238-58/59 23 juin 1959 1367
Abdelatif ben Ayad c/ Société des Anciens Ab Ad.d.
Cassation d'un jugement du tribunal de première instance de Meknès du 21 mai 1958.
La Cour,
SUR LA FIN DE NON-RECEVOIR
Attendu que la Société défenderesse soutient que le pourvoi serait tardif, le jugement attaqué ayant été notifie le 10 juillet 1958 et la requête aux fins de pourvoi déposée au greffe de la Cour suprême par l'avocat du demandeur le 17 janvier 1959 ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 58 du dahir du 28 ramadan 1376 (29 avril 1957), le pourvoi contre «les jugements rendus en dernier ressort ou sur appel» en matière de conflits individuels du travail «est formé dans le délai de 15 jours, à dater de la notification du jugement par déclaration au secrétariat-greffe de la juridiction qui a statué en dernier ressort ou devant celui de la Cour suprême» ; que la déclaration de pourvoi formulée par Ac a été enregistrée au greffe de la Cour suprême le 23 juillet 1958 ; que dès le 17 du même mois le bureau d'assistance judiciaire établi près la Cour suprême avait été saisi d'une demande d'assistance et qu'il y a été fait droit le 15 octobre suivant ; que l'avocat désigné a présenté la dans le délai que le conseiller rapporteur lui avait imparti à cette fin ;
D'où il suit que le pourvoi est recevable en la forme ;
Rejette la fin de non-recevoir ;
SUR LE MOYEN UNIQUE
Vu l'article 754 du Code des obligations et contrats ;
Attendu que le juge saisi d'une demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive d'un louage de services conclu pour une durée indéterminée est tenu de mentionner, et par suite de discuter le motif allégué par la partie qui a rompu le contrat ;
Attendu qu'il résulte des énonciations du jugement attaqué que la société a donné comme motif de rupture une compression du personnel employé par elle ; que le tribunal a rejeté la demande en dommages-intérêts de l'ouvrier, par ce seul motif «qu'il ne justifiait pas que le
congédiement ait été abusif et qu'il n'offrait pas de faire la preuve des faits qu'il alléguait» ;
Mais attendu que les juges du fond qui puisent dans l'article 754 du Code des obligations et contrats le droit de procéder d'office à une enquête régulière, étaient tenus de vérifier le motif allégué à l'appui de la mesure prise à l'égard de l'ouvrier congédié et d'apprécier si, des faits établis par l'enquête, il résultait que l'employeur, en exerçant son droit de résiliation, avait agi avec malveillance ou tout au moins avec une légèreté blâmable ;
Qu'en s'abstenant de faire cette recherche pour en discuter ensuite les résultats, le tribunal n'a pas donné une base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président: M Denoits-Rapporteur: M Leyat-Avocat général: M XB A Aa, Couesnon.
Observations
I-Les règles générales prévues par le Dh. 27 sept. 1957 relatives aux forme et délai du pourvoi en cassation ne sont applicables que «sauf dispositions particulières» (art 12).
II-Tout salarié, comme tout employeur, peut à tout moment résilier un contrat de travail à
durée indéterminée. Il est indispensable en effet que le salarié ne puisse rester indéfiniment contre son gré sous la dépendance du même employeur, et que l'employeur puisse se séparer d'un salarié qui ne lui donne pas satisfaction ou qui a cessé d'être utile à la marche de son entreprise. Mais, par application de la théorie générale de l'abus de droit, l'exercice abusif de cette faculté de résiliation unilatérale donne lieu à des dommages et intérêts (art 754, al 4 et 5, C obl Contr). C'est au demandeur en dommages et intérêts qu'il appartient d'établir l'abus, et le défendeur qui a pris l'initiative de la résiliation n'a à démontrer ni l'exactitude ni la légitimité du motif de rupture qu'il a invoqué. Toutefois, pour protéger le demandeur, l'article 754, al 5, impose la juridiction saisie de mentionner ce motif dans sa décision et l'invite expressément à rechercher elle-même s'il y a abus, en ordonnant, au besoin d'office, une enquête pour déterminer les circonstances de la rupture, c'est-à-dire pour rechercher le véritable motif de celle-ci.
La Cour suprême a le contrôle du caractère légitime ou abusif que les juges ont attribué à la rupture. Sont notamment considérés comme abusifs les congédiements motivés par l'activité politique ou syndicale du salarié (v Rép.civ, V° Contrat de travail, n°228 adde notamment Civ IV, Il mars 1964, B 229 22 mai 1964, B 419). L'inexactitude du motif de congédiement invoqué ne suffit pas à caractériser l'abus, il faut en outre que les circonstances établissent l'intention malveillante ou la légèreté blâmable de celui qui a rompu le contrat (v notamment Civ IV 9 juil 1953 P 1954 664 24 juin 1954 D 1954 699 15 févr 1965 B 138 6 janv 1966 B 9 ; 7 janv 1966 B 29)