CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET N° 20 DU 22 juillet 2014.
Réclamation de sommes.
SOMMAIRE :
Il y a contradiction de motifs (moyen de cassation) lorsque les motifs d’une décision sont contraires se détruises et sont inconciliables.
FAITS ET PROCEDURE :
A, commerçant de son état, s’adonnait au commerce de la gomme arabique. Dans ce cadre il forma avec les sieurs A, Aa Ae et Ac Ab, une association dont la gérance fut confiée à A. Après plusieurs opérations d’achat et d’exportation courant 1985 -1986 et qui furent satisfaisantes, A n’a pu représenter ni le fond de roulement mis à sa disposition ni les bénéfices réalisés. Suite à une plainte de A pour faux et usage de faux contre x courant 1989, A renvoyé par la chambre d’accusation devant la cour d’assises, fut acquitté le 28 octobre 1992.
Le 09 janvier 2011, A assignait A devant le tribunal de commerce de Bamako pour solliciter sa condamnation à lui payer :-la somme d 22.541.040 FR CFA à titre de restitution de fonds de roulement ;-les bénéfices réalisés par l’utilisation de cette somme ;-la somme de 6.375.000 FR CFA représentant la valeur des marchandises restantes en stock pour le groupe ;-la valeur de 7,604 tonnes de gomme arabique lui appartenant en propre et la somme de 10.000.000 à titre de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 03 août 2012, le tribunal a fait droit à cette demande. Sur appel de Ad, la cour d’appel de Bamako, par arrêt n°25 du 08 mai 2013 a infirmé le jugement d’instance et déclaré la demande irrecevable pour cause de prescription. C’est cet arrêt qui fait l’objet de pourvoi.
EXPOSE DES MOYENS DE CASSATION :
Le conseil du demandeur soulève contre l’arrêt trois moyens de cassation tirés du manque de base légale en deux branches, de la violation de l’article 248 du régime général des obligations et de la contrariété de motifs.
I DU MANQUE DE BASE LEGALE :
PREMIERE BRANCHE :
En ce que pour juger l’action de A irrecevable pour prescription, les juges du fond ont affirmé de façon laconique que la procédure de faux et usage de faux engagée contre Ad ne peut être confondue avec la présente procédure de réclamation de sommes et qu’elle ne saurait suspendre la prescription.
Alors que la cour d’appel n’a pas précisé ce en quoi les deux procédures sont distinctes l’une de l’autre et ne peuvent de ce fait être confondues pour estimer que la procédure de faux et usage de faux ne saurait suspendre la prescription.
Que du point de vue de la doctrine et de la jurisprudence, une décision pèche par manque ou défaut de base légale quand ses motifs ne permettent pas, par leur imprécision ou leur insuffisance, de vérifier si les éléments nécessaires pour justifier l’application de la loi se retrouvent bien dans la cause, autrement dit il y a eu chez le juge du fond une insuffisance de constatation des faits nécessaires à fonder en droit la solution retenue.
Qu’en ne fournissant pas ici les éléments de précision, l’arrêt querellé ne permet pas à la cour suprême d’exercer son contrôle comme expliqué ci-dessus.
Que l’arrêt mérite alors la censure pour maque de base légale.
DEUXIEME BRANCHE :
En ce que la cour d’appel a retenu qu’il y a prescription en invoquant les dispositions de l’article 251 du RGO et en affirmant de façon péremptoire qu’il y a eu un délai de suspension de trois ans allant du 27 février 1989 au 28 octobre 1989 ;
Alors que la cour n’indique pas ce à quoi correspondent ces dates prises comme référence et n’explique pas non plus que le temps écoulé est un délai de suspension au sens de l’article 251 du RGO ;
Qu’en l’absence de ces précisions ,il n’est pas permis à la cour suprême de vérifier la conformité du motif avec la règle de droit appliquée.
Qu’une fois de plus il y a manque de base légale et l’arrêt encourt la censure.
II VIOLATION DE L’ARTICLE 248 DU R .G.O :
En ce que les juges du fond ont considéré que pour qu’il y ait suspension de la prescription, les deux procédures (faux et usage de faux et réclamation de sommes) doivent pouvoir se confondre, mais que ce n’est pas le cas en l’espèce.
Alors que selon l’article 248 du RGO « l’aveu judiciaire, la demande en justice, le commandement de payer, l’exécution totale ou partielle, volontaire ou forcée, interrompent la prescription ».
Qu’il ne ressort nulle part de ce texte de loi que l’action en justice susceptible de provoquer la suspension, doit pouvoir être confondue avec celle susceptible d’être prescrite.
Qu’en imposant donc comme condition la confusion pour qu’il y ait prescription, la cour d’appel viole par son arrêt l’article 248 ci-dessus cité qui ne pose aucune condition.
Que le moyen tiré de la violation de la loi doit être accueilli favorablement.
III DE LA CONTRADICTION DE MOTIFS :
En ce que l’arrêt a soutenu dans son dernier considérant de la page 3 qu’il n’y a pas eu suspension du délai de prescription du fait de la procédure de faux et usage de faux engagée contre A pour ensuite dire dans le premier considérant de la page 4 qu’il y a eu suspension de la prescription pendant trois ans du 27 février 1989 au 28 octobre 1992.
Qu’il y a là incontestablement contradiction entre ces deux motifs de l’arrêt querellé.
Que le moyen tiré de la contrariété de motifs est absolument bien fondé et expose l’arrêt la censure.
Le conseil du défendeur a conclu au rejet du pourvoi comme étant mal fondé.
ANALYSE DES MOYENS :
I DU MANQUE DE BASE LEGALE :
PREMIERE BRANCHE ;
Il es reproché à l’arrêt d’avoir affirmé de façon laconique que la procédure de faux et usage de faux engagée contre A ne peut être confondue avec la procédure de réclamation de sommes et que de ce fait la procédure de faux et usage de faux ne saurait suspendre la prescription , sans préciser ce en quoi les deux procédures sont distinctes l’une de l’autre.
Attendu que le manque de base légale se caractérise par une insuffisance de motivation de la décision attaquée ou une insuffisance de constatations des faits nécessaires à l’application de la règle de droit.
Mais attendu que l’arrêt dans ses motivations précise que la réclamation porte sur diverses sommes à titre de remboursement de fond de roulement, de bénéfices réalisés, de la valeur des marchandises restants en stock ainsi que des dommages et intérêts.
Qu’il ressort également de l’exposé des faits que la procédure de faux et usage de faux portait sur deux chèques BIAO pour des montants de 3.600.000 FR CFA et de 1.353.000 FR CFA ;
Attendu qu’il ressort de ce qui précède que l’arrêt contient tous les éléments nécessaires pour soutenir que les deux procédures sont distinctes l’une de l’autre.
Que cette branche du moyen ne peut donc prospérer.
DEUXIEME BRANCHE :
Il est fait grief à l’arrêt de manquer de base légale pour avoir affirmé de façon péremptoire qu’il y a eu un délai de suspension de trois ans allant du 27 février 1989 au 28 octobre 1992 sans indiquer ce à quoi correspondent ces dates prises comme référence et sans expliquer en quoi le temps écoulé entre les deux dates est un délai de suspension au sens de l’article 251 du RGO ; que cette absence de précision fait encourir à l’arrêt la censure.
Mais attendu qu’il ressort des motivations de l’arrêt que la date du 28 octobre 1992 est celle de l’arrêt d’acquittement de la cour d’assises dans la procédure de faux et usage de faux.
Attendu par contre qu’aucune précision ne ressort de l’arrêt par rapport à la date du 27 février 1989.
Que cependant cette absence de précisions n’a pas influé sur la solution donnée à l’affaire, la cour d’appel ayant retenu en définitive la prescription.
Que cette seconde branche du moyen ne peut aussi prospérer.
II DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 248 DU RGO :
Le demandeur reproche à l’arrêt d’avoir ajouté une condition que l’article 248 du RGO n’a pas prévu en soutenant que l’action en justice susceptible de provoquer la suspension doit pouvoir se confondre avec celle susceptible d’être prescrite, et que ce ne serait pas le cas ici .
Mais attendu que l’article 248 du RGO ne traite que des causes d’interruption de la prescription qui ont pour effet d’annuler le délai antérieurement couru.
Que c’est plutôt l’article 250 du RGO qui traite des causes de suspension en indiquant que « l’instance, les délais accordés par le juge, par la loi ou par le créancier, l’état d’incapacité légale, l’impossibilité d’agir dans laquelle s’est trouvé le créancier, suspendent la prescription ».
Que dans ces hypothèses le délai déjà écoulé reste acquis contrairement aux cas d’interruption.
Attendu que dans ces conditions on ne saurait reprocher à l’arrêt d’avoir ajouté une condition de suspension de la prescription à l’article 248 du R.G .O, article qui ne traite pas de la suspension.
Que de ce fait, le moyen ne peut prospérer.
III DE LA CONTRARIETE DE MOTIFS :
Il est fait grief à l’arrêt de renfermer une contradiction de motifs en soutenant dans le dernier considérant de la page 3 qu’il n’y a pas eu suspension de la prescription d’une part et d’avoir soutenu dans le 1er considérant de la page 4 que le délai de suspension de la prescription a été de trois ans allant du 27 février 1989 au 28 octobre 1992 d’autre part.
Attendu qu’il y a contradiction de motifs lors que les motifs d’une décision se détruisent et s’annihilent réciproquement.
Attendu qu’en l’espèce l’arrêt a soutenu dans un premier temps qu’il n’y a pas eu suspension de la prescription pour soutenir après qu’il y a eu suspension de la prescription pour un délai de trois ans.
Attendu qu’il s’agit là de motifs contradictoires par ce qu’inconciliables.
Qu’en conséquence le moyen est fondé et doit être accueilli favorablement.
…Casse et annule d’arrêt attaqué ;
Renvoi la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako autrement composée ; …