254-58/59 10, juillet 1959 1301
Ad Ab Ad el Hadj c/ Ae Ab Ad Ab Ac Af.f.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 17 janvier 1958.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE PRIS EN SA SECONDE BRANCHE:
Vu l'article 77 du dahir des obligations et contrats ;
Attendu que tout dommage moral donne ouverture à réparation que les héritiers trouvent dans le patrimoine du de cujus le droit à 1'action en réparation qui naît au moment même de ce dommage ;
Attendu qu'il résulte des productions et de l'arrêt attaqué que le 17 mars 1955 à la suite d'un accident survenu sur la route de Casablanca à Agadir, Aicha, âgée de cinq ans, a été transportée à l'hôpital de Mogador, le crâne fracturé, la face et la cage thoracique écrasées et est décédée après son hospitalisation ; que son père Ad Ab Ad a réclamé à Saïd ben Mohamed, auquel un jugement correctionnel a imputé la responsabilité de l'accident, et à son assureur «La Protectrice», la réparation du préjudice qu'il avait subi personnellement et celle, autre part, du dommage subi par la victime, en raison des droits qu'il tenait de sa vocation successorale.
Attendu que l'arrêt attaqué, qui a alloué à Ad Ab Ad la somme de 250000 francs en raison du premier chef de sa demande, a déclaré qu'il était sans droit à recueillir dans la succession de sa fille «une prétendue créance» au motif que la victime d'un accident «n'éprouve aucun dommage matériel et moral, par le fait de sa mort instantanée» ;
Mais attendu que toute action en réparation d'un préjudice extra-contractuel a une valeur pécuniaire qui en fait un bien de succession ; que le temps séparant l'accident de la mort, alors qu'il s'écoule tout au moins un instant de raison entre l'accident dommageable et la mort, demeure sans influence sur ce principe et ne peut en avoir que sur le quantum de la réparation ;
Que le moyen est fondé ;
Et attendu que le pourvoi fait seulement grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré que Ad Ab Ad était sans droit à recueillir la créance à laquelle il prétendait dans la succession de sa fille ;
PAR CES MOTIFS
et sans qu'il y ait lieu d'examiner la première branche du moyen,
Casse, mais seulement en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que la succession de la jeune Aîcha
ne comportait aucune créance susceptible d'être recueillie par Ad Ab Ad son père.
Président: M Denoits-Rapporteur: Mme C général: M YA B Aa, Emanuel.
Observations
Les héritiers trouvent dans la succession du défunt les créances indemnitaires nées des délits ou quasi délits dont celui-ci a été victime de son vivant. Toutefois, la transmission aux héritiers du bénéfice de l'action en réparation des souffrances physiques est discutable lorsque cette action n'a pas été intentée par la victime avant son décès (Pour la transmission: Mazeaud, n°1901 et s Contre Esmein D 1962 chr p 151 et note sous Civ 21 déc 1965, D 1966 181 ; René Rodière, Rev Trim Dr civ 1966, p 543) ; la Cour de cassation française admet le principe de cette transmission, mais elle estime que lorsque le décès a été instantané la victime n'a subi aucun préjudice, qu'en conséquence aucun droit n'est susceptible d'être transmis (Civ Il, 21 déc 1965 préc), et que les héritiers ne peuvent donc demander réparation que de leur préjudice propre. Partageant cette opinion la Cour d'appel avait estimé que la victime n'éprouve aucun dommage «par le fait de sa mort instantanée» ; la Cour suprême décide le contraire.