2ème CHAMBRE CIVILE
Arrêt n°324 du 14 /111 / 2016
Expulsion.
Sommaire :
Le défaut de communication d’une procuration légalisée donnant mandat de représentation d’une des parties porte atteinte au principe du contradictoire.
I - Faits et Procédure :
Suivant assignation en référé en date du 29 août 2013, les héritiers de feu B. saisissaient le Tribunal de Première Instance de la Commune IV du District de Bamako d’une action en expulsion contre A. ;
Cette juridiction par ordonnance de référé n° 749 du 16 septembre 2013, a reçu les requérants en leur action, l’a déclarée bien fondée, en conséquence a ordonné l’expulsion de A., tant de sa personne, de ses biens que de tout autre occupant de son chef de la concession, objet de la parcelle MP/5 du lotissement de Sébénincoro, appartenant aux héritiers de feu B., et a débouté les requérants du surplus de leur demande, et condamné le défendeur aux dépens ;
Sur appel de A., la Chambre des Référés de la Cour d’Appel de Bamako par arrêt n° 454 du 22 novembre 2013 a confirmé l’ordonnance entreprise, et condamné l’appelant aux dépens ;
C’est contre cet arrêt que A. a formé pourvoi ;
II - Exposé des moyens du pourvoi :
Pour le triomphe de son pourvoi, A. par le truchement de son conseil Me Ousmane A. Bocoum soulève contre l’arrêt attaqué deux moyens de cassation tirés de la violation de la loi et du défaut de base légale ;
A - Violation de la loi :
Le demandeur au pourvoi reproche à l’arrêt querellé la violation de la loi en deux branches :
1ère branche : Violation de l’article 16 al. 1 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale :
En ce que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de B. pour représenter les héritiers de feu B., la Cour d’Appel de Bamako retient dans sa décision : « …qu’il est constant ainsi qu’il ressort des pièces du dossier notamment de la procuration légalisée en date du 23 août 2013… que les intimés ont régulièrement donné mandat à la dame B. en vue de les représenter… ; que dès lors le défaut de qualité soulevé par l’appelant est inopérant » ;
Alors, selon le moyen, que nonobstant les dispositions des articles 123 et 55 modifié du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale en vertu desquelles la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance (Art. 123 du CPCCS) et dans une instance initiée par voie d’assignation les pièces doivent être répertoriées dans un bordereau (Art 55 nouveau CPCCS), A. déclare n’avoir jamais reçu copie du mandat, qui d’ailleurs ne figure pas sur la liste des pièces figurant au bordereau, et dame B. ne nie ni cette assertion, ni n’établit la preuve contraire ;
Que les juges d’appel, à l’instar de celui du Tribunal, en affirmant avoir reçu la pièce et que celle-ci justifie le rejet du moyen, sans enjoindre à l’intimée de procéder à la communication, violent l’article 16 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale qui prescrit que « …Le Juge doit, en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction… » ;
Qu’il s’ensuit que l’arrêt recherché mérite d’être cassé et annulé ;
2ème branche : Violation de l’article 5 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale
En ce que la cour d’appel a confirmé une ordonnance qui a retenu en vertu de la décision n° 148 de 2002 portant rectification de numéro dans le lotissement de Sébénincoro que : « …le Maire du District de Bamako a décidé qu’au lieu de PM/5 lire MP/5… » sans s’assurer que ladite pièce a été communiquée à la partie adverse, et qu’une demande rectificative figure au dossier ;
Alors, selon le moyen, qu’en vertu des dispositions de l’article 55 modifié du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale : « …L’assignation contient, à peine d’irrecevabilité,…et comprend en outre l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé… » ;
Que sur le bordereau des pièces annexées ne figure ni la procuration désignant B. pour représenter les héritiers de B. dans la procédure, ni la décision n° 148 de 2002, portant rectification de numéro dans le lotissement de Sébénincoro ;
Que dans l’assignation, les demandeurs sollicitent l’expulsion de A. de la parcelle PM/5 leur appartenant, et que dans ses répliques A. déclare n’avoir jamais occupé la parcelle MP/5 mais plutôt la parcelle PM/5 ;
Que toujours selon le moyen, en confirmant cette ordonnance sans s’assurer que la pièce a été communiquée à la partie adverse, la cour d’appel viole l’article 16 qui prescrit le respect du principe du contradictoire et interdit de ne statuer que sur ce qui est demandé par les parties.
Qu’en statuant comme ci-haut l’arrêt viole l’article 5 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale et mérite d’être cassé et annulé ;
B - Défaut de base légale :
En ce qu’il a été versé au dossier deux extraits du lotissement de Sébénincoro, établissant l’existence dans la même zone de la parcelle n° PM/5 et celle identifiée MP/5, prouvant ainsi que les deux parcelles ne sont ni identiques, ni interchangeables et qu’aucune erreur matérielle n’existerait de nature à entrainer une confusion quelconque ;
Qu’il ressort tant du procès-verbal de saisie exécution, du procès-verbal d’adjudication aux enchères publiques, que du jugement n° 212 du 27 août 2012 du Tribunal Civil de la Commune IV du District de Bamako, confirmant les droits de propriété des héritiers de feu B. au détriment de ceux de feu C., que la parcelle saisie et vendue, en exécution de l’arrêt n° 130 du 22 juillet 1996 de la Cour d’Appel de Bamako statuant en matière correctionnelle, est bien celle identifiée sous le n° PM/5 du lotissement de Sébénincoro ;
En motivant l’arrêt attaqué par la décision n° 148 de 2002, portant rectification de numéro de parcelle dans le lotissement de Sébénincoro, suivant laquelle « le Maire du District de Bamako a décidé qu’au lieu de PM/5 lire MP/5 de Sébénincoro… », alors que cette modification porte atteinte à l’objet de sa saisie et du bien vendu, la cour d’appel de Bamako, par son silence sur la modification portée sur l’objet saisi qui a été vendu aux enchères publiques au profit d’un bien qui n’a été ni saisi ni vendu, procède par l’arrêt recherché d’un manque de base légale qui ne permet pas à la Haute Juridiction de pouvoir déterminer suivant quel moyen a pu s’opérer un tel transfert ;
Qu’il y a lieu dès lors casser et annuler l’arrêt n° 454 du 11 novembre 2013 et renvoyer la cause et les parties devant la Cour d’Appel autrement composée ;
Attendu que les défendeurs qui ont reçu notification du mémoire ampliatif y ont répliqué en concluant au rejet du pourvoi.
III - Analyse des moyens :
La violation de la loi :
1ère branche : La violation de l’article 16 al. 1 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt recherché d’avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité de B. de représenter les héritiers de feu B. en violation du principe du contradictoire ;
Attendu que l’alinéa 1 de l’article 16 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale est ainsi libellé : « Le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction » ;
Que l’arrêt querellé énonce : « Considérant qu’il est constant ainsi qu’il ressort …notamment de la procuration légalisée en date du 23 août 2013 à la Mairie de la Commune IV du District de Bamako que les intimés ont régulièrement donné mandat à la dame B. en vue de les représenter dans la présente procédure » ;
Que la Cour d’Appel de Bamako a tiré les conséquences de ce constat dans sa décision alors que le demandeur conteste avoir reçu communication de la copie de la pièce alléguée en vertu du principe du contradictoire ;
Attendu qu’il relève au « juge de faire observer » ce principe ;
Qu’en adoptant l’arrêt recherché sans s’assurer que la pièce évoquée a été communiquée à la partie adverse, la Cour d’Appel de Bamako viole le principe du contradictoire ;
Que dès lors il convient de recevoir ce moyen et de le déclarer bien fondé ;
2èmebranche : La violation de l’article 5 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt recherché d’avoir violé l’article 5 du Code de Procédure Civile, Commerciale et Sociale ;
Attendu que l’article 5 dudit code dispose : « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. » ;
Attendu cependant que le moyen n’indique pas en quoi l’arrêt querellé a statué sur ce qui n’a pas été demandé ;
Qu’il s’ensuit que le moyen n’est pas pertinent et ne peut être accueilli ;
B - Le défaut de base légale :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt recherché d’avoir manqué de base légale ;
Attendu que la jurisprudence et la doctrine dominante s’accordent pour admettre qu’il y a manque de base légale quand les motifs de la décision ne permettent pas de vérifier si les éléments nécessaires pour justifier l’application qui a été faite de la loi se rencontraient bien dans la cause ;
Attendu que l’arrêt querellé n’évoque pas dans la zone de lotissement de Sébénincoro l’existence de parcelles identifiées sous le n° MP/5 pour tirer les conséquences d’une éventuelle confusion avec la parcelle PM/5 ;
Attendu qu’en raison du pouvoir du juge du fond d’apprécier souverainement les éléments de fait, on ne saurait légitimement reprocher à la Cour d’Appel de ne s’être prononcée sur une éventuelle modification portant atteinte à l’objet saisi qui a été vendu aux enchères publiques au profit d’un bien qui n’a été ni saisi ni vendu ;
Qu’en conséquence l’arrêt attaqué ne manque pas de base légale, dès lors le moyen n’est pas pertinent et ne peut être accueilli ;
Attendu qu’en raison de la 1ère branche du premier moyen il y a lieu de casser et annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer la cause et les parties devant la Cour d’Appel autrement composée ;
…Casse et annule l’arrêt déféré ;
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Bamako autrement composée ;…