20071119277
COUR SUPREME DU MALI SECTION JUDICIAIRE 2ème Chambre Civile
POURVOI N°59 DU 09 SEPTMBRE 2005 ARRET N°277 DU 19 NOVEMBRE 2007
RÉCLAMATION DE TERRE - DROITS COUTUMIERS-POSSESSION DE DROITS COUTUMIERS POUR AUTRUI-EFFETS ET DROITS DÉCOULANT DU CARNET DE RECENSEMENT DE TERRE
ÉTABLI PAR L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE-MOTIVATION DE LA
DÉCISION
Il est reproché à l'arrêt de la Cour d'Appel d'avoir refusé d'accorder toute valeur juridique au carnet de terre exhibé par le demandeur (Ad Ah ) alors que ledit carnet de terre est considéré dans la région de Gao comme la seule preuve du droit de propriété sur les terres coutumières.
Pour la cour suprême, dès lors que l'arrêt de la Cour d'Appel, pour écarter les prétentions du demandeur Ad Ah, soutient que « A Ac et Ag ont été les premiers occupants » et « qu'en matière coutumière, posséder pour autrui ne saurait créer des droits, raison pour laquelle en dépit du prétendu carnet de terre, Yéhia a cédé le champ dès le retour du véritable ayant droit de A Ac en l'occurrence Hassane » ; qu'en décidant ainsi sans rechercher les effets et droits découlant du carnet de famille établi par l'autorité administrative et sans expliquer comment il y a eu possession pour autrui, les juges du fond n'ont pas donné une base légale à leur décision.
La Cour :
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
En la forme : Par acte au greffe en date du 09 septembre 2005, Me Mahamadou SIDIBE, Avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de Ad Ah, s'est pourvu en cassation contre l'arrêt n°67 du 07 septembre 2005 de la Chambre Civile de la Cour d'Appel de Mopti dans une instance en réclamation de terre qui l'oppose à Ab Aa ; Le demandeur a, suivant certificat de dépôt du greffe en date du 17 juillet 2006, versé l'amende de consignation. Le mémoire ampliatif en date du 06 octobre 2006, notifié au défendeur, a fait l'objet de réplique ;
Le pourvoi satisfaisant ainsi aux exigences de la loi est recevable ;
Au fond
Faits et procédure :
La parcelle dénommée «Ae» d'une superficie de 2,44 ha située entre les villages de
Traoré et de Af, Commune de Gabéro, fut exploitée par différentes personnes notamment A Ac, Ad Ah, Aa Ac et Ab Aa. Courant 2003, Ad Ah B Ab Aa en réclamation de terre en soutenant qu'il a été dépossédé de force par le père de celui-ci en 1968 malgré qu'il ait recensé la parcelle en question dans le registre des terres en son nom en 1952 ; Le Tribunal Civil de Gao, par jugement en date du 28 octobre 2004, l'a débouté de sa demande ; Sur appel, le jugement entrepris a été confirmé suivant arrêt n°67 du 07 septembre 2005 de la Chambre Civile de la Cour d'Appel de Mopti ; C'est cet arrêt qui est frappé de pourvoi ;
Présentation des moyens de cassation :
Le mémorant, par l'organe de son conseil Me Mahamadou H. SIDIBE, soulève deux moyens de cassation à savoir la violation de la loi notamment les articles 28 b, 43 et 44 du code domanial et foncier et le défaut de motifs et de base légale ;
1. La violation de la loi :
En ce que la Cour d'Appel de Mopti a refusé d'accorder toute valeur juridique au carnet de terre exhibé par le demandeur qui est cependant considéré dans la région de Gao comme seule preuve du droit de propriété sur les terres coutumières
Qu'or, aux termes de l'article 28b du code domanial et foncier « ... Font partie du domaine privé immobilier de l'Etat... b) les terres sur lesquelles s'exercent les droits coutumiers d'usage ou d'exploitation, que ce soit à titre collectif ou individuel »
Que de même, l'article 43 du même code dispose que « ... les droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres non immatriculées sont confirmés ; Nul individu, nulle collectivité ne peut être contraint de céder ses droits si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité »
Que l'article 44 du même code ajoute que « les droits coutumiers sus visés peuvent faire l'objet d'une enquête publique et contradictoire donnant lieu à la délivrance d'un titre opposable aux tiers qui constate l'existence et l'étendue de ces droits »
Que la parcelle litigieuse lui a été attribuée par le chef de Canton parce que A Ac ne parvenait plus à l'exploiter ; Qu'avec l'institution du carnet de terre en 1952 par l'administrateur colonial, il a recensé la parcelle Ae dans son carnet et l'a exploitée paisiblement jusqu'en 1968 où il fut contraint de la céder à Aa A, militaire ;
Que Aa A n'a pas régularisé la parcelle en son nom ; Qu'en faisant fi de tous ces facteurs, les juges du fond ont manifestement violé les dispositions des articles 28b, 43 et 44 du code domanial et foncier ; Qu'en conséquence, il estime que l'arrêt encourt la cassation ;
2. Défaut de base légale et de motifs :
En ce que l'arrêt querellé a fondé sa conviction sur la théorie du premier occupant, considéré
en matière coutumière comme seul mode d'acquisition des droits coutumiers ;
Alors qu'il est constant que la parcelle litigieuse a d'abord été la propriété de Ai dont elle porte le nom du grand père (Ae) ; Que c'est le chef de canton qui l'a retirée à Ai pour l'attribuer à N'Tirgni, puis à Ad Ah ;
Que l'arrêt devait donner des explications au recensement de la parcelle sur le carnet de terre de Yéhia, carnet qui n'a pas fait l'objet de contestation de feu A Ac, grand père du demandeur ; Que pour ces raisons, il estime que l'arrêt manque de base légale et de motifs et encourt de ce fait la cassation ;
Le défendeur, par l'organe de son conseil Me Boulkassoum Sidaly, a conclu au rejet du pourvoi ;
Analyse des moyens :
Attendu que les deux moyens, en raison de leur similitude, peuvent être analysés ensemble ; Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt querellé de n'avoir pas accordé de valeur juridique au carnet de recensement de terre dont se prévaut le demandeur alors que celui-ci est, dans la région de Gao, la preuve de sa propriété sur la parcelle litigieuse et d'avoir ainsi manqué de base légale et violé les dispositions des articles 28 b, 43 et 44 du Code Domanial et Foncier ; Attendu que pour écarter les prétentions de Ad Ah, l'arrêt querellé soutient que « A Ac et Ag ont été les premiers occupants » et qu' « en matière coutumière, posséder pour autrui ne saurait créer des droits, raison pour laquelle en dépit du prétendu carnet, Yéhia a cédé le champ dès le retour du véritable ayant droit de A Ac, en l'occurrence Hassane» ; Qu'en décidant ainsi, sans rechercher les effets et droits découlant du carnet de terre établi par l'autorité administrative et sans expliquer comment il y a eu possession pour autrui, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision ;
PAR CES MOTIFS :
En la forme : Reçoit le pourvoi ; Au fond : Casse et annule l'arrêt déféré ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Bamako ; Ordonne la restitution de l'amende de consignation ; Met les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRSIDENT ET LE GREFFIER./.