi les motifs de l'arrêt reposant sur des témoignages au demeurant contradictoires ne caractérisent point l'emprise évidente et permanente alors que c'est la preuve de cette notion qui devait être rapportée par Hamadi Konté pour faire prospérer sa revendication ; Que dès lors l'arrêt a manifestement appliqué le concept d'emprise évidente et permanente à une situation qui n'en remplit pas les conditions. Qu'or un arrêt doit se suffire à lui-même de par ses motifs faute de quoi il ne permet pas à la Haute Cour d'exercer valablement son contrôle. Que c'est pourquoi il sollicite qu'il plaise à la Cour casser et annuler l'arrêt attaqué et renvoyer la cause et les parties devant la Cour d'appel de Kayes autrement composée ou autre Cour d'appel. Le défendeur Hamadi Konté réplique sous la plume de son conseil Me Souleymane Dembélé avocat à la Cour et conclut au rejet du pourvoi comme mal fondé.
ANALYSE DES MOYENS
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait une fausse application de la loi notamment des articles 45 et 46 du code domanial et foncier.
Attendu que la fausse application de la loi procède du fait que « tantôt le juge a commis une erreur sur la définition même du concept qualificateur, tantôt le juge tout en retenant une qualification exacte de ce concept, a appliqué celui-ci à une situation qui n'en respecte pas les conditions » ;
Attendu qu'il y a lieu de rappeler les dispositions des articles dont la fausse application est alléguée ;
Article 45 : « Les droits coutumiers individuels ainsi constatés quand ils comportent une emprise évidente sur le sol se traduisant par des constructions ou une mise en valeur régulière sauf, le cas échéant interruptions justifiées par les modes de culture peuvent être grevés de droits nouveaux ou concédés au profit de tous tiers. Dans ce cas le nouveau concessionnaire est tenu de requérir sans délai l'immatriculation de l'immeuble.
Les droits ainsi constatés lorsqu'ils comportent une emprise évidente et permanente sur le sol peuvent également être transformés en droit de propriété au profit de leur titulaire qui requiert à cet effet leur immatriculation ».
Article 46 : « Les droits coutumiers autres que ceux définis à l'article précédent ne peuvent être immatriculés, Ils ne peuvent être transférés qu'à des individus ou collectivités susceptibles de posséder les mêmes droits en vertu de la coutume et seulement dans les conditions et limites qu'elle prévoit.
Néanmoins il peut être fait abandon de tous droits fonciers tant en faveur des collectivités et établissements publics qu'en faveur des demandeurs de concessions » ;
Attendu qu'il résulte de ces articles que le législateur tout en reconnaissant l'existence de droits coutumiers soumet cependant leur consécration à la notion d'emprise évidente et permanente que ce concept d'emprise évidente et permanente se traduit par une mise en valeur régulière ou par des constructions ;
Attendu que la Cour d'appel de Kayes pour déclarer Hamadi Konté détenteur de droits coutumiers sur la parcelle litigieuse énonce que : « les témoins de l'intimé après avoir donné des précisons sur la situation dudit champ ont déclaré l'avoir exploité personnellement sur autorisation du père de l'intimé ou de l'intimé lui-même « Que le transport effectué sur les lieux par le premier juge a confirmé l'existence du monticule comme limite naturelle et du baobab dont ont fait cas l'intimé et ses témoins » ;
« Qu'il appert de tout ce qui précède que c'est l'intimé qui a une emprise évidente permanente et paisible sur le champ objet du litige » ; Qu'en se fondant sur les déclarations au demeurant contradictoires des témoins de l'intimé pour déclarer que celui-ci a une emprise évidente permanente et paisible sur le champ litigieux sans préciser par quelle mise en valeur ou par quelles constructions se traduisait cette emprise la Cour d'appel de Kayes a fait une application erronée des dispositions des articles 45 et 46 du code domanial et foncier ;
Qu'il s'ensuit que le moyen est fondé et doit être accueilli ;
PAR CES MOTIFS En la forme : reçoit le pourvoi ; Au fond : casse et annule l'arrêt déféré ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bamako Ordonne la restitution de l'amende de consignation. Met les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER./.