1ère CHAMBRE CIVILE
ARRET N° 154 D0606 /06/ 2016
Réclamation de terre
SOMMAIRE :
La Cour ne peut opposer à une partie le manque de preuve pour soutenir ses prétentions après avoir refusé en dépit de sa présence à l’audience, de l’entendre ainsi que ses témoins.
N’est pas admissible comme preuve une convention écrite dont seule une simple copie non légalisée a été produite.
1) Faits et procédure :
Par requête du 6 avril 2009 X. de la fraction KEL INACHARIA saisissait le tribunal de première instance de Tombouctou pour revendiquer l’ile dénommée « SANKA KOIRA » sise dans la Commune de BOUREM INALY. La demande était dirigée contre Y. et AG., cultivateur à HONDOBOUMO ABBABER de la Commune de BOUREM INALY.
Par jugement n°24 du 25 juin 2009, le tribunal de première instance de Tombouctou déclarait la fraction INACHARIA propriétaire de la terre litigieuse.
Su appel de Y. et AG., la Cour d’appel de Mopti par arrêt n°9 du 11 janvier 2012 confirmait le jugement entrepris.
C’est contre cette décision qu’est dirigé le pourvoi.
1 Exposé des moyens de cassation : le conseil des demandeurs au
pourvoi soulève trois moyens de cassation.
2-1-1 Première branche : du défaut de base légale par incertitude quant au fondement juridique de la décision.
Me SIDIBE estime que le tribunal de première instance saisi du litige l’a tranché sans identifier la zone concernée. Pour palier cette carence, la Cour d’appel a ordonné une mesure d’instruction tendant à déterminer la délimitation, la superficie de la zone ainsi que les hameaux s’y trouvant. Le Président du tribunal de Tombouctou et les services techniques compétents ont été désignés pour l’exécution des actes d’instruction. Or d’après le pourvoi, l’article 245 du CPCCS exige la désignation d’un technicien. Au lieu de cela, la Cour d’appel de Mopti a désigné le Président de Tombouctou qui a rendu la décision entreprise, et n’a pas nommément désigné les services techniques chargés de l’exécution. Cette tâche est finalement échue au Président du tribunal qui a désigné le Préfet, le chef de service local des eaux et forêts, le chef secteur d’agriculture et le chef local du génie rural. Par ailleurs, ces services une fois désignés n’ont pas été notifiés aux parties pour leur permettre éventuellement et conformément à l’article 247 CPCCS d’exercer la voie de récusation que la loi leur réserve en pareille situation.
Me SIDIBE ajoute que les parties n’ont jamais su la composition exacte de la mission et que le rapport de mission a été signé par le Président du tribunal qui est normalement dessaisi du dossier et ne peut plus en connaitre sans violer le principe du double degré de juridiction. Ce faisant l’arrêt pêche par manque de base légale.
2-1-2 Deuxième branche : Du défaut de base légale par refus d’appliquer la loi :
Le conseil des demandeurs au pourvoi soutient que l’affaire avait été mise en délibéré pour le 9/3/2011. Par ADD, la Cour a ordonné le rabat du délibéré et la réouverture des débats pour audition des parties et éventuellement des témoins conformément à l’article 542 CPCCS. Après plusieurs renvois consécutifs au refus injustifié de X. de comparaitre, la Cour a refusé d’entendre les appelants et leurs témoins et l’affaire a été remise en délibéré sans que les motifs de l’ADD aient été satisfaits. Là aussi on est en présence d’un défaut de base légale qui entrainera sûrement la censure de la haute juridiction.
2-1-3 Troisième branche : du défaut de base légale par absence de constatation d’une condition d’application de la loi.
Le pourvoi estime que pour déclarer mal fondé l’appel des demandeurs au pourvoi, la Cour d’appel a motivé sa décision par le fait qu’au lieu d’apporter des éléments de preuve pour asseoir leurs prétentions, ils n’ont fait que critiquer le rapport d’expertise. Or non seulement la Cour a refusé d’entendre leurs témoins mais aussi a ignoré les attestations C., Y. et A. chef de village d’ILOA. En refusant d’entendre les témoins produits par les appelants, la Cour ne pouvait pas leur reprocher de n’avoir prouvé leurs prétentions.
2-2 De la dénaturation d’un écrit notamment de la convention de 1929.
Le conseil des demandeurs au pourvoi relève que la Cour s’est fondée sur la photocopie de la convention de 1929 dont l’authenticité a été vivement contestée alors qu’il s’agit d’une simple photocopie non certifiée et qui de ce fait n’a aucune valeur juridique. Par ailleurs ce document n’a jamais parlé de propriété exclusive de bourgoutière au profit de la tribu de KEL INACHARIA mais répartition de bourgoutières entre nomades et sédentaires. D’ailleurs SAKAN KOIRA considérée comme bourgoutière par l’arrêt ne figure pas sur la liste des bourgoutières contenue dans la lettre n°110 ABI du chef d’arrondissement de Bourem Inaly du 10 octobre 1979 répondant à une correspondance du Commandant de cercle de Tombouctou car c’est un lieu d’habitation pour certains villageois de Hondoubomo-Abbaber. Ainsi conclut le conseil des demandeurs au pourvoi, la Cour d’appel a dénaturé la convention des parties en lui donnant un sens autre que celui donné par les parties et lui accordant une force probante qui ne doit pas s’attacher à une simple photocopie non légalisée. D’où il suit que la décision doit être censurée.
2-3 Violation de la loi en trois branches :
2-1-1 Première branche tirée de la violation de l’article 487 CPCCS et atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée.
Le pourvoi reproche à l’arrêt attaqué d’avoir méconnu le jugement n°33 du 14/9/1992 du tribunal civil de Aa qui avait accordé des droits à B. sur BAWOYE GOUSSOU limitrophe de SAKAN KOIRA. Or cette propriété se trouve désormais engloutie par SAKAN KOÏRA dont la Cour d’appel de Mopti n’a pas cherché à identifier la superficie et les limites.
2-1-2 Deuxième branche tirée de l’article 177 CPCCS :
L’article 177 CPCCS dispose que « la mesure d’instruction est exécutée sous le contrôle du juge qui l’a ordonnée lorsqu’il n’y procède pas lui-même.
Lorsque la mesure est ordonnée par une juridiction statuant en formation collégiale, le contrôle est exercé par le Président ou l’un des membres de la formation désignée spécialement à cet effet » ;
Dans le cas d’espèce, la Cour a désigné le Président du tribunal de Tombouctou et les services techniques compétents pour l’exécution de la mesure d’instruction, sans toutefois spécifier ceux-ci. La mission a été accomplie sous le contrôle du Président du tribunal de Tombouctou et non sous celui d’un membre de la formation collégiale comme l’exige l’article 177 CPCCS. Ainsi estime le conseil des demandeurs au pourvoi l’arrêt encourt cassation.
2-1-3 Troisième branche tirée de la violation de l’article 247 CPCCS
La Cour ayant ordonné une mesure d’instruction sans désigner nommément les techniciens et sans les notifier aux parties qui pourraient, en cas de besoin les récuser a violé l’article 247 CPCCS. En conséquence le conseil des demandeurs au pourvoi conclut à la cassation.
Me Hamadoun DICKO, conseil de XZ. demande le rejet du pourvoi.
3-Analyse des moyens de cassation :
3.1 Du premier moyen tiré du défaut de base légale en trois branches
Première branche du moyen
Attendu qu’il est fait grief a l’arrêt attaqué de manquer de base légale par incertitude quant au fondement juridique de la décision ;
Mais attendu que si la décision ordonnant l’exécution d’une mesure d’instruction permet au juge de réunir les éléments dont dépend la solution du litige, il demeure que les deux parties en acceptant d’assister sans réserve aux travaux de l’exécution de la mesure d’instruction ont donc acquiescé et ne peuvent plus invoquer les irrégularités ayant émaillé cette exécution qu’à charge pour la partie qui les invoque de prouver le grief que lui causant ces irrégularités, que le grief n’étant prouvé ; cette branche ne peut prospérer ;
Deuxième et troisième branches du moyen :
Attendu que ces deux branches présentent des similitudes qui appellent une analyse et une réponse groupées
Attendu que par ces branches il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir ordonné puis refusé d’entendre les appelants et leurs témoins sans aucune explication ;
Attendu que pour confirmer le jugement déféré, la Cour retient « que les appelants, au lieu d’alléguer des arguments à même d’asseoir leur prétentions sur la parcelle litigieuse, conformément à l’article 9 du code de procédure civile commerciale et sociale, se bornent à critiquer le rapport d’expertise pour ensuite demander une contre expertise qui à l’état actuel n’est point nécessaire » ; Qu’en se déterminant ainsi alors qu’il résulte du dossier que l’affaire a été avait été mise en délibéré pour le 9 mars 2011 ; qu’advenue cette date, le délibéré a été rabattu pour audition des parties et éventuellement de leurs témoins et renvoyée plusieurs fois à cette fin ; que sans satisfaire le motif du rabat et sans aucune justification juridique, la Cour d’appel ne peut, sans se contredire ; reprocher aux appelants de n’avoir pas fait la preuve de leurs prétentions alors qu’elle a refusé, en dépit de leur présence à l’audience, de les entendre en même temps que leurs témoins, qu’en statuant comme elle l’a fait, la Cour d’appel, n’a pas légalement justifié sa décision ; que ces deux branches peuvent donc être accueillies ;
3.2 Dénaturation d’un écrit notamment de la convention de 1929 ;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir dénaturé un écrit en lui donnant une lecture autre que celle à lui conférée par les parties ;
Attendu que la Cour retient « qu’il ressort, tant de la répartition des îles bourgoutières entre sédentaires et nomades du cercle de Tombouctou établie en 1929 par le Commandant de la subdivision Nomade de Tombouctou que de la convention réglant les rapports de voisinage entre la tribu Kel INACHARIA et les villages de Bourem Inaly et Hondoubomo-ABER toutes versées au dossier que l’île de Sakan Koira est bel et bien la propriété de la fraction Kel Incharia dont XZ. est le Chef actuel » ;
Attendu qu’en fondant sa décision sur une convention de 1929 dont seule copie d’une copie, qui de ce fait, n’est pas conforme pas aux exigences de l’article 2 de la loi n°64-21/AN-RM du 15 juillet 1964 déterminant les modalités de légalisation en République du Mali, la Cour d’appel ne permet pas à la haute juridiction d’exercer son contrôle, car le document évoqué n’ayant aucune valeur juridique, sa lecture, devient, dès lors hypothétique ;; d’où il suit que ce moyen est fondé ;
3.3) De la violation de la loi en trois branches
3.3.1) De la violation de l’article 487 CPCCS
Attendu qu’il est fait grief à la Cour d’avoir violé l’article 487 CPCCS en confiant l’exécution de l’arrêt avant-dire au juge dont la décision lui est déférée mettant ainsi en péril le principe du double degré de juridiction ;
Mais attendu que le fait de confier à un magistrat ayant rendu la première décision sur le fond, l’exécution d’une mesure d’instruction portant sur des constations matérielles précises notamment la détermination des limites, superficie et hameaux s’y trouvant, ne met nullement en cause, le principe du double degré de juridiction dans la mesure où la Cour n’est pas liée par les conclusions techniques issues de l’exécution de l’ADD ; que dès lors ce moyen ne peut prospérer ;
3.3.2 De la violation de l’article 177 du CPCCS ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 177 CPCCS en ce que le contrôle de la mesure d’exécution d’instruction doit se faire par un membre de la formation collégiale et non par le juge commis ;
Attendu que, si en cas d’éloignement rendant un déplacement trop difficile ou trop onéreux, le juge saisi peut en vertu de l’article 178 CPCCS, charger une autre juridiction de procéder à tout ou partie des opérations, il demeure qu’en application de l’article 177 précité, la mesure est exécutée sous le contrôle exclusif du juge qui l’a ordonnée qui, dans le cas d’une formation collégiale doit être choisi parmi ses membres ;
Qu’en confiant le contrôle de la mesure d’instruction au juge commis ; la Cour d’appel de Mopti a violé l’article invoqué, d’où il suit que cette branche du moyen est fondée ;
3.3.3 De la violation de l’article 247 CPCCS ;
Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 247 du CPCCS en ce que la mesure d’instruction ordonnée n’a pas été notifiée au partie afin de permettre aux parties d’user des leur droit de récusation ;
Mais attendu que si en vertu de l’article précité, le technicien commis peut être récusé dans les mêmes conditions que le juge, il n’en demeure pas moins que les demandeurs au pourvoi ont été convoqués par la commission chargée d’exécuter la mesure d’instruction à laquelle ils ont participé sans aucune réserve ; que ce faisant ils sont supposés avoir acquiescé et ne peuvent plus exiger une quelconque notification préalable ; d’où il suit que cette branche n’est pas fondée ;
…Casse et annule l’arrêt attaqué ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Mopti
autrement composée ;…