2ème CHAMBRE CIVILE
Arrêt n°157 du 13 / 07 / 2015
Annulation d’acte administratif.
SOMMAIRE
Doit être déclaré irrecevable le moyen de cassation qui met en œuvre à la fois deux cas d’ouverture distincts.
Le moyen de cassation tiré de la violation de la loi qui ne précise pas le texte violé doit être rejeté.
II - AU FOND : RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Des pièces du dossier de l’instance, il résulte et notamment :
- D’une décision n°96-352 du 13 décembre 1996 de la Direction Nationale des Impôts portant autorisation de cession de la parcelle objet du … à B ;
- D’une lettre n°01994 du 04 août 2009 du Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales adressée à son homologue chargé du Logement des Affaires Foncières et de l’Urbanisme informant celui-ci que la parcelle EKI du lotissement de l’Hippodrome en Comme II du District de Bamako a fait l’objet d’un contrat de bail avec promesse de vente n°711 du 05 Février 1996 entre l’ex-Gouvernorat de Bamako et le Président Directeur Général du Groupement CAYSAD ; que ledit contrat a été résilié courant 2000 par la Mairie du District de Bamako qui hérite du Gouvernorat de Bamako ; que le 10 février 2009, un nouveau contrat de bail avec promesse de vente a été passé sur la même parcelle entre la Mairie du District de Bamako et le Directeur de la Société Marona-SA ; qu’il lui saurait gré des dispositions à faire prendre par ses services compétents pour éviter la création de tout titre foncier sur la parcelle EKI d’une superficie de 48a 22 ca ; que la même parcelle fait l’objet d’une convoitise de Monsieur Ab Ad ; que ladite parcelle est sous contrat de bail avec promesse de vente avec la Société Marona-SA ;
- D’un arrêté n°0427 du 07 mai 2007 du Gouverneur du District de Bamako, autorisant le Projet d’Aménagement du site du « Djilemba » sur la rue Nelson Mandela à l’Est du marché de Médine en Commune II du District de Bamako, indiquant que le Directeur Régional de l’Urbanisme et de l’Habitat du District de Bamako est chargé de l’exécution dudit arrêté ;
- Que par ordonnance de référé rendue le 04 juin 2009 le tribunal de la Commune II du District de Bamako, sur requête des héritiers de feu B C, ordonna l’arrêt des travaux entrepris par Monsieur Z sur la parcelle litigieuse ;
- Que par une ordonnance de référé n°107 du 28 juin 2010 le juge des référés du Tribunal de Première Instance de la Commune II ordonna au Directeur National des Domaines et du Cadastre de délivrer aux héritiers de feu B C l’acte administratif de cession de la parcelle objet du TF n°16448 de Bamako ;
- Que par un jugement n°513 du 07 novembre 2013, le Tribunal de la Commune II dans une instance en annulation d’acte administratif opposant Z aux héritiers de feu B C et à la Direction Nationale des Domaines et du Cadastre (intervenante forcée) annula l’acte administratif de cession du … issu de la Décision n°96-352/MFC du 16 décembre 1996 ainsi que les actes subséquents ; débouta les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles ; sur appel des héritiers de feu B C, la Cour d’Appel de Bamako, par un arrêt n°629 du 30 octobre 2013, confirma le jugement entrepris. C’est cet arrêt qui nous occupe.
Résumé succinct des moyens de cassation des Héritiers de feu X :
A l’appui de leur recours, les héritiers de feu B C invoquent trois moyens de cassation tirés du défaut de motivation et de base légale (1), de la violation de la loi (2) et du défaut de réponse à conclusions (3).
1- Du défaut de motivation et de base légale :
Il est fait grief à l’arrêt attaqué de décider que la cession intervenue après la signature d’un bail avec promesse de vente est frauduleuse ; que l’arrêt ne se fonde sur aucun texte de loi, aucune jurisprudence ;
Alors que, selon le moyen la jurisprudence constante de la Cour n’échappe pas à la censure pour défaut de motivation, une décision qui ne se fonde sur aucun texte de loi ; aucune motivation juridique ; qu’il sied de l’annuler pour ce chef.
2 - Du moyen tiré de la violation de la loi :
En ce que la Cour s’est contentée d’affirmer seulement qu’il y a fraude à partir du moment où la cession a été faite après la signature du bail ;
Alors que selon le moyen, les droits des Héritiers Diakité sur la parcelle en question sont antérieurs à la signature du bail de plus de dix ans ; que la Mairie du District de Bamako, pour signer un contrat de bail portant sur ladite parcelle doit être du domaine privé immobilier des collectivités territoriales, c'est-à-dire appartenir à la Mairie conformément à l’article 58 du Code Domanial et Foncier, qui dispose que : « le domaine privé immobilier des collectivités territoriales est constitué par :
a°) les terres objet de titre foncier et droits réels immobiliers transférés en leur nom à la suite de : l’acquisition à titre onéreux ou gratuit de tout immeuble immatriculé ; la transformation d’un droit de cession ou de bail avec promesse de vente après mise en valeur d’un terrain… » ; que la parcelle dont il s’agit et objet du titre foncier n°16448 n’est pas une propriété de la Mairie du District de Bamako car au nom de l’Etat du Mali avant la cession aux Héritiers Ad ; que le droit de bail de Ac étant faux, ne peut servir de base pour annuler un droit né dix ans avant.
3- Du moyen tiré du défaut de réponse à conclusions :
Par ce moyen, il est fait grief à la Cour d’appel de Bamako, dans sa décision de n’avoir pas répondu à la demande reconventionnelle en annulation du bail conclu entre la Mairie du District de Bamako et le sieur Z au motif que la parcelle n’appartient pas à la Mairie du District ; que ce défaut de réponse à conclusions ne saurait échapper à la censure de la Cour.
Résumé succinct des moyens de cassation de la Direction Nationale des Domaines et du Cadastre :
La Direction Nationale des domaines et du Cadastre invoque à l’appui de son recours la violation de la loi tirée de la méconnaissance des droits de l’Etat (1), de l’absence de motivation (2).
1- Du moyen tiré de la violation de la loi par méconnaissance des droits de l’Etat : En ce que l’arrêt attaqué a retenu le fait que Aa Ac a obtenu un contrat de bail avec la Mairie du District de Bamako et le fait qu’il a procédé à des réalisations sur le terrain ; que cela suffit à fonder juridiquement sa propriété ;
Alors qu’il est constant selon le moyen que le … a été créé au nom de l’Etat du Mali depuis le 23 août 1996 ; que l’article 28 du Code Domanial et Foncier dispose que « font partie du domaine privé immobilier de l’Etat : les terres faisant l’objet de titre foncier et des droits réels immobiliers établis transférés au nom de l’Etat à la suite d’une procédure d’immatriculation » ; que l’Etat et la Mairie du District de Bamako constituent deux entités différentes ; que l’article 58 du Code Domanial et Foncier précise clairement que le domaine privé immobilier des collectivités territoriales est constitué par les terres objet de titre foncier et droits réels immobiliers transférés en leur nom à la suite d’une acquisition ; transformation de droit ou cession ; que la Mairie ne peut exhiber un acte mettant le titre foncier litigieux à sa disposition et l’autorisant à faire un contrat de bail avec un particulier ; que par une décision n°96-357/MEC-DNI du 13 décembre 1996 le Directeur National ayant en charge les domaines de l’Etat a autorisé la cession dudit titre à BA ; qu’il s’agit d’un acte administratif créateur de droit qui n’a jamais été rapporté ; que le bénéficiaire a, en vertu d’une autorisation de paiement acquitté les droits y afférents ; que la Mairie a tenté sans succès de faire une opposition au niveau de l’Administration ; que dès lors, l’arrêt attaqué mérite la censure ;
2- Du moyen tiré de l’absence de motivation :
En ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement d’instance du tribunal de la Commune II et a étendu les effets de l’annulation à l’acte administratif de cession n°11-496 du 18 novembre 2011 ; qu’elle conclut à la cassation de l’arrêt n°629 du 30 octobre 2013 de la Cour d’appel de Bamako en toutes ses dispositions.
- Dans son mémoire en défense daté du 22 décembre 2014, Z fait valoir :
Sur le prétendu moyen tiré de la violation de la loi :
Qu’il a fallu que le défendeur au pourvoi paye les frais d’enregistrement de son bail à l’Etat, pour que les héritiers de feu BA se décident à faire autant, en payant moins du tiers des frais payés par le défendeur ; que dans un Etat sérieux on ne saurait laissé passer la perception par un service qui relève du Contrôle de l’Etat le double paiement des frais d’enregistrement pour le même titre foncier en une semaine d’intervalle ;
Que contrairement à ce qu’affirme la Direction Générale du Contentieux de l’Etat agissant au nom et pour le compte de la Direction Nationale des Domaines et du Cadastre, le titre foncier litigieux faisait déjà partie du patrimoine de l’ex-gouvernorat de Bamako, patrimoine revenu à la Mairie du District après la décentralisation.
Sur l’absence prétendue de motivation :
Que pour un titre créé depuis 1996, titre pour lequel une autorisation de paiement a été émise en 1998, et restée lettre morte jusqu’en 2011, le nouvel acte administratif ne peut être qu’un faux ; que postérieurement à l’arrêt n°403 du 18 décembre 2009, le défendeur a payé plus de 3.000.000FCFA au service de l’enregistrement après des réalisations qui avoisinent les deux milliards comme cela résulte du procès verbal de réception de l’Urbanisme versé au dossier de l’instance ; qu’il conclut au rejet du pourvoi formé par les demandeurs.
SUR CE
DISCUSSION :
1. Sur les moyens de cassation des Héritiers de feu Y
- Sur le premier moyen tiré du défaut de motivation et de base légale :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué de retenir que la cession intervenue après la signature du bail avec promesse de vente est frauduleuse ; que l’arrêt ne se fonde sur aucune jurisprudence, aucun texte ;
Attendu que la doctrine majoritaire et la jurisprudence constante de la haute juridiction rangent les cas d’ouverture en cinq cas principaux :
1-La violation de la loi ; 2- le défaut ou manque de base légale ; 3- le défaut et la contradiction de motifs ; 4-le défaut de réponse à conclusions et 5-la dénaturation ; à côté desquels existent les cas marginaux ou exceptionnels d’ouverture à cassation qui sont l’excès de pouvoir ; l’incompétence la contrariété de jugement ; la perte de fondement juridique et les vices de forme cf. Marie-Noëlle Jobard- Bachellier et Xavier Bachellier, « la technique de cassation-Pourvois et arrêts en matière civile, 3ème édition, Collection Méthodes du Droit », 1994, p123 ;
Attendu qu’en outre selon les mêmes sources, lorsqu’un avocat est constitué dans une procédure, il est fait obligation au demandeur au pourvoi, à peine d’irrecevabilité, de ne mettre en œuvre dans chaque moyen ou chaque branche qu’un seul cas d’ouverture et de préciser, sous la même sanction d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué ; Ibid p.120 ;
Attendu qu’en l’espèce, le 1er moyen invoqué par les héritiers de feu BA met en œuvre à la fois deux cas d’ouverture distincts : le défaut de motivation le défaut de base légale ; qu’il sera donc déclaré d’office irrecevable ;
Sur le deuxième moyen tiré de la violation de la loi :
Attendu qu’il est reproché aux juges d’appel de décider qu’il y a fraude à partir du moment où la cession a été faite après la signature du bail ;
Attendu que la violation de la loi, que cela soit dit expressément ou non présente trois habillages : la violation de la loi par refus d’appliquer ; la violation de la loi par fausse application et enfin, la violation de la loi par fausse interprétation ; il y a refus d’appliquer lorsque le juge s’abstient d’appliquer la loi à un cas qu’elle doit régir ; la fausse application existe lorsque le juge se réfère à tort à un texte ; en revanche la fausse interprétation se rencontre lorsque le juge s’est référé au bon texte mais il lui est reproché d’en avoir donné une interprétation erronée, la bonne interprétation étant le sens donné au texte concerné par la haute juridiction dans sa doctrine à travers ses arrêts ;
(Pour tous ces points cf. Yves Chartier « La Cour de Cassation, 2ème, collection connaissance du droit » 2001, Ed. Dalloz p.67) ;
Attendu qu’en l’espèce le moyen s’il met bien en œuvre le cas d’ouverture de violation de la loi, il ne précise pas le texte de loi qui a été violé par l’arrêt déféré ;
D’où il suit que ledit moyen ne peut être reçu.
Sur le 3ème moyen de cassation tiré du défaut de réponse à conclusions :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué de n’avoir pas répondu à la demande reconventionnelle en annulation du bail avec promesse de vente conclu entre la Mairie du District de Bamako et Z ;
Attendu que le défaut de réponse à conclusions constitue lui-même un défaut de motivation, il ne suffit pas en effet que le juge donne des motifs à sa décision ; il faut que ces motifs répondent aux conclusions des parties ; mais seuls les moyens appellent une réponse, étant observé qu’un moyen est un raisonnement juridique clairement explicité ; qui partant d’un fait ou d’un acte tend à justifier ou faire rejeter un chef de la demande ; qu’en la matière, la haute juridiction française juge au surplus qu’il a été répondu à un moyen lorsque cette réponse se déduit « implicitement mais nécessairement » des motifs de la décision attaquée ; qu’il s’agit d’une porte étroite qui ouvre rarement le chemin de la cassation, sauf lorsque le moyen que la Cour d’appel a négligé d’examiner peut modifier la solution donnée au litige (cf. Yves Chartier op cit. pp. 71 et 72) ;
Attendu qu’en l’espèce il résulte du dispositif des conclusions d’appel des héritiers de feu B C datées du 24 juin 2013, qu’ils ont sollicité l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions ; reconventionnellement l’annulation du contrat de bail avec promesse de vente entre Z et la Mairie du District.
Attendu que ledit jugement n°513 du 07 novembre 2012 du Tribunal de Première Instance de la Commune II du District de Bamako dans son dispositif et dans ses motifs a répondu à la demande reconventionnelle en ces termes : « Déboute les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles » ;
Attendu que l’arrêt attaqué est un arrêt confirmatif du jugement susdit en toutes ses dispositions ; d’où il suit qu’en adoptant les motifs de ce jugement du Tribunal de la Commune II, l’arrêt déféré a « implicitement mais nécessairement » répondu à la demande reconventionnelle en annulation du contrat de bail avec promesse de vente entre la Mairie du District de Bamako et Monsieur Z ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
2- Sur les moyens de cassation invoqués par la Direction Nationale des Domaines et du Cadastre :
Sur le premier moyen tiré de la violation de la loi par la méconnaissance des droits de l’Etat
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir retenu que Z a obtenu un contrat de bail avec promesse de vente avec la Mairie du District de Bamako et le fait qu’il a procédé à des réalisations, suffit à fonder juridiquement sa propriété ;
Attendu que le moyen se contente de critiquer l’arrêt déféré ; s’il invoque le cas d’ouverture tiré de la violation de la loi ; il ne précise pas du tout le texte de loi qui a été violé par les juges d’appel ;
D’où il suit que le moyen est d’office irrecevable ;
Sur le 2ème moyen tiré de l’absence de motivation
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué de confirmer le jugement entrepris et d’avoir étendu les effets de l’annulation à l’acte administratif n°11-496 du 18 novembre 2011 ;
Attendu que le défaut ou manque ou l’absence de motivation est une règle traditionnelle énoncée en droit positif français depuis la loi du 20 avril 1810 en son article 7 qui énonçait que les « arrêts qui ne contiennent pas les motifs sont déclarés nuls », règle reprise par les articles 445 et 458 du Nouveau Code de Procédure Civile français dont le correspondant est l’article 463 Nouveau du CPCCS qui indique en substance que le « jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; qu’il doit être motivé à peine de nullité ; qu’il énonce la décision sous forme de dispositif » ;
Attendu que la jurisprudence de la haute juridiction française et la doctrine majoritaire, transposable en droit positif malien retient qu’il est satisfait à l’exigence de motivation lorsque le rappel des éléments de la cause et la motivation font apparaître que la Cour répond ainsi aux moyens invoqués ; que cependant viole la règle traditionnelle de motiver la décision qui ne comporte aucun exposé ; même sommaire des prétentions et moyens des parties ; ne permettant pas à la haute juridiction d’exercer son contrôle ; Pour ces points NCPCF Ed. 2001 Ed. Dalloz P.232 notes n°2 et 3 ;
Attendu qu’en l’espèce l’arrêt attaqué énonce : « Prétentions et moyens des parties : suivies de leur résumé » ;
D’où il suit que l’arrêt déféré satisfait aux exigences de la règle résultant de l’article 463 du Nouveau Code de Procédure Civile Commerciale et Sociale (NCPCCS) ;
Qu’en conséquence, le moyen est infondé.
…Le rejette ;…