Cassation sur le pourvoi formé par les consorts Senouf-Truchot contre un jugement correctionnel rendu le 13 mars 1958 par le tribunal de première instance de Ae qui a condamné la dame Ad à diverses amendes pour blessures involontaires et dépassement défectueux et à payer à Cohen 80000 francs de dommages-intérêts.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la violation des formes substantielles de procédure et de l'article 199 du Code d'instruction criminelle ;
Vu le dit article, ensemble l'article 13, 4°, du dahir du 2 rebia I 1377 (27 septembre 1957) ;
Attendu que l'effet dévolutif de l'appel se trouve limité par la qualité de l'appelant ; que la juridiction d'appel ne peut, sans excéder ses pouvoirs, statuer sur les intérêts civils alors qu'elle est uniquement saisie de l'appel du ministère public ;
Attendu que par la décision attaquée le tribunal de première instance de Casablanca statuant sur l'appel formé par le seul ministère public d'un jugement de relaxe rendue par le tribunal de paix de Casablanca-Sud, a, après avoir sanctionné les infractions reprochées à la prévenue, condamné celle-ci à payer à Cohen une somme de quatre vingt mille francs (80000 francs) à titre de dommages-intérêts
Qu'en prononçant cette dernière condamnation il a excédé ses pouvoirs ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION pris de la violation des articles 163 et 195 du Code d'instruction criminelle(1) défaut de motif et manque de base légale ;
(1)Les dispositions des articles 163 et 195 alinéa premier de Code d'instruction criminelle ont été reprises dans les articles 347 et 348 du Code de procédure pénale.
Vu les articles 163 du Code d'instruction criminelle et 13, 5°, du dahir du 2 rebia I 1377 (27 septembre 1957) ;
Attendu que tout jugement doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ;
Attendu que pour infirmer la décision de relaxe intervenue en première -instance et prononcer condamnation contre la dame Ad, prévenue de la contravention de dépassement à droite et de délit de blessures involontaires le jugement attaqué se borne à énoncer : «qu'il échet d'infirmer le jugement qui a relaxé Ad de dépassement défectueux et de blessures involontaires, la victime Cohen ayant été heurtée sur le côté gauche de la chaussée par l'arrière » ;
Attendu que ce seul motif qui n'expose pas les circonstances de l'infraction et ne précise pas la faute commise par la prévenue, est insuffisant pour permettre à la Cour suprême de vérifier la légalité de la qualification donnée aux faits et celle des peines prononcées ;
D'où il suit que la décision manque de base légale ;
PAR CES MOTIFS
et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen,
Casse et annule en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 mars 1958 par le tribunal de première instance de Casablanca ; pour être statué à nouveau conformément à la loi, mais uniquement sur l'action publique, renvoie la cause et les parties devant le tribunal de première instance de Casablanca, autrement composé ;
Président M. Deltel. - Rapporteur M. Zehler. - Avocat général : M. Aa. - Avocat MeCazes-Benatar.
Observations
I. SUR LE PREMIER POINT : L'étendue de l'effet dévolutif de l'appel varie d'après la qualité de l'appelant (V. la note sous Cour supr., Crim., arrêt n° 698 du 7 juill. 1960) et d'après l'objet de l'appel (V. la note sous Cour supr., Crim., arrêt n° 563 du 25 févr. 1960).
L'appel formé par le ministère public produit les effets les plus étendus et remet en question tout ce qui concerne l'action publique. La juridiction du second degré peut confirmer la décision attaquée ou l'infirmer soit au détriment, soit à l'avantage du prévenu. Mais cet appel reste sans effet sur les intérêts civils (Crim. 7 févr. 1952,Gaz. Pal. 1952. 1.195 Le Poittevin, art. 202, nos 251 s. Rép. crim., Vo Appel, par Ab Ac, n° 81).
L'art. 409, al. 1er, du dahir du 1chaabane 1378 (10 févr. 1959) formant Code de procédure pénale, aujourd'hui applicable, a consacré législativement cette solution jurisprudentielle.
Il.- SUR LE DEUXIEME POINT : V. la note sous Cour supr., Crim., arrêt n° 6 du 25 mars 1958. Les juges du fond devaient motiver leur décision et ils ne pouvaient prononcer condamnation sans constater l'existence des éléments constitutifs de l'infraction.
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