2ème CHAMBRE CIVILE
Arrêt n°99 du111 0505 / 2015
Réclamation d’impenses.
Sommaire :
Nature : Réclamation d’impenses.
Moyens de cassation : violation de la loi. Défaut de base légale. Fait une fausse application des articles 55’ et 555 du Code civil, l’arrêt qui retient qu’est de bonne foi un tiers qui a réalisé des travaux sur la propriété d’autrui.
1- Faits et Procédure :
Par assignation aux fins de réclamation d’impenses servie le 25 octobre 2011, Monsieur C, ayant pour conseil Maître Bôh CISSE, a attrait devant le tribunal de première instance de la Commune 4 du district de Bamako Monsieur A, domicilié à Kalabambougou à Bamako.
Le tribunal de première instance de la Commune 6 du district de Bamako a, par jugement civil n°99 du 07 mai 2012, condamné A à payer à C la somme de trois millions sept cent cinquante mille (3.750.000) francs Cfa, débouté C du surplus de sa demande, prononcé la résiliation du bail qui liait les parties et mis les dépens à la charge du défendeur ;
Suite à l’appel interjeté par A, enregistré sous le n°77, contre ce jugement, la chambre civile de la cour d’appel de Bamako, par arrêt n°20 du 09 janvier 2013 a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
2- Exposé des moyens de cassation :
Le demandeur au pourvoi, sous la plume de son Conseil, Maître Ousmane A. Bocoum invoque au soutien de son recours deux moyens de cassation tiré de la violation de la loi et du défaut de base légale.
a°) Sur le moyen tiré de la violation de la loi par fausse application des articles 554 et 555 du Code Civil :
En ce que pour confirmer le jugement querellé l’arrêt recherché énonce qu’il ressort des articles 554 et 555 du code civil que le propriétaire qui a fait construire avec des matériaux appartenant à un tiers doit en payer la valeur estimée à la date du paiement ;
Qu’or il résulte du rapport d’expertise, en date du 14 octobre 2011 de Monsieur Abdoulaye GUINDO, ingénieur en génie civil, corroboré par des témoignages des nommés Aa et Ac X Y qui les investissements consentis par l’intimé sur ladite parcelle s’élèvent à trois millions sept cent cinquante mille (3.750.000) francs CFA ;
Que l’article 554 est ainsi conçu : «… le propriétaire du sol qui a fait des constructions, plantations et ouvrages avec des matériaux qui ne lui appartiennent pas doit en payer la valeur estimée à la date du paiement… » ;
Qu’en ayant retenu, à travers le rapport d’expertise et les témoignages visés, que lesdits travaux ont été réalisés par le sieur C qui n’est pas propriétaire des lieux, mais simplement un occupant sans titre qui n’a jamais produit un quelconque pouvoir émanant du propriétaire en vue de la réalisation desdits travaux, l’arrêt recherché fait une fausse application de la loi dans le cas d’espèce ;
En ce qu’il y a également fausse application de l’article 555 du Code Civil en ce que ledit texte permet au propriétaire des lieux soit d’exiger la démolition des ouvrages réalisés sans son consentement, soit les conserver moyennant dédommagement du réalisateur des travaux et cela dans le seul cas où « … les ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n’aurait été condamné, en raison de sa bonne foi… » ;
Alors que l’article 550 du Code Civil dispose « … le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices…» ;
Qu’or le sieur C qui dit avoir bénéficié d’une libéralité émanant de feue B, sa grande tante, n’a jamais produit un titre quelconque ;
Que la libéralité, selon l’article 57 de la loi n°96-023/AN-RM du 21 février 1996 portant statut des notaires, doit obligatoirement être passé par devant un notaire, d’une part ;
Que les témoins entendus n’ont jamais établi la preuve d’une quelconque libéralité intervenue entre C et feue Ab B mais plutôt avoir été engagés par C en vue de la réalisation de certains travaux, d’une d’autre part ;
Que dès lors en visant l’article 555, alors que la bonne foi de C n’a pu être établie conformément aux dispositions de l’article 550 qui exigent la production d’un acte, l’arrêt querellé viole, par fausse application, le texte visé au moyen de ce chef ;
Qu’il y a lieu dès lors casser l’arrêt déféré et renvoyer la cause et les parties devant la cour d’appel autrement composée ;
b°)- Sur le moyen tiré de la violation des articles 9 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale et 550 du Code Civil
En ce qu’en motivant que « …l’appelant n’a pu contester, ni par écrit, ni par preuves testimoniales que l’intimé n’est pas l’auteur des réalisations litigieuses, ou qu’il n’est pas constructeur de bonne foi… », L’arrêt recherché viole les dispositions des textes susvisés qui ne présument en rien que celui a revendique des impenses en est réalisateur des ouvrages bénéficiant au propriétaire ;
Que l’article 9 du code de procédure civile, commerciale et sociale dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention ;
Alors que l’article 550 du Code Civil ne reconnaît la bonne foi du possesseur qu’au cas où il disposerait d’un titre translatif de propriété dont il ignorait les vices et cette bonne foi cesse dès lors qu’il est tenu informé de ce vice ;
Que dès lors en motivant leur décision comme ils l’ont fait, les juges d’appel outre qu’ils ont inversé la charge de la preuve admettent implicitement que le possesseur, même non détenteur de titre, bénéficie d’une présomption de bonne foi ;
Que ce faisant l’arrêt viole les textes susvisés et mérite d’être censuré.
Du moyen tiré du défaut de base légale
En ce que le sieur C a sollicité qu’il soit payé des impenses résultant des réalisations faites sur la parcelle appartenant à feue Z, sa grande tante, du fait que celle-ci lui avait cédé à titre de libéralité la parcelle ayant reçu les constructions, alors que A conteste cette version des faits et affirme que toutes les réalisations sont l’œuvre de son auteur ;
Que tant le jugement d’instance, que l’arrêt recherché, n’ayant retenu comme constant une libéralité au profit du sieur C, par feue Z, ni celle de l’édification du premier corps de bâtiment dont la valeur est de loin supérieur au bâtiment ;
Alors qu’il est constant qu’il existerait un lien de famille entre C et Z, qui aurait pu expliquer le recours à celui-là par celle-ci pour exécuter à ses frais dépensés les travaux que C dit avoir effectué sur la parcelle ;
Que sieur A ayant toujours soutenu que l’ensemble des travaux a été exécuté aux frais de feue Z, légitime propriétaire de la parcelle et bénéficiaire des travaux, qui devient du coup le commettant ;
Que dès lors en se fondant exclusivement sur le témoignage des ouvriers, lesquels n’ont pu affirmer autre chose que leur recrutement par C pour la réalisation des travaux, et non que les travaux ont été réalisés sur financement propre de celui-ci ;
Qu’en s’abstenant dès lors de se déterminer en quelle qualité C a agi, l’arrêt empêche par son insuffisance de motivation, la haute juridiction de savoir si celui-là avait ou non droit à indemnisation, que le préposé qui a usé des fonds du commettant ne saurait revendiquer une répétition ;
Que cette insuffisance de motivation équivaut à un défaut de base légale, mérite d’être retenue pour entraîner la cassation de l’arrêt recherché en toutes ses dispositions ;
Le requérant demande pour les deux moyens ci-dessus indiqués que son pourvoi soit reçu, qu’il soit déclaré bien fondé, qu’en conséquence l’arrêt entrepris soit cassé et annulé, et que la cause et les parties soient renvoyés devant la Cour d’Appel autrement composée et mettre les dépens à la charge du Trésor Public.
ANALYSE DES MOYENS
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt querellé d’avoir violé la loi en ce que les articles 554 et 555 du code civil ont été faussement appliqués et les articles 9 du code procédure civile, commerciale et sociale et 550 du code civil ont été violés et qu’il a manqué de base légale ;
1°) Sur le premier moyen tiré de la violation de la loi :
a°) Violation de la loi par fausse application des articles 554 et 555 du Code Civil :
Attendu que la Cour d’Appel pour confirmer le jugement d’instance a motivé sa décision ainsi qu’il suit :
« Considérant qu’il ressort des articles 554 et 555 du code civil que le propriétaire qui a fait construire avec des matériaux appartenant à un tiers doit en payer la valeur estimée à la date du paiement ;
Considérant qu’il résulte du rapport d’expertise en date du 14 octobre 2011 de monsieur Abdoulaye GUINDO, ingénieur en génie civil corroboré par des témoignages des nommés Aa et Ac Y que les investissements consentis par l’intimé sur la parcelle s’élèvent à 3.750.000 francs CFA ;
Considérant que l’appelant n’a pu contester ni par écrit ni par preuve testimoniale que l’intimé est l’auteur des réalisations litigieuses où qu’il est constructeur de bonne foi » ;
Que c’est donc à bon droit que le premier juge a fait droit à la demande de N.T ; qu’il échet par conséquent de confirmer le jugement querellé comme procédant d’une bonne appréciation des faits de la cause et d’une saine application de la loi ;
Attendu que l’article 12 du code de procédure civile, commerciale et sociale dispose : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Il peut relever d’office les moyens de pur droit quel que soit le fondement juridique invoqué par les parties... » ;
Attendu que l’article 554 du code civil dispose : « Le propriétaire du sol qui a fait des constructions, plantations et ouvrages avec des matériaux qui ne lui appartiennent pas, doit en payer la valeur estimée à la date du paiement ; il peut aussi être condamné à des dommages-intérêts, s’il y a lieu : mais le propriétaire des matériaux n’a pas le droit de les enlever » ;
Attendu que l’article 555 du code civil dispose : « Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l’alinéa 4, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever.
Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions, plantations et ouvrages, elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ; le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds.
Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.
Si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n’aurait pas été condamné, en raison de sa bonne foi, à la restitution des fruits, le propriétaire ne pourra exiger la suppression desdits ouvrages, constructions et plantations, mais il aura le choix de rembourser au tiers l’une ou l’autre des sommes visées à l’alinéa précédent » ;
Attendu que de tous les documents du dossier y compris les conclusions en réplique du défendeur au pourvoi il ressort que le sieur C a été détenteur de la terre d’attribution de feue T.K véritable propriétaire originelle de la concession au sujet de laquelle un remboursement d’impenses est demandé ;
Attendu que Cour d’Appel de Bamako en appliquant les articles 555 et 555 du code civil qui traitent de la situation du propriétaire qui a utilisé des matériaux d’autrui pour faire des réalisations sur sa propriété immobilière pour trancher un litige dans lequel le propriétaire n’a pas effectué des réalisations sur sa propriété avec des matériaux appartenant à un tiers mais que c’est plutôt le tiers qui a réalisé des travaux sur la propriété d’autrui a fait une fausse application des articles ci-dessus mentionnés ;
Qu’en conséquence la première branche du premier moyen de cassation se trouve être fondée et l’arrêt attaqué doit être cassé ;
b°) Violation des articles 9 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale et 550 du Code Civil
Attendu le demandeur au pourvoi reproche à l’arrêt attaqué d’avoir inversé la charge de la preuve en ce que le défendeur au pourvoi n’a pas prouvé qu’il est auteur des réalisations pour lui faire bénéficier un remboursement d’impenses et surtout qu’il n’a pas été établi que ledit défendeur était un possesseur aux regards de l’article 550 du Code Civil qui traite la situation d’un possesseur de bonne foi qui détient un titre de propriété entaché d’un vice qu’il ignorait ;
Attendu que l’arrêt déféré n’ayant pas indiqué en quoi les preuves de ce que c’est bien C qui a réalisé les constructions pour lesquelles un remboursement d’impenses est réclamé mais pas la propriétaire de la concession à travers lui et alors que C n’a jamais été possesseur muni d’un titre translatif de propriété mais détenteur de la lettre d’attribution de la parcelle de feue Z que cette dernière lui avait remise ;
Qu’il ne peut dès lors lui être reconnu la qualité de possesseur de bonne foi au titre de l’article 550 du code civil ; qu’en conséquence l’arrêt de la Cour d’Appel de Bamako qui lui fait bénéficier la qualité de possesseur de bonne foi pour lui accorder un dédommagent pour des réalisations dont il n’est pas prouvé qu’il en a été le véritable auteur a violé l’article 9 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale et l’article 550 du code civil et doit en conséquence être censuré ;
2°) Sur le deuxième moyen tiré du manque de base légale :
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche à l’arrêt querellé de manquer de base légale parce qu’insuffisamment motivé ;
Attendu que des motivations de la Cour d’Appel ci-dessus reproduites il ne ressort pas la qualité en vertu de laquelle il a été décidé d’accorder à C le remboursement d’impenses alors même que les témoignages fournis ne sont relatifs qu’aux recrutements et au paiement par lui d’ouvriers et de manœuvres pour la réalisation de travaux sur la parcelle de feue Z ;
Que lesdits témoignages ne prouvent pas qu’il n’a pas agi pour autrui notamment la propriétaire de la concession ; qu’en conséquence l’arrêt confirmatif de la cour d’appel querellé ne permettant pas à la Cour Suprême de savoir la qualité (propriétaire, usufruitier, locataire, possesseurs de bonne foi etc.…) en vertu de laquelle C a bénéficié d’un remboursement d’impenses met la haute juridiction, faute de motivation suffisante, dans l’impossibilité d’apprécier si la loi a été bien appliquée ;
Qu’en conséquence le deuxième moyen tiré du manque de base légale par insuffisance de motivation est lui aussi fondé et l’arrêt mérite également d’être censuré de ce chef.
…Casse et annule l’arrêt déféré ;
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako autrement composée ;…