CHAMBRE SOCIALE
ARRET N° 10 DU 10 MARS 2015
Réclamation de droits et de dommages et intérêts.
Sommaire :
Moyens de cassation : violation de la loi. Défaut de motifs.
L’article 118 du Code du travail enferme l’action en paiement du salaire dans un délai de trois ans. Viole donc cet article, l’arrêt qui alloue plus de trois années d’arriérés de salaires à u salarié.
I -Faits et procédure :
Le 28 Juin 2009, A adressait à l’Inspecteur du Travail de Kayes une demande en réclamation de droits contre son employeur, le sieur C, promoteur de la Pharmacie Tambaoura de Kéniéba.
Par lettre N°0234 /DRTEFP-K en date du15 Juillet 2009, celui-ci l’informait qu’à la lumière des débats et de l’analyse des dossiers fournis par les parties, il lui a été donné de constater que s’agissant de la réclamation en paiement des heures supplémentaires et salaires durant la période dont il fait allusion, il ressort clairement qu’à l’époque, il entretenait plutôt avec M Ac des relations se rapportant à un contrat de société en lieu et place du contrat de travail.
Par requête en date du 07 Décembre 2011, il saisissait la Justice de Paix de Kéniéba d’une demande en réclamation d’arriérés de salaires et de dommages-intérêts contre le même employeur.
Cette juridiction, suivant jugement N°17 en date 23 février 2012, se déclarait incompétente, en la matière, au profit du Tribunal du Travail de Kita qu’il saisira par requête en date du 2 Mars 2012.
Il expliquait dans requête, qu’il a été embauché le 23 Décembre 1993 par Monsieur C en qualité de vendeur, suivant un contrat à durée indéterminée, pour un salaire mensuel de 75.000 FCFA.
Mais, le 30 Novembre 2011, son employeur le congédia sans aucun motif légitime ni aucune formalité, alors qu’il accusait 57 mois d’arriérés de salaires, après 22 ans de loyaux services. Il soulignait, en outre que de la date son recrutement à celle de son licenciement, il n’avait bénéficié ni de congé ni de cotisation à l’INPS.
Que cette rupture brutale et injustifiée de son contrat de travail lui cause in préjudice énorme. C’est pour toutes ces raisons, qu’il sollicite que C soit condamné à lui payer les sommes de 4275.000 FCFA à titre d’arriérés de salaires, 75.000 FCFA à titre de préavis, 595.000 FCFA à titre à titre de congés payés et 20.000.000 FCFA à titre de dommages –intérêts, conformément aux articles L.51 et L.53 du Code du Travail.
Cette juridiction, suivant jugement N°14 en date du 12 Décembre 2012, a déclaré sa demande fondée et a condamné C à lui payer : 75.000 FCFA à titre de préavis ; 1.350.000 FCFA à titre à titre d’indemnités compensatrice de congés payés ; 255.000 FCFA à titre d’indemnité de licenciement ; 4.275.000 FCFA à titre d’arriérés de salaires ; et 2.500.000 FCFA à titre de dommages –intérêts ;
La Chambre Sociale de la Cour d’Appel de Kayes, saisie par l’appel de C, confirmera le jugement entrepris en toutes ses dispositions, suivant arrêt N°08 du 04 Avril 2013.
C’est cet arrêt qui fait l’objet du présent pourvoi.
II – EXPOSE DES MOYENS :
Pour soutenir son pourvoi, le demandeur soulève deux moyens de cassation tirés de la violation de la loi, notamment des articles 6 du CPP, L.13 L.118 et L.51 du Code du Travail et du défaut de motifs.
1er Moyen : De la violation des articles 6 du CPP, L.13, L.118 et L.51 du Code du Travail :
De la violation de l’article 6 du CPP :
En ce que la Cour d’Appel a rejeté la demande de sursis à statuer du demandeur au pourvoi au motif que la procédure pénale a été initiée après la procédure sociale alors que contrairement à cette motivation du juge d’appel la procédure pénale a été mise en mouvement le 22 Novembre 2011 avant la procédure sociale qui n’a été introduite que le 2 Mars 2012 ;
Qu’outre le respect du principe général de droit « le criminel tient le civil en l’état », la solution de cette affaire pénale ne peut qu’éclairer en l’espèce la religion de la Cour ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique, la Cour a violé les dispositions de l’article 6 du CPP ;
Que dès lors, il mérite la censure de la haute Juridiction.
De la violation de l’article L.118 du Code du Travail :
En ce que l’arrêt déféré a confirmé le jugement condamnant le demandeur au pourvoi au paiement de la somme de 4.275.000 FCFA au titre d’arriérés de salaires pour la période des années 2007 à 2011, alors qu’aux termes des dispositions de l’article L.118 du Code du Travail «L’action en paiement de salaire se prescrit par trois ans. » ;
Qu’en confirmant le jugement d’instance alors qu’il a condamné C au paiement de la somme de 4.275.000 FCFA, au titre d’arriérés de salaires pour la période des années 2007 à 2011, soit plus de deux ans après la prescription, la Cour d’Appel de Kayes a violé les dispositions de l’article L.118 du Code du Travail et a exposé sa décision à la censure de la haute juridiction ;
De la violation de l’article L.51 du Code du Travail :
En ce que par ailleurs l’arrêt déféré a condamné C au paiement de diverses sommes d’argent au titre des droits et dommages-intérêts, pour licenciement abusif, alors qu’il a été suffisamment démontré que A gérait la pharmacie pour son propre compte tel qu’il ressort clairement de l’arrêt de la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Kayes ;
Qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt viole les dispositions de l’article L.51du Code du Travail et expose sa décision à la censure de la haute Cour ;
De la violation de l’article L.13 alinéa 2 du Code du Travail :
En ce que la Cour d’Appel de Kayes, a confirmé le jugement d’instance qui a qualifié la relation de travail entre C et A de contrat de travail, alors que Aa B avait une liberté totale de gestion de la pharmacie, en ce qu’il recrutait du personnel et faisait même les commandes de produit de sa propre initiative, gérait et organisait son horaire de travail comme bon lui semblait, ne justifiait ni ne prévenait de ses absences ; a violé les dispositions de l’article L.13 du Code du Travail ;
Qu’en confirmant le jugement d’instance, alors qu’il n’existait pas de relation de travail entre A et le demandeur au pourvoi, la Cour d’Appel de Kayes a violé les dispositions de l’article L.51du Code du Travail et a exposé sa décision à la censure de la haute Juridiction.
2ème Moyen : Du défaut de motifs :
En ce que les juges d’Appel se sont contentés de soutenir que C n’a pas développé d’arguments nouveaux au soutien de son appel sans démontrer à travers les conclusions produites en appel que le licenciement est irrégulier en la forme et injustifié au fond ;
Qu’en statuant comme il l’a fait l’arrêt querellé n’a nullement satisfait aux exigences de motivation prévue par les dispositions de l’article 463 du CPCCS.
Que de tout ce qui précède, il convient de casser l’arrêt querellé en toutes ses dispositions et de renvoyer la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako.
Me Moussa KEITA, avocat à la Cour, conseil de A, a conclu au rejet du pourvoi.
III - ANALYSE DES MOYENS :
1er Moyen : De la violation de la loi :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué de la violation des articles 6 du CPP, L.13, L.118 et L.51 du Code du Travail ;
Que pour la clarté de l’analyse, il convient d’examiner ces différentes violations de loi en quatre branches ;
1ère branche : De la violation de l’article 6 du CPP :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué de la violation de l’article 6 du CPP, pour avoir rejeté la demande de sursis à statuer du demandeur au pourvoi au motif que la procédure pénale a été initiée après la procédure sociale alors que contrairement à cette motivation du juge d’appel la procédure pénale a été mise en mouvement le 22 Novembre 2011 avant la procédure sociale qui n’a été introduite que le 2 Mars 2012 ;
Attendu que l’article 6 du CPP est ainsi conçu : «L’action civile est soumise aux règles de la loi civile. Elle peut-être aussi exercée séparément de l’action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action exercée devant la juridiction civile tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. » ;
Attendu qu’il y a violation de la loi quand « il apparait qu’à partir des faits matériellement établis, correctement qualifiés, les juges du fond ont fait une mauvaise application de la loi au prix d’une erreur le plus souvent grossière soit qu’ils aient ajouté à la loi une condition qu’elle ne pose pas, soit qu’ils aient refusé d’en faire application à une situation qui manifestement rentrait dans son champ d’application » ; (la technique de cassation Marie Noëlle Jobard et Xavier Bachelier p138) ;
Attendu que la présente instance en réclamation de droits et de dommages-intérêts, pour rupture abusive de contrat de travail, n’est pas assimilable à une action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou d’une contravention ; qu’il s’agit tout simplement d’une procédure sociale qui ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 6 du CPP ;
Attendu par ailleurs, que le sursis à statuer, en matière civile, ne constitue jamais un droit pour le demandeur ; que n’étant pas fondée sur un motif de droit, l’appréciation de la demande de sursis à statuer relève du pouvoir discrétionnaire du juge du fond (cassation en matière civile P 600) ;
Qu’en conséquence, cette première branche du moyen ne peut être accueillie.
2ème branche : De la violation des articles L.118 :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt déféré la violation de l’article L.118 du Code du Travail, pour avoir confirmé le jugement condamnant le demandeur au pourvoi au paiement de la somme de 4.275.000 FCFA au titre d’arriérés de salaires pour la période des années 2007 à 2011, alors qu’aux termes des dispositions de l’article L.118 du Code du Travail «L’action en paiement de salaire se prescrit par trois ans. » ;
Attendu que l’article L.118 du Code du Travail dont violation est dénoncée est ainsi libellé :
Article L.118 : «L’action en paiement du salaire se prescrit par trois ans. » ;
Attendu que l’arrêt querellé a confirmé le jugement N°14 en date du 12 Décembre 2012 du Tribunal du Travail de Kita condamnant C à payer à A la somme de 4.275.000 FCFA au titre d’arriérés de salaires ;
Qu’en confirmant ce jugement qui alloue plus de 3 années d’arriérés de salaires à A dont le salaire mensuel était de 75.000 FCFA, l’arrêt déféré viole les dispositions de l’article 118 du Code du Travail ;
Qu’en conséquence cette branche du moyen sera accueillie.
3ème branche : De la violation de l’article L.51 du Code du Travail :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt la violation de l’article L.51 du Code du Travail, pour avoir condamné le demandeur au pourvoi au paiement de diverses sommes d’argent pour licenciement abusif et à des dommages-intérêts, alors qu’il a été démontré que A gérait la pharmacie pour son propre compte ;
Attendu que l’article L.51 du Code du Travail dont violation est dénoncée est ainsi libellé :
Article L. 51 : «La rupture abusive du contrat peut donner lieu à des dommages-intérêts. La juridiction compétente constate l’abus par une enquête sur les causes et les circonstances de la rupture.
La rupture du contrat est notamment abusive dans les cas suivants :
Lorsque le licenciement est effectué sans motif légitime ou lorsque la motivation est inexacte.
- Lorsque le licenciement motivé par les opinions du travailleur, son activité syndicale, son appartenance ou non à un syndicat déterminé ... » ;
Attendu que le juge de cassation est juge du droit et non des faits ;
Attendu que l’arrêt déféré ayant confirmé le jugement d’instance qui a retenu que le licenciement de A est abusif ; qu’il s’en suit que cette 3ème branche du moyen ne sera pas accueillie.
4ère branche : De la violation de l’article L.13 alinéa 2 du Code du Travail :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt la violation de l’article L.13 du Code du Travail, pour avoir confirmé le jugement d’instance qui a qualifié la relation de travail entre C et A de contrat de travail, alors que M C avait une liberté totale liberté de gestion de la pharmacie, en ce qu’il recrutait du personnel et faisait même les commandes de produit de sa propre initiative, gérait et organisait son horaire de travail comme bon lui semblait, ne justifiait ni ne prévenait de ses absences ;
Attendu que l’article L.13 du Code du Travail, dont violation est dénoncée, stipule :
Article L.13 : «Le contrat individuel de travail est la convention en vertu de laquelle une personne s’engage à mettre son activité professionnelle moyennant rémunération sous la direction et l’autorité d’une autre personne appelé employeur. » ;
Attendu que le juge de cassation est juge du droit et non des faits ; que les juges du fond ayant retenu que les parties sont liées par un contrat à durée indéterminée ; que cette quatrième branche du moyen ne peut prospérer ;
2ème Moyen : Du défaut de motifs :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt déféré le défaut de motifs, pour s’être contenté de soutenir que C n’a pas développé d’arguments nouveaux au soutien de son appel sans démontrer à travers les conclusions produites en appel que le licenciement est irrégulier en la forme et injustifié au fond ;
Attendu qu’en la matière, l’article 463 du CPCCS dispose :
«Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé à peine de nullité. » ;
Attendu que l’arrêt attaqué a déclaré l’appel du demandeur au pourvoi mal fondé, au motif qu’il n’a développé au soutien de son appel aucun argument nouveau de nature à entrainer l’infirmation du jugement en sa faveur ; qu’il n’a produit aucune pièce, aucun document dans ce sens ;
Attendu que l’appelant a produit des conclusions d’appel, dans lesquelles il a formulé expressément ses moyens de fait et de droit en vue de l’infirmation du jugement entrepris ;
Qu’en déclarant l’appel de C mal fondé, alors que l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit, selon les termes de l’article 573 du CPCCS et en confirmant le jugement N°14 en date du 12 Décembre 2012 du Tribunal de Travail de Ab qui a déclaré le licenciement de A irrégulier et abusif, sans démontrer que ledit licenciement a été effectué sans motif légitime ou que la motivation est inexacte ou encore qu’il est motivé par les opinions du travailleur, son activité syndicale, son appartenance ou non à un syndicat déterminé conformément aux dispositions de l’article L.51 du Code du Travail, l’arrêt attaqué n’a pas répondu aux exigences des articles 463 et 573 du CPCCS ;
Que dès lors il convient de recevoir le moyen.
…Casse et annule l’arrêt déféré ;
Renvoi la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako autrement compose ;…