CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET N° 09 DU 19 Avril 2016.
Réparation de préjudice.
SOMMAIRE :
Il y a dénaturation de l’écrit lorsque les juges du fond ont méconnu les termes d’un écrit dont le sens clair et précis ne nécessite aucune entre interprétation.
L’appréciation de la responsabilité des parties dans l’inexécution d’une convention relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, doit être rejetée la demande de dommages-intérêts de la partie à la quelle est imputable l’inexécution du contrat.
FAITS ET PROCEDURE :
Dans le cadre de l’exécution des travaux de bitumage de la route Mahina –Bafoulabe, l’entreprise E.O.K. a obtenu suivant contrat de vente de la société ORYX- MALI- SA ,200 tonnes de bitume CUT BACK 400 /600 soit 1040 fûts pour un montant de 104.000.000.FR CFA. Une avance de 20.000.000 FR CFA fut versée.
L’entreprise EOK, ayant reçu de l’Agetipe Mali, l’ordre d’arrêter les travaux, n’a pu honorer ses engagements de paiement.
Face aux difficultés survenues dans leur rapport les parties ont signé un protocole d’accord transactionnel le 15 octobre 2013, après un premier conclu le 26 avril 2012 homologué par jugement n°245 du 2 mai 2012. Dans ce protocole il était prévu que EOK prendrait en charge les frais de réacheminement des fûts, la moitié des frais de dédouanement, les frais d’huissier et le prix du bitume utilisé. Ces différents frais devaient être déduits de l’avance perçue par ORIX MALI SA à la commande.
Estimant que l’entreprise EOK n’a pas exécuté les engagements pris dans le protocole du 15 octobre 2013, dans le délai prévu et que ce comportement lui a causé des préjudices importants, la société ORYX- MALI- SA a assigné sa cocontractante devant le tribunal de commerce de Bamako en réparation de préjudice. Par jugement n°150 du 19 février 2014, le tribunal a fat droit à la demande de la société ORYX- MALI- SA. Sur appel de l’entreprise EOK, la cour d’appel par arrêt n°08 du 28 janvier 2014 a infirmé ce jugement et a débouté la société ORYX- MALI- SA de sa demande puis l’a condamnée au paiement de la somme de 2.300.000 FR CFA au titre de reliquat de d’acompte perçu et celle de 1.000.000 FR CFA à titre de dommages-intérêts. C’est contre cet arrêt que le présent pourvoi est formé.
EXPOSE DES MOYENS DE CASSATION :
Le conseil de la demanderesse invoque trois moyens de cassation tirés de la dénaturation d’écrits, de la violation de la loi en deux branches et du défaut de motif.
I DE LA DENATURATION D’ECRITS
En ce que l’arrêt a condamné la société ORIX- MALI- SA au paiement de la somme de 2.300.000 FR CFA au titre du reliquat de l’acompte perçu (20.000.000 FR CFA ) au motif que les sommes totales dues à ORYX –MALI- SA aux termes du protocole s’élevaient à 17.700.000 FR CFA.
Alors que d’une part ledit protocole en son article 4 avait expressément prévu qu’il devenait caduc après un délai d’un mois faute d’exécution et que d’autre part ,outre les frais de réacheminement, le prix des bitumes utilisés devait être déduit de l’acompte des 20.000.000 FR CFA.
Que les juges d’appel se sont évertués à démontrer que le décompte n’a pas été fait contradictoirement se fondant sur un constat d’huissier antérieur au protocole en cause et en faisant fi des inscriptions claires de l’acte d’huissier du 08 août 2012 faisant état de la présence des agents EOK chargés de la surveillance des bitumes.
Que cet acte qui fait foi jusqu’à inscription de faux s’impose au juge.
Que les juges dans leur pouvoir souverain d’appréciation des actes doivent se garder des interprétations dites « dénaturantes » qui méconnaissent la lettre claire des actes.
Que l’arrêt entrepris, pour se prononcer, fait des écrits produits une lecture contraire aux termes clairs et précis qu’ils contiennent.
Que pour cette raison il convient de casser l’arrêt attaqué.
II DE LA VIOLATION DE LA LOI :
1ère BRANCHE : VIOLATION DE L’ARTICLE 77 DU RGO ET DE L’ARTICLE 04 PROTOCOLE D’ACCORD DU 15 OCTOBRE 2012 PAR REFUS D’APPLICATION :
En ce que les juges de la cour d’appel se sont livrés à une démonstration mathématique du protocole d’accord du 15 octobre 2012 pour justifier la condamnation de la SOCIETE ORYX- MALI- SA ;
Alors qu’il est constant qu’il s’agit d’un protocole devenu caduc donc anéanti par la volonté des parties, volonté qui s’impose au juge.
Qu’en effet selon l’article 4 dudit protocole « les parties s’engagent de bonne foi à exécuter dans un délai d’un mois les termes du présent protocole. Au terme de ce délai, sauf accord écrit des parties, le présent protocole deviendra caduc et la créancière pourra user de toutes les voies de droit, sans préjudice des dommages et intérêts pour recouvrer son dû ».
Que dès la signature du protocole ORYX- MALI- SA a entrepris d’enlever les fûts mais a rencontré des difficultés nées des agissements d’EOK consistant en la dissipation d’une partie des biens, à une plainte pour vol et à l’opposition de la jeunesse de Mahina à l’enlèvement des bitumes par rapport aux réelles motivations de la reprise.
Que c’est en février 2013 qu’ORYX- MALI-SA est entrée en possession de ses biens.
Que dés lors le protocole était devenu caduc en raison des agissements malveillants d’EOK qui ne voulait pas restituer les marchandises.
Que c’est pourquoi la SOCIETE ORYX- MALI- SA a saisi le tribunal pour engager la responsabilité d’EOK et pour réclamer les divers frais et la réparation des préjudices auxquels elle a été exposée du fait de sa cocontractante.
Que lesdits frais ont été évalués à 44.038.620 FR CFA de laquelle elle a déduit les 20.000.000 FR CFA d’acompte pour réclamer le reliquat.
Que la motivation de l’arrêt se fondant sur un protocole devenu caduc par la volonté des parties est inexacte et erronée.
Qu’en conséquence la décision qui en découle viole les articles 77 du RGO et 04 du protocole d’accord du 15 octobre 2012 et encourt la censure.
2ème BRANCHE : VIOLATION DES ARTICLES 105 ET 113 DU RGO PAR REFUS D’APPLICATION :
En ce que l’arrêt a débouté ORYX- MALI- SA de sa demande de réparation de préjudice et l’a condamné au paiement de la somme de 1.000.000 FR CFA à titre de dommages et intérêts au motif que le protocole a mis fin au litige.
Alors que les parties avaient convenu de la vente de 1040 fûts de bitume à 104 .000.000 FR CFA dont 50% étaient payables à la commande et le reliquat à la livraison.
Que la livraison ayant été faite, EOK était tenue de payer le prix.
Que les 2 protocoles qui ont été signés pour mettre fin au litige n’ont pas été respectés par EOK ;
Que ce comportement de EOK a causé un préjudice énorme à ORYX- MALI-SA ;
Que selon l’article 113 du RGO « la responsabilité emporte obligation de réparer le préjudice résultant de l’inexécution d’un contrat… ».
Que dans ces conditions l’article 105 du RGO autorise ORYX- MALI-SA à agir contre EOK pour réclamer les frais exposés et des dommages et intérêts.
Qu’ayant fait la preuve de tous les manquements d’EOK à ses obligations, c’est en violation manifeste des articles 105 et 113 du RGO que la cour a débouté ORIX- MALI-SA de sa demande de réparation de préjudice.
Qu’il y a lieu de casser l’arrêt en cause pour ce grief.
III DU DEFAUT DE MOTIF :
En ce que pour débouter ORYX- MALI- SA de sa demande, l’arrêt a retenu que les fûts ont été récupérés le 08 août 2012 par maitre Mamadou Coulibaly, fonctionnaire-huissier à Bafoulabe et que le procès –verbal d’enlèvement dressé en la circonstance ne fait nullement cas de la présence d’un agent quelconque de la société EOK contrairement à la clause de la convention ;
Alors que ce procès-verbal du 08 août 2012 antérieur au protocole du 15 octobre 2012, a été établi lors d’un décompte en présence des agents de sécurité chargés de la surveillance des fûts au nom d’EOK et qu’il s’agissait d’un procès-verbal de sauvegarde des intérêts de ORYX- MALI et non d’enlèvement.
Que les fûts ont été enlevés par les soins d’ORYX- MALI-SA en février 2103, suite à la non exécution par EOK de ses engagements découlant du 2ème protocole en date du 15 octobre 2012.
Que le rejet de la demande d’ORYX- MALI motivé par des arguments et pièces sciemment dénaturés est sans fondement juridique.
Qu’il s’agit là d’une véritable absence de toute justification de la décision attaquée, ce qui rend donc impossible tout contrôle de la cour de cassation.
Qu’une telle motivation mérite la censure de la cour suprême.
Le conseil de la défenderesse a conclu au rejet du pourvoi comme mal fondé.
ANALYSE :
I DE LA DENATURATION D’ECRITS :
Il est reproché à l’arrêt attaqué la dénaturation d’écrits en ce que les juges d’appel ont condamné la société ORYX- MALI -SA au paiement de la somme de 2.300.000 FR CFA à titre de reliquat d’acompte perçu au motif que les sommes totales dues à ORYX- MALI- SA s’élevaient à 17.700.000 FR CFA selon le protocole alors qu’en plus des frais ,le prix des bitumes utilisés devait être déduit aussi de l’acompte et que le protocole était devenu caduc après le délai d’ un mois faute d’exécution.
Attendu qu’il y a dénaturation d’écrit lors que les juges du fond ont méconnu les termes d’un écrit dont le sens clair et précis ne nécessite aucune autre interprétation.
Attendu que la demanderesse n’indique pas avec précision les termes clairs et précis du protocole qui auraient fait l’objet de dénaturation ;
Que le grief invoqué, qui critique le raisonnement juridique des juges du fond, ne peut constituer une dénaturation, la condamnation de ORYX MALI-SA résultant de leur pouvoir d’appréciation du protocole du 15 octobre 2012 qui selon eux réglait définitivement le litige opposant les parties.
Qu’il y a lieu donc de rejeter ce moyen comme mal fondé.
II VIOLATION DE LA LOI :
1ère BRANCHE : VIOLATION DE L’ARTICLE 77 DU RGO ET DE L’ARTICLE 04 DU PROTOCOLE DU 15 OCTOBRE 2012 PAR REFUS D’APPLICATION ;
Il est reproché à l’arrêt la violation de l’article 77 du RGO et de l’article 04 du protocole, en ce qu’il s’est adonné à une démonstration mathématique du protocole pour justifier la condamnation d’ORYX MALI- SA, alors que le dit protocole était devenu caduc faute d’exécution dans le délai prévu.
Attendu qu’en l’espèce pour se déterminer sur les prétentions respectives des parties, l’arrêt a analysé les rapports entre elles au vue du protocole pour conclure que son exécution incombait à la société ORYX- MALI-SA qui détenait l’acompte de 20.000.000 FR CFA duquel devaient être déduits tous les frais prévus dans ledit protocole à la charge d’EOK.
Attendu que l’appréciation de la responsabilité des parties dans l’inexécution d’une convention relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Que l’arrêt attaqué, en retenant souverainement la responsabilité de la SOCIETE- ORYX –MALI-SA dans l’inexécution du protocole du 15 octobre 2012, ne viole pas les dispositions des articles cités dans cette branche du deuxième moyen, cette appréciation conforme au contenu du protocole échappant au contrôle de la haute juridiction.
Qu’il convient alors de rejeter cette première branche du moyen.
2ème BRANCHE : VIOLATION DES ARTICLES 105 ET 113 DU RGO PAR REFUS D’APPLICATION:
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de la violation des articles 105 et 113 du RGO, pour avoir débouté la société ORIX- MALI- SA de sa demande de réparation de préjudice au motif qu’elle a saisi le tribunal alors qu’un protocole mettant fin au litige a été signé.
Attendu que les articles dont la violation est invoquée sont ainsi conçus :
Art. 105 DU RGO : « dans les mêmes contrats, lorsque l’une des parties manque à ses obligations en refusant de les exécuter tout ou partie, l’autre peut, en dehors des dommages-intérêts qui lui sont dus, demander en justice soit l’exécution forcée, soit la réduction de ses propres obligations, soit la résolution du contrat, soit sa résiliation s’il s’agit d’un contrat à exécution successive. Il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. L’option reste ouverte au demandeur jusqu’au jugement. Le défendeur peut exécuter le contrat en cour d’instance ».
Art. 113 DU RGO : « la responsabilité emporte obligation de réparer le préjudice résultant soit de l’inexécution d’un contrat, soit de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui ».
Attendu que pour infirmer le jugement d’instance l’arrêt a retenu essentiellement que l’exécution du protocole qui mettait fin définitivement au litige incombait à ORYX- MALI-SA puisqu’elle avait déjà en sa disposition l’acompte duquel tous les frais mis à la charge d’EOK devaient être déduits et qu’en conséquence de cette violation de la clause contractuelle, l’octroi à elle de dommages –intérêts ne se justifiait pas, nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude.
Attendu qu’en statuant ainsi l’arrêt attaqué ne viole pas les dispositions des articles 105 et 113 du RGO, puisqu’il impute la responsabilité de l’inexécution du protocole à ORYX –MALI-SA et écarte du coup l’application desdits articles.
En conséquence cette deuxième branche du moyen doit aussi être rejetée.
III DU DEFAUT DE MOTIF :
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué un défaut de motif en ce qu’il affirme que les fûts ont été récupérés le 08 aout 2012 par le fonctionnaire huissier de Bafoulabe et que le procès verbal d’enlèvement dressé en la circonstance ne fait nullement cas de la présence d’un agent quelconque de la société EOK, alors que ce procès verbal qui est antérieur au protocole du 15 octobre 2012 n’était qu’un procès verbal de sauvegarde des intérêts de ORYX MAL ,les fûts n’ayant été enlevés en fait qu’en février 2013.
Attendu que le défaut de motif se caractérise par une absence de toute justification en fait et en droit de la décision attaquée rendant impossible tout contrôle de la haute cour.
Mais attendu que l’arrêt attaqué pour infirmer le jugement d‘instance a retenu ce qui suit : « la relation contractuelle entre les parties est née de la commande de bitume faite par EOK auprès de ORYX- MALI- SA qui a livré 1040 Fûts après paiement d’ un acompte de 20.000.000 FR CFA .Le marché accordé à EOK ayant été résilié par l’état du Mali, ORIX- MALI-SA et EOK se sont engagées dans la voie du protocole dont les termes sont définis ci-dessus. Aux termes du protocole les sommes totales dues à ORYX- MALI- SA s’élevaient à 17.700.000 FR CFA (article 2) ; après déduction de cette somme des 20.000.000 FR CFA entre les mains de ORYX- MALI- SA, une somme de 2.300.000 FR CFA restait entre les mains de ORYX- MALI- SA .Sur ce volet l’exécution incombait à ORYX- MALI- SA qui est détentrice déjà des 20.000.000 FR CFA .Qu’en ne le faisant pas elle ne pourra se plaindre de sa propre turpitude.
Du fait de la violation des clauses contractuelles par ORYX –MALI- SA, la condamnation d’EOK à lui payer 4.000.000 FR FA au titre des dommages et intérêts par le jugement d’instance ne peut nullement se justifier. Que s’agissant des autres prétentions il ne saurait y faire droit dès lors que le protocole en date du 15 octobre 2012 n’en fait cas. Que toute action intentée par ORYX- MALI -SA après la non exécution par elle de ses propres obligations ne mérite pas d’être accueillie favorablement. ».
Attendu que les juges d’appel en se déterminant ainsi ont suffisamment justifié leur décision en fait et en droit, cette motivation ne se fondant pas uniquement sur le procès verbal du 8 août 2012.
En conséquence il y a lieu de rejeter ce 3ème moyen comme mal fondé.
…le rejette ;…