CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET N° 32 DU 16 Décembre 2014.
Interprétation de contrat.
SOMMAIRE :
Il n’y a violation de la loi, moyen de cassation, que si le texte de loi violé est cité.
FAITS ET PROCEDURE :
Suivant acte notarié en date du 1er novembre 2000, dressé à l’étude de maitre Yacine Faye SIDIBE, A a donné en bail à construction un local sis à Bozola à B, pour la réalisation de différentes boutiques. Le bail à construction fut conclu pour une durée de trois ans renouvelables par tacite reconduction.
Le montant des investissements qui était fixé à 5.670.000 F CFA devait être déduit du loyer jusqu’à épuisement en raison de 30 .000 F CFA par mois dont 15.000 F à payer au bailleur et 15.000 F CFA à retenir pour le remboursement. La période prévue pour ce remboursement fut fixée à 189 mois soit 15 ans et 9 mois.
Courant octobre 2011, B informait A un des héritiers de feu A de ce qu’il avait découvert une erreur dans le bail à construction du 1er novembre 2000 relativement à la période de 189 mois prévue pour l’amortissement des investissements par rapport au montant mensuel de 15.000 F CFA . Il lui expliquait qu’en divisant le montant de l’investissement par la retenue de 15.000 F FA par mois la période de l’amortissement devait s’étendre sur 378 mois au lieu de 189 mois comme indiqué dans le contrat. Il sollicitait alors une rectification de l’erreur au niveau du notaire.
Estimant que son investissement de 5.670.000 F CFA doit s’amortir sur une période de 378 mois au lieu de 189 mois comme prévu dans le contrat puisque la retenue mensuelle est de 15.000 F CFA, B a saisi le 20 février 2013 le tribunal de commerce de Bamako pour en solliciter l’interprétation dans ce sens .
Par jugement n°350 du 08 mai 3013, le tribunal a rejeté la demande d’interprétation au motif que le contrat est clair et précis. Sur appel des deux parties, la cour d’appel de Bamako, par arrêt n°68 du 18 décembre 2013 a infirmé le jugement d’instance et a dit que la durée du contrat est de 31 ans et 6 mois conformément à la volonté des parties tout en déboutant A de sa demande de nullité de l’appel et d’annulation du contrat. C’est cet arrêt qui fait l’objet de pourvoi.
EXPOSE DES MOYENS DE CASSATION :
Le conseil du demandeur soulève trois moyens de cassation tirés de la violation de la loi.
I DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 782 DU CPCCS : SUR L’EXCEPTION DE NULLITE. :
En ce que les juges d’appel ont rejeté l’exception de nullité de l’appel tirée de la violation de l’article 782 du CPCCS au motif que le demandeur n’a pas fait la preuve du grief que lui cause l’irrégularité soulevée;
Alors que ledit article impose la notification préalable du 1er jugement entre avocats avant la signification aux parties, lorsque celles-ci sont représentées, à peine de nullité.
Qu’en l’espèce les parties sont représentées par leurs conseils maitre Boubacar MAIGA et maitre Kadidia TRAORE.
Que cependant aucune notification préalable n’est intervenue entre les conseils.
Que de plus la signification du jugement de maitre Amadou H. SISSOKO ne comporte pas les mentions de notification exigées par la loi.
Que selon les dispositions communautaires, la partie désireuse d’obtenir l’annulation d’un acte de procédure n’a pas besoin d’apporter la preuve que l’irrégularité qui fonde son action a occasionné un préjudice dont il a souffert.
Qu’il suffit de démontrer que l’une des formalités exigées par la loi à peine de nullité n’a pas été accomplie pour que le juge saisi de l’affaire décide de la nullité de la procédure poursuivie.
Que le principe pas de nullité sans grief au regard du bilan jurisprudentiel n’est plus d’actualité.
Que dans un avis consultatif en date du 13 janvier 1999, la cour commune de justice et d’arbitrage a expliqué que « l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des vois d’exécution a expressément prévu que l’inobservation de certaines formalités prescrites est sanctionnée par la nullité ».
Qu’il est donc inutile d’exiger la preuve d’un grief pour sanctionner l’irrégularité.
Qu’en rejetant donc cette exception de nullité l’arrêt attaqué a violé les dispositions de l’article 782 du CPCCS et encourt la censure.
II DE LA VIOLATION DE LA LOI CONSECUTIVE A L’INTERPRETATION DU CONTRAT DE BAIL CONCLU DEPUIS 11 ANS :
En ce que l’interprétation d’un contrat suppose que celui-ci présente une ambigüité, rendant impossible son exécution en l’état ;
Alors que dans le cas d’espèce le contrat de bail conclu entre les parties ne présente aucune difficulté.
Qu’il est de principe que l’exécution du contrat doit être précédée de son interprétation.
Que cela signifie qu’aucune interprétation ne peut intervenir après l’exécution des obligations, encore que le contrat de bail en cause est entrain d’être exécuté depuis 12 ans.
Que si la convention est claire et précise, le juge ne dispose d’aucun pouvoir pour l’interpréter.
Qu’en présence de clauses claires et précises, les tribunaux s’interdisent de dénaturer l’engagement des cocontractants, à défaut il y aura une violation de la force obligatoire du contrat donc de la volonté.
Qu’en dépit de cette réalité légale et jurisprudentielle, la cour d’appel a trouvé une erreur sur la base d’un écrit partisan du notaire Yacine FAYE.
Que l’arrêt attaqué, en interprétant le contrat liant les parties, a donc violé les dispositions de l’article 173 invoqué à l’appui des conclusions de l’intimé.
III DE LA VIOLATION DE LA LOI TIREE DE LA VOLONTE DE B ET SON NOTAIRE DE DENATURER LA TENEUR DU CONTRAT ET DE PORTER ATTEINTE A SA SUBSTANCE :
En ce que les juges d’appel fondent leur décision sur une erreur commise dans le bail ;
Alors que les parties ont signé un bail pour une durée de 15 ans et 09 mois.
Qu’en fait il y a une faute du notaire qui a failli à son devoir d’assistance et de conseil au regard de l’écrit versé au dossier.
Que l’écrit versé par le notaire pour justifier l’erreur donne une nouvelle configuration au contrat de bail établi depuis 2000.
Que selon l’article 1109 du code civil « il n’y a point de consentement valable si ce celui-ci a été donné par erreur ».
Que vouloir remettre en cause cette volonté claire et précise des parties et surtout après le décès de l’auteur des défendeurs, c’est dénaturer la convention initiale déjà exécutée.
Que l’interprétation ordonnée n’a pas de base légale car intervenue après le décès de l’une des parties.
Que dans l’interprétation du contrat le juge doit se référer à d’autres indices que sont les éléments extérieurs : pourparler précontractuel, comportement des parties, intention réelle avant la signature de tout document.
Que les juges n’ont fait aucune analyse de ces éléments ou critères d’appréciation pour se faire une conviction sur la réalité de l’interprétation sollicitée.
Le conseil du défendeur a conclu au rejet du pourvoi comme étant mal fondé.
ANALYSE :
I DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 782 DU CPCCS :
Attendu qu’il fait grief à l’arrêt attaqué de la violation de l’article 782 du CPCCS en qu’il a rejeté l’exception de nullité fondée sur la non notification préalable du jugement entre avocats avant la signification aux parties ;
Attendu que l’article 782 du CPCCS stipule que « lors que les parties sont représentées, le jugement doit en outre être préalablement notifié aux représentants dans la forme des notifications entre avocats, faute de quoi la notification à la partie est nulle. Mention de l’accomplissement de cette formalité doit être portée dans l’acte de notification destiné à la partie…Le délai pour exercer le recours part de la notification à la partie elle -même ».
Attendu que pour rejeter l’exception soulevée l’arrêt a retenu que selon l’article 110 du CPCCS « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même s’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public » et qu’en l’espèce il n’est pas fait la preuve que cette absence de notification préalable a causé un grief au demandeur.
Attendu qu’en se déterminant ainsi les juges d’appel ne violent pas les dispositions de l’article 782 cités ci-dessus, dès l’instant où le point de départ du délai de recours est la notification à la partie elle-même et que la régularité de l’acte d’appel s’apprécie par rapport à la régularité de la déclaration d’appel.
Qu’il y a lieu donc de rejeter ce moyen.
II DE LA VIOLATION DE LA LOI CONSECUTIVE A L’INTRPRETATION DU BAIL CONCLU DEPUIS 11 ANS :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt la violation de la loi en ce qu’il a interprété un contrat clair et précis qui ne présente aucune ambigüité rendant son exécution impossible.
Mais attendu que le demandeur ne précise pas le texte de loi qui aurait été violé.
Qu’en l’absence de cette précision il y a lieu de retenir que le moyen ne peut être accueilli, l’interprétation des contrats relevant du pouvoir souverain des juges du fond.
III DE LA VIOLATION DE LA LOI TIREE DE LA VOLONTE UNILATERALE DE B ET SON NOTAIRE DE DENATURER LA TENEUR DU CONTRAT ET DE PORTER ATTEINTE A SA SUBSTANCE :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de la violation de la loi en ce qu’il dénature le contrat en suivant la volonté de B et son notaire.
Attendu que pour infirmer le jugement d’instance l’arrêt attaqué énonce « considérant qu’il ressort de la correspondance en date du 19 mars 2013 adressée au président du tribunal de commerce de Bamako, que maitre Yacine Faye Sidibé reconnaît que dans la rédaction du bail litigieux une erreur de calcul l’a fait écrire que l’investissement devrait être amorti au bout de quinze ans et neuf mois alors que le calcul mathématique de 5 670 000 F CFA divisé par 15.000 F CFA donne le chiffre de 378 mois soit 31 ans et six mois. Considérant que le premier juge a refusé de corriger cette erreur matérielle au motif qu’elle touche la substance même du contrat et que s’agissant d’un bail notarié dont le contenu est clair et précis, il n’y a pas lieu à interprétation ;considérant qu’il est constant que les contractants ont conclu pour la construction à la charge de l’appelant quelque soit la durée de l’amortissement des investissements sur le dit bail ; que dès lors la rectification de cette erreur de calcul n’affecte pas le contrat querellé ;qu’au contraire elle s’impose au juge pour mettre fin au déséquilibre créé par cette erreur ».
Attendu qu’en statuant ainsi les juges du fond ne violent aucunement la loi, l’article 72 du régime général des obligations imposant au juge saisi de rechercher la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’en tenir au sens littéral des termes du contrat.
Qu’il y a lieu alors de rejeter ce troisième moyen.
…le rejette ;…