Rejet du pourvoi formé par Congos contre un jugement correctionnel rendu le 20 février 1958 par le tribunal de première instance de An qui a condamné Morillo, sous la substitution de la Cie «La Sté Marocaine d'Assurances» à payer à Congos à titre de dommages-intérêts complémentaires, en sus des indemnités provisionnelles à lui déjà allouées par deux jugements interlocutoires antérieurs, la somme de trois millions de francs, avec intérêts de droit du 16 décembre 1957.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, violation de la loi et manque de base légale, pris du défaut d'accomplissement par M. Aa, l'un des juges composant le tribunal, de la formalité qui, selon le demandeur, serait prescrite par le décret du 5 septembre 1870, et les articles 77, 78 et 379 du dahir de procédure civile du 12 août 1913 ;
Attendu que ne sauraient être sérieusement invoquées ni les dispositions du décret du 5 septembre 1870 ayant délié les magistrats français du serment envers l'Empereur Ad B, ni celles des articles 77 ou 78 du dahir de procédure civile, qui concernent uniquement la notification des jugements ou le pouvoir du juge de paix d'ordonner une mesure d'instruction, et sont dénuées de tout intérêt en la cause ;
Attendu que M. Aa, nommé magistrat par dahir du ler décembre 1957, était de ce fait investi de fonctions judiciaires et habilité à rendre la justice au nom du Roi ; que dès lors, la nullité, résultant de l'inobservation des dispositions à caractère purement professionnel de l'article 379 du dahir précité, est relative et ne peut être invoquée présentement par Congos qui l'a couverte en faisant conclure au fond à l'audience du 13 février l958 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
....................................SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION, pris de ce que le jugement attaqué aurait, sans répondre aux conclusions de la partie civile, dénaturé le rapport de l'expert et certaines attestations versées au débats ;
Attendu que fondant son argumentation sur ce rapport et ces attestations, Congos avait conclu à l'évaluation à 80 795 479 francs du montant de son préjudice global ; qu'après avoir analysé les éléments de l'exploitation et son activité commerciale au moment de l'accident, et avoir examiné le rapport de l'expert et les éléments produits, le tribunal a déclaré puiser «dans les circonstances de la cause, les conclusions de l'expert et les critiques pertinentes dont elles ont été l'objet.. des éléments suffisants d'appréciation pour évaluer le préjudice éprouvé par Ag Ae à la somme de cinq millions, toutes causes confondues » ;
Attendu que les juges de la répression apprécient souverainement dans les limites des conclusions de la partie civile, l'indemnité due à celle-ci, sans être tenus de spécifier sur quelles bases ils en ont calculé le montant, de se conformer à l'avis de l'expert ou de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ;
Qu'en fixant à cinq millions de francs la réparation due à Congos, le tribunal n'a fait qu'exercer son pouvoir souverain d'appréciation ; que d'autre part, par les énonciations portées au jugement, il a répondu d'une manière implicite mais formelle, aux conclusions des parties ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président M. Deltel. - Rapporteur M. Berry. - Avocat général : M. Ah. - Avocats : MM. Melia, Pajanacci.
Observations
I. - SUR LE PREMIER POINT : Le serment est, en principe, la condition préalable de l'entrée en fonction du magistrat et de la validité des actes et des décisions auxquels il concourt.
La solution donnée par la Chambre criminelle s'explique cependant par le fait que le magistrat dont il s'agit avait été recruté par contrat individuel et nommé par S.M. le Roi. Seules les dispositions des art. 379. 549 et 550 du dahir de proc. civ. pouvaient recevoir application.
Il. - SUR LE DEUXIEME POINT: Les juges de la répression apprécient souverainement, dans les limites des conclusions de la partie civile, l'indemnité due à celle-ci, sans être tenus de justifier par des motifs spéciaux la condamnation à des dommages intérêts ni de spécifier sur quelles bases ils ont évalué le montant de l'indemnité allouée (Crim. 2 oct. 1941, D.A. 1941.357 ; V. également : Rép. pr. civ. V°Cassation, par Ac Al. nos 1937 s. ; Rép. civ. V° Cassation, par Af Ai, n° 60 ; V°Dommages-intérêts, par Ab Aj, n°50 ; Mazeaud, nos 2209 et note 10, 2360 et note 4 ; Ak, nos 70 et 180 ; Savatier, n° 609. Req. 27 mars 1905, D.P. 1905.1.301 ; Crim. 16 avr. 1921, D.P. 1922.1.207 ; 15 juin 1923, D.P. 1924.1.135 ; 15 juin 1933, Gaz. Pal. 1933.2.494 ; 22 juill. 1933, D.H. 1933.511, Gaz. Pal 1933. 2.626 16 nov. 1934, D.H. 1935. 22 ; 25 janv. 1935. D.H. 1935. 165 ; 10 janv. 1936, D.H.1936. 151 ; 14 févr. 1936, D.H. 1936, 166 ; Civ. 18 janv. 1943. D.C. 1943.45 ; Crim 21 janv. 1944, D. 1945.335 et la note de M. Am ; 8 mai 1947, D.1947.314 ; 29 nov. 1955, D. 1956. 177 ; 13 avr. 1956. S. 1956. 12).
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