Cassation sur le pourvoi formé par Ac, la société Sabi et la compagnie d'assurances « La Concorde » contre un jugement correctionnel du tribunal de première instance de Fès du 13 novembre 1957 qui a condamné Ac à 10000 francs d'amende pour infraction a la police du roulage et a 20000 francs d'amende avec sursis pour blessures involontaires.
22 juillet 1959
Dossier n° 351
La Cour,
SUR LE MOYEN RELEVE D'OFFICE PAR LE MINISTERE PUBLIC et pris de la violation de l'article351 (dernier alinéa) du Code d'instruction criminelle ;
Vu ledit article aux termes duquel « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée » ;
Attendu que le jugement attaqué a condamné Ac (Ernest) à dix mille francs d'amende pour avoir, alors qu'il conduisait un camion automobile. Opéré sans précautions suffisante un changement de direction dans la marche de son véhicule, (délit réprimé par les articles 9, 18 du dahir du 19 janvier 1953 et 11 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953 sur la police de la circulation et du roulage) et à vingt mille francs d'amende avec sursis pour blessures involontaires (délit réprimé par l'article 320 du Code pénal):
Attendu qu'en infligeant des peines distinctes pour chacun des deux délits qui avaient fait l'objet d'une seule et même poursuite, alors que la peine la plus forte, c'est-à-dire celle applicable à l'infraction réprimée par l'article 320 du Code pénal, aurait dû seule être prononcée, le tribunal a violé les dispositions de l'article 351 du Code d'instruction criminelle, visé au moyen ;
Attendu en effet que l'article 17 du dahir du 19 janvier 1953 ne concerne que les infractions à la police de la circulation et du roulage réprimées par ce dahir, et que le principe
général du non-cumul des peines édicté par l'article 351 précité dont les dispositions ont été reprises par l'article 768 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure pénale doit recevoir application lorsque, comme en l'espèce, en même temps qu'un ou plusieurs délits prévus par le dahir sur la police de la circulation et du roulage, un autre délit réprimé par d'autre dispositions législatives est retenu par le juge ;
Que, dès lors, sans même relever le manque de base légale de la condamnation prononcée contre Ac du chef de blessures involontaires sans indication de la durée supérieure à six jours, de l'incapacité de travail subie par Aj, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de la requête, il échet de casser et annuler le jugement attaqué ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties au présent pourvoi le jugement correctionnel rendu le 13 novembre 1957 par le tribunal de première instance de Fès ; renvoie la cause et les parties devant le tribunal de première instance de Meknès pour être statué conformément à la loi ;
Président : M. Ae. - Rapporteur : M. A Aa. - Avocat général : M. Ah. - Avocats : MM. Jacob et Af, Benchétrit.
Observations
Sur la règle de non-cumul des peines, v.la note sous Cour supr., Crim., arrêt n° 158 du 11 déc.1958.
L'art. 17 du dahir du 3 joumada I 1372 (19 janv. 1953) sur la conservation de la voie publique et la police de la circulation et du roulage, apporte une dérogation au principe selon lequel, en cas d'unité de poursuites contre un même individu pour plusieurs infractions distinctes, la peine afférente à l'infraction la plus sévèrement réprimée par la loi doit seule être prononcée. Il prescrit en effet que « lorsqu'une même contravention ou un même délit a été constaté à plusieurs reprises, il n'est prononcé qu'une seule condamnation, à condition qu'il ne se soit pas écoulé plus de vingt-quatre heures entre la première et la dernière constatation. Lorsqu'une même contravention ou un même délit de la nature de celui prévu à l'art. 9 ci-dessus a été constaté à plusieurs reprises pendant le parcours d'un même relais, il n'est prononcé qu'une seule condamnation. Sauf les exceptions mentionnées au présent article, lorsqu'il aura été constaté plusieurs infractions à la charge du même individu, les peines prévues pour chaque délit et pour chaque contravention se cumulent ».
Le principe du non-cumul des peines régit bien plus le fond du droit que la procédure et il doit être observé chaque fois qu'une loi spéciale n'y a pas apporté une dérogation formelle. Or l'art. 17 susvisé n'y déroge qu'en ce qui concerne les délits et les contraventions prévues et réprimées par le dahir du 3 joumada I 1372 (19 janv.1953). Il ne prévoit aucune exception en ce qui concerne les autres délits, tels ceux d'homicide et de blessures involontaires, réprimées par les art. 319 et 320 C. pén. Par suite, la règle du non-cumul s'applique lorsqu'en même
temps qu'un ou plusieurs délits prévus par le dahir sur la police de la circulation et du roulage, un autre délit réprimé par d'autres dispositions législatives est retenu par le juge du fond.
Sur les exceptions à la règle du non-cumul, v. Rép. crim., V° Cumul d'infractions, par Ai Ab, nos 8 et 9.
Sur l'application de la règle au Maroc, v. Crim. 7 mars 1925, Rec. t. 3.65, Penant. 1926.1., Gaz. Trib. M. 1925.130 ; 4 févr. 1926, Rec. t. 4.12, Penant, 1927.51, Gaz. Trib. M. 1926.411 Crim., Chambre provis., 23 juin 1943, Rec. t. 13.222 ; 29 mars 1944, Rec. t. 13. 394, Gaz. Trib. M. 1945.17 Crim. 5 déc. 1947, Rec. t.14. 357, Penant Col. 1947.60 et la note de Ad Ag ; Crim. 16 févr. 1954, Rec. t. 17. 633.
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