COUR SUPREME DU MALI REPUBLIQUE DU MALI
SECTION JUDICIAIRE Un Peuple-Un But-Une Foi
2ème CHAMBRE CIVILE ==========
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POURVOI N°99 du 28 Mars 2014
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ARRET N°299 du 16 Novembre 2020.
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NATURE : Annulation d’acte administratif de cession.
La Cour Suprême du Mali a, en son audience publique ordinaire du Seize Novembre Deux Mille Vingt à laquelle siégeaient :
Monsieur Fatoma THERA, Conseiller à la Section Judiciaire de la Cour Suprême, Président ;
Monsieur Lasseni SAMAKE, Conseiller à la Cour, membre ;
Monsieur Amadou Abdoulaye SANGHO, Conseiller à la Cour, membre ;
En présence de Monsieur Yaya KONE, Avocat Général près ladite Cour, occupant le banc du Ministère Public ;
Avec l’assistance de Maître Souleymane SAMAKE, Greffier ;
Rendu l’arrêt dont la teneur suit
Sur le pourvoi de Maître Mohamed GOITA, Avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de Ad A, né le … … … à …, Inspecteur des Finance, de nationalité malienne, domicilié à Faso-Kanu, porte 34, rue 37 - Bamako,
Demandeur d’une part ;
Contre : l’arrêt N°624 du 04 / 09 /2013 de la chambre civile de la Cour d’Appel de Bamako et les Héritiers de feu Ac Aa et Ak Ab Aj, ayant pour Conseil Maître Mohamed Bakary Bouaré, Avocat à la Cour-Bamako, défendeurs d’autre part ;
Sur le rapport de Monsieur Fatoma THERA, Conseiller à la Cour Suprême et les conclusions écrites de l’Avocat Général Tamba Namory KEITA et orales de l’Avocat Général Yaya KONE
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
Par acte n°99 du 28 Mars 2014, Maître Mohamed Goïta, Agissant au nom et pour le compte de Ad A, a déclaré former pourvoi contre l’arrêt n°624 du 4 Septembre 2013 de la Cour d’appel de Bamako dans une procédure en annulation d’acte Administratif de cession opposant son client aux héritiers de feu Ac Aa et Ak Ab Aj et dont la signification a été faite le 24 mars 2014 ;
En vertu du certificat de dépôt n°344 du 11 Juin 2014 du greffier en chef de la Cour de céans, Ad A a versé la consignation exigée par l’article 632 al3 du CPCCS ; Il a en outre dans le délai légal déposé un mémoire ampliatif contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée ainsi que les pièces invoquées à l’appui du pourvoi ;
Le pourvoi ayant satisfait aux exigences de la loi est recevable en la forme.
II- AU FOND :
1- Faits et Procédure :
Ac Aa exploitait une parcelle d’une superficie de 1 ha 69ca sise à Farako sur laquelle les autorités du District de Bamako lui ont concédé un droit d’usufruit objet de la lettre n°8940 du 26 Octobre 1981.
Par la suite, deux titres fonciers n°5549 et 12476 ont été créés au nom de Ac Aa sur une partie de la parcelle objet d’usufruit. L’autre partie a été morcelée par l’Etat, qui après création des titres fonciers dont le TF n°11.686 du District de Bamako d’une superficie de 8 à 78ca qui a été cédé à titre onéreux à Ad A en compensation du Titre Foncier n°4418 sis à Af, qui lui avait été repris pour cause d’utilité publique.
Au décès de l’usufruitier, Al Aa, représentant de ses héritiers manifestait les prétentions de la famille Koné sur le Titre Foncier n°11.686.
Ainsi commençait une série de procédures initiées par les héritiers de feu Ac Aa contre Ad A. Toutes les actions intentées par ces derniers devant la Section Administrative de la Cour Suprême ont été sanctionnées par des décisions rendues par défaut car Ad A se trouvait à l’extérieur du Mali.
C’est dans ces conditions que son intervenus les arrêts n°94 du 22 novembre 2001, n°38 du 05 Juin 2003, n°80 du 18 Décembre 2003 et n°52 du 6 mars 2009 de la Section Administrative de la Cour Suprême.
Avec l’arrêt n°52 du 6 mars 2009 rétractant l’arrêt n°80 du 18 Décembre 2003 qui ordonnait la cession de la parcelle aux héritiers Koné, le Titre Foncier n°11686 retombait dans le patrimoine immobilier de l’Etat.
Par acte administratif de cession en date du 9 Avril 2010, le Titre Foncier n°11686 du District de Bamako a été vendu à Ad.A.
Par acte en date du 23 Août 2012, les héritiers de feu Ac Aa, représentés par Al Aa B Ad A aux fins d’annulation d’acte administratif de cession du Titre Foncier objet du litige.
Par jugement n°08 du 10 Janvier 2013, le Tribunal Civil de la Commune III du District de Bamako rejetait la fin de non-recevoir opposée par Ad A et prononçait l’annulation de l’acte administratif de vente n°10.0073/MLAFU-DNDC du 9 Avril 2010 du Directeur National des Domaines et du Cadastre conférant un droit de propriété à Ad A sur la parcelle objet du titre foncier n°11.686 du District de Bamako ;
Sur appel de Ad A, la Cour d’appel de Bamako a, par arrêt n°62 du 4 Septembre 2013 confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
C’est contre cette décision qu’est dirigé le présent pourvoi.
2- Exposé des moyens de cassation :
Le demandeur au pourvoi soulève trois moyens de cassation tirés de la violation de la loi en trois branches, de la mauvaise qualification des faits et de la contrariété entre le motif et le dispositif.
2-1 Moyen tiré de la violation de la loi en trois branches :
2-1-1 Sur la première branche tirée de la violation de l’article 118 du CPCCS
En ce que l’arrêt attaqué a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Ad A aux motifs que les héritiers de feu Ac Aa ont qualité pour agir car l’usufruit dont bénéficiait le défunt sur la parcelle litigieuse leur a été transmis par dévolution successorale ; ainsi soutient le pourvoi, ils pouvaient entreprendre toute action judiciaire, de quelque nature qu’elle soit, pour garantir la Société Soleil Immobilière SARL contre les risques d’éviction.
Alors qu’il est un principe général de droit bien établi qui dit que « nul ne peut transférer à autrui plus de droit qu’il n’en a lui-même » ; qu’en outre, l’usufruit ne faisant plus partie du patrimoine du Decujus pour cause de décès, il n’était donc pas transmissible aux héritiers de feu Ac Aa ; qu’en conséquence, conclut le pourvoi, l’arrêt déféré mérite cassation pour défaut de qualité des héritiers de feu Ac Aa ;
2-1-2 Sur la Deuxième branche tirée de la violation de l’article 101 de l’Acte Uniforme des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique
En ce que l’arrêt attaqué a reconnu que la Société Soleil Immobilière SARL a acquis la parcelle litigieuse des héritiers de feu Ac Aa ; selon le pourvoi, cette vente est nulle et de nul effet, car les héritiers ont vendu un bien dont ils n’ont jamais été propriétaires par dévolution successorale de leur auteur ; que la vente entre la Société Soleil Immobilière SARL et les héritiers de feu Ac Aa a été faite le 13 Octobre 2005 alors que ladite Société n’a été immatriculée au registre du commerce et du crédit mobilier que le 25 Mars 2010 ; avant son immatriculation l’existence de la Société n’est pas opposable aux tiers qui eux peuvent s’en prévaloir ; par conséquent la vente invoquée ne saurait être opposée à Ad A ;
Le demandeur au pourvoi estimant que la vente ne lui est pas opposable et qu’il y a lieu de censurer l’arrêt déféré ;
2-1-3 Sur la troisième branche tirée de la violation de l’article 617 du Code Civil
En ce que l’arrêt attaqué, pour confirmer le jugement entrepris s’est contenté de soutenir que « les héritiers de feu Ac Aa, du fait de la dévolution successorale, devenaient usufruitiers en lieu et place du défunt ; en outre cette qualité leur est reconnue par les énonciations de l’arrêt n°94 du 22 novembre 2001 de la Section Administrative de la Cour Suprême » ;
Alors qu’en vertu de l’article 617 du Code Civil « l’usufruit s’éteint par la mort naturelle de l’usufruitier », Ac Aa étant décédé le 23 novembre 1994 comme l’atteste le jugement d’hérédité n°556 du 19 décembre 1994, l’usufruit s’est éteint avec son décès ; en ne tenant pas compte de ce fait, les juges d’appel ont refusé d’appliquer l’article 617 du Code Civil à une situation qui rentrait dans son champ d’application ; ce faisant, le demandeur au pourvoi estime que la Haute Juridiction doit censurer l’arrêt déféré ;
2-2- Deuxième moyen de cassation tiré de la fausse qualification des faits
En ce que l’arrêt déféré a annulé l’acte administratif de cession du 9 avril 2010 aux motifs que l’autorité administrative devait, avant toute cession, indemniser les héritiers de feu Ac Aa, devenus usufruitiers, du fait de la dévolution successorale de la parcelle objet du litige ;
Alors qu’en réalité le droit d’usufruit de Ac Aa se limitait au Titre Foncier n°5549 et ne concernait nullement le Titre Foncier n°1260 dont est issu le Titre Foncier n°11686 qui a été cédé à Ad A ;
Par ailleurs, le demandeur au pourvoi invoque comme base de l’usufruit la lettre n°2940 du 26 Octobre 1981 des autorités du District sans jamais en prouver l’existence. Le document produit en lieu et place de cette lettre est un compte rendu de la réunion interministérielle tenue le 27 mars 1992 au secrétariat général du gouvernement dont l’ordre du jour était relatif à « l’étude sur les aspects juridiques du dossier relatif au titre foncier n°5549 et sur l’utilisation des bordures du fleuve Niger » ;
Selon le demandeur au pourvoi, la lettre d’usufruit du gouverneur ne portait pas sur le titre foncier n°1260 dont est issue la parcelle objet du Titre Foncier n°11686 mais uniquement et exclusivement sur le Titre Foncier n°5549. D’ailleurs, après la cession de la parcelle litigieuse à Ad A, celui-ci a été obligé d’initier une procédure d’expulsion contre Ae Ah qui occupait les lieux et qui ne voulait pas les libérer ;
Tous ces développements montrent à suffisance que ni Ac Aa, ni ses héritiers n’ont exercé un droit d’usufruit sur la parcelle de Ad A.
En annulant l’acte administratif de cession à Ad A du Titre Foncier n°11686, l’arrêt attaqué a fait une mauvaise appréciation des faits de la cause ; ce qui a entrainé une fausse qualification des faits ; d’où il suit d’après le demandeur au pourvoi, que l’arrêt mérite la censure de la Haute Juridiction.
2-3 Sur le troisième moyen de cassation tiré de la contrariété entre le motif et le dispositif
En ce que l’arrêt attaqué a soutenu que le nom de Ai Ag mentionné dans le dispositif du jugement entrepris n’est qu’une erreur matérielle qui peut être corrigée par la juridiction d’appel conformément aux dispositions de l’article 470 du CPCCS ; en dépit de cette analyse, l’arrêt déféré a tout de même confirmé en toutes ses dispositions la décision entreprise s’exposant ainsi à la censure de la Cour régulatrice pour contrariété entre le motif et le dispositif.
Par ailleurs ; Maître Moussa Goïta, Conseil du demandeur au pourvoi sollicite, en application de l’article 651 du CPCCS la cassation sans renvoi ;
En réplique, Maître Mohamed Bakary Bouaré, Conseil des héritiers de feu Ac Aa et de la Société Soleil Immobilière SARL représentée par Ak Ab Aj réfute les arguments soulevés à l’appui du pourvoi et sollicite le rejet du pourvoi.
3 - ANALYSE DES MOYENS DE CASSATION :
3- 1 Sur le moyen tiré de la violation de la loi (en trois branches) :
3-1-1 Sur la première branche tirée de la violation de l’article 118 du CPCCS Attendu que l’usufruit s’éteint normalement par la mort de l’usufruitier ; que par la suite l’usufruit cesse d’exister automatiquement à la mort de Ac Aa, décès qui marque le terme ultime du démembrement de la propriété de la parcelle objet de l’usufruit ;
Attendu que la jurisprudence, emboitant le pas à la doctrine, a maintes fois affirmé que « tout usufruit, fut-il constitué pour une durée fixe, s’éteint de plein droit par la mort de l’usufruitier (Cass- Civ. 18 Juillet 1923 ; DP.1931, 11 75. Sous note, a- Ch. Réunies 16 Juin 1933, DH. 1933, 393.) » ;
Attendu qu’il est constant et non contesté que Ac Aa est décédé le 23 novembre 1994, ainsi qu’il résulte des énonciations du jugement d’hérédité n°556 en date du 19 décembre 1994 ;
Qu’il s’ensuit que contrairement aux conclusions de l’arrêt attaquée, les héritiers de feu Ac Aa ne pouvaient légalement devenir usufruitiers par dévolution successorale ; qu’en effet, dès la mort de l’usufruitier Ac Aa, le nu propriétaire c’est à dire l’Etat a vocation exclusive à profiter de l’extinction de l’usufruit ;
Qu’il est de principe que lorsque l’usufruit s’efface la pleine propriété se recompose automatiquement et nécessairement au profit du nu propriétaire qu’est l’Etat dans le cas d’espèce ;
Attendu qu’en droit, on ne peut parler de succession que dans un cas particulier où l’usufruitier a édifié des réalisations ou si l’usufruit produisait des fruits générant des ressources constitutives de biens familiaux ; que même dans cette hypothèse dans laquelle ne se trouve pas l’usufruit de Ac Aa ; la doctrine prévoit un mécanisme précis : lorsqu’un des époux décède, l’autre peut recevoir l’usufruit des biens appartenant au défunt et les enfants ne pourront parler d’héritage résultant de l’usufruit de ces biens qu’au décès de leur second ascendant ; que n’étant pas dans ce cas de figure, il ne saurait être question de transmission par dévolution successorale de l’usufruit de Ac Aa qui s’est éteint par l’avènement de son décès ;
D’où il suit que les héritiers de Ac Aa n’avaient pas qualité pour demander l’annulation de l’acte de cession établi par l’Etat sur un bien relevant de son domaine privé et sur lequel ils n’ont aucun droit ni titre ; qu’il convient par conséquent de recevoir l’exception soulevée et d’accueillir le moyen de cassation proposé ;
Attendu que le défaut de qualité des défendeurs au pourvoi étant établi, l’analyse des autres moyens demeure sans objet.
Attendu qu’en vertu de l’article 651 du CPCCS, la Cour Suprême peut casser sans renvoi, lorsque la cassation n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond ;
Qu’il échet dès lors, accueillir le moyen, casser sans renvoi ;
PAR CES MOTIFS
La Cour :
En la forme : Reçoit le pourvoi ;
Au fond : Casse et annule l’arrêt déféré ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
Ordonne la restitution de l’amende de consignation ;
Met les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.
ET ONT SIGNE LE PRESIDENT ET LE GREFFIER
Suivent les Signatures ;
Signés illisibles ;
Enregistré au Service des Impôts du District de Bamako le 21 // 12 // 2020 ;
Vol XXXXIIII, Fol 143, N°02 Bordereau 2186 ;
Reçu : Gratis ;
Signé illisible.
L’inspecteur de l’Enregistrement ;
« AU NOM DU PEUPLE MALIEN,
En conséquence la République du Mali mande et ordonne à tous Huissiers sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution ; aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Cours et Tribunaux de Première Instance d’y tenir la main ; à tous Commandants et Officiers de la force publique de prêter main forte pour son exécution lorsqu’ils en seront légalement requis ».
En foi de quoi le présent arrêt a été collationné, signé et délivré par Nous Maître Souleymane SAMAKE, Greffier en Chef par Intérim de la Cour Suprême, pour servir de Première GROSSE à Monsieur Ad A, né le … … … à …, Inspecteur des Finance, de nationalité malienne, domicilié à Faso-Kanu, porte 34, rue 37 - Bamako, ayant pour Conseil Maître Mohamed GOITA, Avocat inscrit au Barreau du Mali.
Bamako, le 11 Janvier 2021
P/ LE GREFFIER EN CHEF /PO
Maître Souleymane SAMAKE
Médaillé du Mérite National