2ème CHAMBRE CIVILE
Arrêt n°250 du 14 0909 / 2016
Expulsion et démolition.
SOMMAIRE :
L’occupation du domaine public par les particuliers peut être autorisée par l’Administration pour un besoin individuel ou collectif tel que petite exploitation commerciale provisoire ou station-service.
I-Fait et procédure
Par assignation en date du 16 janvier 2014, le Sieur A. a saisi la justice de paix à compétence Etendue de Yélimané aux fins d’expulsion et démolition contre Monsieur C
Cette juridiction, par décision n°147 du 15 juin 2014 recevait la requête de A. dit Papa, la déclarait bien fondée ; ordonnait l’expulsion de B. de la parcelle d’une superficie de 64m²,limitée au nord par une rue de 3,65m, au sud-est par des kiosques et une pharmacie, à l’est par un espace d’un mètre de largeur et à l’ouest par une rue de 6,65 m ;
Jugeait et disait que le bâtiment en chantier R+1 réalisé indûment soit démoli à ses frais, déboutait le requérant de sa demande de réparation de préjudice.
Sur appel X., la cour d’appel de Kayes, par arrêt n°75 du 3 décembre 2014 infirmait le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, déclarait l’assignation aux fins d’expulsion et démolition de A. irrecevable pour défaut de qualité.
Celui-ci formait pourvoi contre cet arrêt le 18 décembre 2014.
II-Expose des moyens du pourvoi
Le demandeur, sous la plume de son conseil invoque au soutien de son recours trois moyens de cassation tirés de la violation de la loi, du défaut de motif, de l’insuffisance de constatations de fait (moyens présentés par maitre Boubacar Karamoko COULIBALY) et deux autres moyens tirés du refus d’appliquer la loi et de l’inexactitude de motifs (moyens présentés par Maitre Tidiany MANGARA) ;
1°) Des moyes présentés par Maitre Boubacar Karamoko Coulibaly
a)Des moyens tirés de la violation de la loi
En ce que l’article 27 de l’ordonnance n°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier dispose que « le domaine public immobilier est inaliénable, imprescriptible et insaisissable » ;Qu’à cet égard ,s’il est constant que si par décision n°11-097 CY-DOM en date du 15 octobre 2011,l’Adjoint du préfet de Yélimané a attribué au Sieur B., commerçant de son état une parcelle de terre d’une superficie de 08m/08 située en face de sa boutique dans le but d’en faire un magasin pour servir d’autogare, celui-ci en a profité pour réaliser en lieu et place un immeuble à étages. Que cet état de fait a conduit le même préfet adjoint à annuler sa décision n°11-097 CY-DOM du 15 octobre 2011 par lettre du 06 juillet 2013, le Sieur B. ayant changé la destination de la dite parcelle devant lui servir de hangar pour l’autogare et non de construction d’un bâtiment à deux niveaux. Qu’il en résulte que le Sieur B. est désormais un occupant sans titre, ni droit du domaine public immobilier, contrairement à la motivation des juges d’appel qui soutiennent que l’appelant se prévaut d’une autorisation administrative du préfet de Yélimané. Qu’aux termes de l’article 20 du code Domanial et foncier, « les particuliers ont le droit le jouir du domaine public suivant les conditions spécifiques à chaque nature de biens, l’usage auquel ils sont destinés et ce dans les limites déterminées par voie réglementaire. »Que l’arrêt querellé a délibérément ignoré la lettre du 6 juillet 2013 par laquelle le préfet adjoint du cercle de Yelimané a annulé la décision du 15 octobre 2011 par laquelle il avait autorisé Sieur B. à réaliser un magasin devant servir d’autogare pour avoir changé la destination de l’objet pour lequel l’immeuble lui avait été attribué, faisant de lui un occupant sans droit ni titre.
Que curieusement dans les motifs de sa décision, la cour d’appel relève que l’appelant se prévaut d’une autorisation administrative du préfet de Yélimané, alors que l’article 20 du code domanial et foncier dispose que les particuliers ont le droit de jouir du domaine public suivant les conditions spécifiques à chaque nature de biens, l’usage auquel ils sont destinés et ce dans les limites déterminées par voie réglementaire. Que dès lors, l’arrêt déféré s’expose à la censure pour avoir couvert la violation de l’ordonnance n°00-027/PRM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier en son article 27.Que par ailleurs le possesseur, même nanti d’un titre translatif de propriété cesse d’être de bonne foi dès lors qu’il connaissait les vices entachant le dit titre (article 550 Code civil).
Qu’en conséquence ce moyen mérite d’être favorablement accueilli.
b) Du moyen tiré de défaut de motifs
1°)Du défaut de motifs tirés du défaut de réponse aux conclusions
En ce que dans ses conclusions , le sieur A. a soutenu que les constructions élevées par le sieur B. paralysaient ses activités commerciales du fait qu’elles bouchaient la voie de desserte par laquelle ils s’approvisionnent ses magasins lui occasionnant un préjudice énorme .Qu’il a donc le plus grand intérêt à solliciter l’expulsion et la démolition des dites constructions afin de bénéficier de l’entièreté des droits que lui confèrent les dispositions de l’article 554 et 555 du code civil. Que curieusement nulle part dans ses motivations, l’arrêt déféré ne dit mot sur ces points de droit essentiels dans les rapports entre les parties.
Qu’en s’abstenant de répondre à cet argument de droit, l’arrêt déféré s’expose à la censure de la Cour.
2°) De la dénaturation des faits
En ce qu’à la suite des débats en première instance, les témoins entendus ont affirmé que l’immeuble en construction est situé dans le domaine public immobilier de l’Etat, alors qu’aux termes de l’article 20 du Code domanial et foncier, « les particuliers ont le droit de jouir du domaine public suivant les conditions spécifiques à chaque nature de biens l’usage auquel ils sont destinés et ce dans les limites déterminées par voie réglementaire ».Qu’il résulte de l’analyse de cette disposition de loi qu’il appartient à l’autorité administrative concédante de s’assurer que les conditions de cession de jouissance du domaine public ont été satisfaites et de prendre le cas échéant les mesures qui s’imposent .Qu’il n’appartient donc pas à un particulier de se substituer à l’autorité administrative en cette matière. Qu’en disposant que A. n’a pas qualité pour demander l’expulsion X. et la démolition des travaux réalisés par celui-ci pour infirmer le jugement entrepris et déclarer que sa requête est irrecevable pour défaut de qualité, l’arrêt déféré a dénaturé les faits en ce que l’action de A. se justifie par les préjudices qu’il subit du fait des constructions élevées par le sieur B. et qui bloquent la seule desserte par laquelle il peut approvisionner ses magasins .Qu’ainsi en ignorant la décision du 6 juillet 2013 du préfet de Yélimané à l’encontre X., l’arrêt déféré à de nouveau dénaturé les faits et s’expose à la cassation.
c°) Du moyen tiré de l’insuffisance de constatations des faits
En ce que le juge du fond est souverain dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve et que la cour suprême quant à elle garde son pouvoir de contrôle quant à la concordance de ces éléments de fait et de preuve .Qu’en l’espèce, l’arrêt déféré en infirmant le jugement entrepris pour défaut de qualité de A. au mépris d’un examen sérieux des éléments de fait et de droit et en se privant de toute forme de recoupement et d’analyse, souffre d’une insuffisance de constatations de faits pour application de la règle de droit et encourt la cassation.
2°) Des moyens présentés par Maitre Tidiany MANGARA
Maitre Tidiany MANGARA, second conseil de A. invoque deux moyens de cassation tirés du refus d’appliquer la loi et de l’inexactitude de motif.
1°) Du premier moyen du refus d’appliquer la loi
En ce qu’il y’a violation de la loi chaque fois que le juge refuse d’appliquer la loi ; que dans le cas d’espèce, les juges d’appel de KAYES ont refusé d’appliquer la loi relative à la servitude de passage, c’est à dire une voie de desserte qui est exploitée de façon illicite par le sieur B. empêchant du coup A. d’exercer son activité commerciale, que la sanction du comportement illicite de l’auteur de l’ouvrage conçu sur la voie publique est prévue par les dispositions de l’article 25 in fine du code domanial et foncier qui dispose « …les infractions à ces règlements constituent des contraventions et sont passibles d’une amende de 30000f à18000f et d’un emprisonnement de 1 à 10 jours, ou de l’une de ces deux peines seulement, le tout du contrevenant, des ouvrages indûment établis sur le domaine public et dans des travaux prescrits ».
Que les juges d’appel se devraient d’appliquer cette disposition en ordonnant à l’instar du premier juge la démolition des constructions faites par B. et son expulsion pure et simple.
Qu’en refusant d’appliquer ce texte de loi, les juges d’appel exposent leur décision à la censure ; d’où le moyen doit être accueilli.
2°) Sur le second moyen tiré de l’inexactitude de motif
En ce que la cour d’appel saisie d’un problème de servitude s’est fondée sur une disposition relative au domaine public pour trancher cette question.
Que l’arrêt attaqué s’est basé sur l’article 20 du code domanial et foncier et sur une autorisation administrative pour décider que le demandeur n’avait aucune qualité pour ester en justice relative au domaine public. Que cette motivation est totalement erronée. Qu’il est bon de souligner d’une part que l’autorisation administrative dont s’agit a été rapportée par le Préfet du cercle de Yélemané par lettre datée du 6 juillet 2013 et d’autre part que la cour était saisie non pas d’un problème relatif au domaine public mais plutôt celui relatif à la servitude de passage .Qu’en motivant son arrêt par des allégations erronées, donc sans base légale, la cour expose sa décision à la censure de la haute juridiction.
Qu’en effet, selon une jurisprudence constante, le défaut de base légale est constitué non seulement en cas d’exposition incomplète des faits mais encore lorsque le juge a donné des motifs erronés (cf La technique de cassation en matière civile P390 Edition Dalloz 2003-2004.)
Qu’en l’espèce, les juges d’appel s’étant fondés sur des motifs erronés pour rendre leur décision, leur arrêt doit encourir la cassation.
Attendu que le défendeur qui a reçu notification de mémoire ampliatif y a répliqué en concluant au rejet du pourvoi.
III Analyse des moyens
Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt infirmatif du 3 décembre 2014 de la chambre civile de la cour d’appel de Kayes trois moyens de cassation tirés de la violation de la loi, du défaut de motifs de l’insuffisance de constatation de faits (moyens présentés par Maitre de Boubacar Karamoko COULIBALY) et deux autres moyens tirés du refus d’appliquer la loi et de l’inexactitude de motifs(moyens présentés par Maitre Tidiany MANGARA)
1°) Des moyens présentés par Maitre Boubacar Karamoko COULIBALY
a)Du moyen tiré de la violation de la loi
En ce que l’article 27 de l’ordonnance n°00-027/PRM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier dispose que « le domaine public immobilier est inaliénable, imprescriptible et insaisissable »
Que par décision n°11-097 CY-DOM du 15 octobre 2011, l’adjoint du préfet de Yélimané qui avait attribué au Sieur B., commerçant de son état une parcelle de terre d’une superficie de 08m/08 située en face de sa boutique pour en faire un magasin pour servir d’autogare en a profité pour réaliser en lieu et place un immeuble à étages.
Ce qui a conduit le même préfet à annuler la dite décision, B. ayant changé la destination de la dite parcelle qui devait servir de hangar pour l’autogare et non de construction d’un bâtiment à deux niveaux.
Qu’aux termes de l’article 20 du code domanial et foncier, les particuliers ont le droit de jouir du domaine public suivant les conditions spécifiques à chaque nature de biens, l’usage auquel ils sont destinés et ce dans les limites déterminées par voie réglementaire .Que l’arrêt querellé qui a délibérément ignoré la lettre du 6 juillet 2013 annulant la décision du15 octobre 2011 par laquelle il avait autorisé le Sieur B. à réaliser un magasin s’expose à la censure pour violation de l’ordonnance n°00-027/PRM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier, de l’article 20 du même code, 550 du code civil.
Mais attendu que contrairement à l’argumentation de l’arrêt recherché, le demandeur est recevable en son action dés lors il y a intérêt ; à savoir que les constructions élevées par le Sieur B. paralysaient ses activités commerciales du fait qu’elles bouchaient la voie de desserte par laquelle il approvisionnait ses magasins lui occasionnant un préjudice énorme.
D’où il suit que la violation des textes visés au moyen (article 20,27 du code domanial et foncier-550 du code civil) est fondée et doit être accueilli.
b) Du moyen tiré du défaut de motifs et de réponse à conclusions :
1°) Du défaut de réponse aux conclusions
Il est fait grief par ce moyen de n’avoir donné aucune réponse à sa demande d’expulsion et démolition conformément aux dispositions des articles 554 et 555 du code civil afin de bénéficier de l’entièreté des droits que lui confèrent des dits textes.
Attendu que le premier moyen ayant déjà répondu à ce moyen, il n’y a pas lieu de le développer.
2°) De la dénaturation des faits
Attendu que la dénaturation des faits ne constitue pas un cas d’ouverture généralement admis, mais constitue un cas d’ouverture à cassation la dénaturation d’un écrit. D’où il suit que le moyen est irrecevable.
c) Du moyen tiré de l’insuffisance de constatation des faits
Il est fait grief à l’arrêt querellé l’insuffisance de constatation des faits en ce que si les juges du fond sont souverains dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve et que la cour suprême quant à elle garde son pouvoir de contrôle quant à la concordance de ces éléments de fait et de preuve.
Qu’en l’espèce, l’arrêt déféré en infirmant le jugement entrepris pour défaut de qualité de A. sans un examen sérieux des éléments de fait et de droit souffrirait d’une insuffisance de constatation des faits pour l’application de la règle de droit.
Mais attendu que l’insuffisance de constatation des faits ne constitue pas en soi un cas d’ouverture généralement admis ; qu’il échet de le déclarer irrecevable.
2°) Des moyen présentés par Maitre Tidiane MANGARA
Maitre Tidiane MANGARA a invoqué deux moyens de cassation tirés du refus d’appliquer la loi et l’inexactitude de motif.
1°) Du premier moyen du refus d’appliquer la loi
Il est grief à l’arrêt infirmatif attaqué le refus d’appliquer la loi ; qu’il y a violation de la loi chaque fois que le juge refuse d’appliquer la loi.
Que dans le cas d’espèce, la cour d’appel de Kayes a refusé d’appliquer la loi relative à la servitude de passage, c'est-à-dire une voie de desserte qui est illicitement exploitée par B. empêchant le demandeur d’exploiter convenablement son activité commerciale. Que le demandeur aurait sollicité la démolition des ouvrages édifiés en ces endroits, pour lui permettre d’exploiter convenablement son activité commerciale.
Attendu en effet qu’ aux termes des dispositions de l’article 25 in fine du code domanial et foncier « …les infractions à ces règlements constituent des contraventions et sont passibles d’une amende de 30000f à 18000f et d’un emprisonnement de 1 à 10 jours, ou de l’une de ces deux peines seulement ,le tout du contrevenant, des ouvrages indûment établis sur le domaine public et dans des travaux prescrits ».
Attendu en effet que la sanction d’une occupation illicite d’une voie de desserte est prévue par l’article 25 in fine du texte susvisé. Que n’ayant pas fait droit à la demande de démolition des ouvrages édifiés et à l’expulsion du sieur B., la cour a refusé d’appliquer le texte visé au moyen. D’où il suit que le moyen sera accueilli.
2°) Du second moyen tiré de l’inexactitude de motif
Qu’il est fait grief à la cour d’appel de Kayes, saisie d’un problème de servitude s’est fondée sur une disposition relative au domaine public pour trancher cette question. Qu’en effet l’arrêt s’est basé sur l’article 20 du code domanial et foncier et sur une autorisation administrative pour décider que le demandeur n’a aucune qualité pour ester en justice dans une affaire relative au domaine public.
Que cette motivation est totalement erronée.
Qu’en motivant son arrêt par des allégations erronées, la cour expose sa décision à la censure de la haute juridiction.
Mais attendu que l’inexactitude de motif ne constitue pas un cas d’ouverture à cassation.
Qu’il échet en conséquence de déclarer le moyen irrecevable.
…Casse et annule l’arrêt déféré ;
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako ;…