Rejet du pourvoi formé par Ali Ad Af Ad Aa dit « Skallera » contre un jugement du tribunal criminel de Casablanca du 5 mai 1959 qui l'a condamné a 5 ans de travaux forcés pour crimes et délits de vols et tentatives de vol.
22 octobre 1959
Dossier n° 3325
La Cour,
Attendu qu'Ali ben Af Ad Aa condamné effectivement détenu, se trouve, en application de l'alinéa 2 de l'article 581 du Code de procédure pénale, dispensé de la consignation prévue à l'alinéa premier du même article ; qu'il n'a produit aucun mémoire exposant ses moyens de cassation mais qu'en vertu de l'article 579 du Code précité la production de Ce mémoire, est, en matière criminelle, facultative pour le condamné demandeur au pourvoi ; qu'ainsi le pourvoi, régulier par ailleurs en la forme, est recevable ;
Attendu que le jugement attaqué, au lieu de constater qu'a été rapportée la preuve exigée par l'article 289 du Code de procédure pénale, mentionne que de l'information et des débats il résulte à l'encontre de l'accusé « charges suffisantes » ; que l'emploi d'une telle formule ne justifie pas néanmoins en l'espèce l'annulation du jugement, l'énonciation ultérieure du dispositif, qui déclare l'accusé coupable des crimes et délits qui lui étaient reprochés, permettant de déterminer la conviction du juge et révélant que par l'expression inadéquate de « charge suffisantes » il avait entendu désigner les preuves de culpabilité ayant entraîné sa conviction.
Attendu qu'après le prononcé du jugement, le président du tribunal, bien que le texte applicable fût l'article 496 du Code de procédure pénale, a averti le condamné qu'il avait « en vertu de l'article 40 du dahir du 27 septembre 1957, huit jours Francs pour se pourvoir en cassation » ; que toutefois l'article 496 se bornant à exiger qu'après avoir prononcé le jugement, le président avertisse le condamné qu'à compter dudit prononcé « il dispose d'un délai de huit jours Francs pour se pourvoir en cassation », l'avertissement s'est trouvé avoir été donné dans les termes légaux et n'a pu être vicié par la référence surabondante à un autre texte ;
SUR LE MOYEN D'OFFICE SOULEVE PAR LE MINISTERE PUBLIC et pris de la violation des articles 497, 347 et 352 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
Attendu que tout jugement appliquant une peine doit énoncer les motifs de fait et de droit propres à justifier légalement la condamnation prononcée ; que le jugement frappé de pourvoi déclare réprimer, outre de nombreux vols simples ou qualifiés dont il indique les éléments constitutifs, huit tentatives de vol sans énoncer pour aucune d'elles les faits desquels résulte le commencement d'exécution et les circonstances qui ont suspendu ces tentatives ou leur ont fait manquer leur effet ;
Attendu que cette insuffisance de motifs met la Cour suprême dans l'impossibilité d'exercer son contrôle ; que la peine infligée de cinq années de travaux forcés se trouvant, il est vrai, déjà légalement justifiée par la répression des seuls vols, dont l'un de 4 000 francs commis avec port d'arme le 23 janvier 1956 à Fedala au préjudice d'Antoine Iglesias, il échet, en application de l'article 589, alinéa 2, du Code de procédure pénale, non de prononcer l'annulation intégrale du jugement attaqué mais de déclarer que ce jugement ne s'applique qu'à ceux des chefs d'accusation qui ont été légalement retenus ;
PAR CES MOTIFS
Déclare que la peine de cinq années de travaux forcés prononcée contre Ali ben Af Ad Aa par jugement du tribunal criminel de Casablanca le 5 mai 1959 ne s'applique qu'à la répression des chefs d'accusation de vol seuls légalement retenus, à l'exclusion des huit tentatives.
Président : M. Ae. - Rapporteur M. Larrouy. - Avocat général : M. Ak.k.
Observations
I. - Sur le premier point: Aux termes de l'art. 289 C. proc. pén, «le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves, versées aux débats et discutées oralement et contradictoirement devant lui » et le jugement doit, par application de l'art. 348, al. 2 du même Code, énoncer « . l'infraction dont le prévenu est déclaré coupable. »
Il faut que le jugement contienne une déclaration expresse de culpabilité (Rép. crim., V° instruction à l'audience, par Aj Ai, n° 336), mais il a déjà été jugé que la seule formule "il existe charges suffisantes » indique clairement, lorsqu'elle sert de base à une condamnation, que les juges ont été convaincus de la culpabilité (Crim. 7 oct. 1843, B.C. 261, cité par Le Poittevin, art. 195, n° 56).
II. - Sur le deuxième Point : V. la note sous Cour supr., Crim., Arrêt n° 379 du 22 juill. 1959.
III. - Sur le troisième point : A) Manque de base légale la décision de condamnation qui ne précise pas les circonstances de fait qui la motivent et qui, par suite, ne permet pas à la Chambre criminelle de vérifier Si les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis (V. la note, premier point, sous Cour supr., Crim., arrêt n° 201 du 12 févr. 1950 et, en matière de tentative, la note sous Cour supr., Crim., Arrêt n° 364 du 16 juill. 1959).
B) L'art. 589. al. 2, du C. proc. pén. prévoit que « quand la peine se trouve justifiée par l'un des chefs d'inculpation, il n'y a point lieu à l'annulation de la décision, mais le juge de la cassation déclare que la condamnation portée à la décision attaquée ne s'applique qu'à celui des chefs d'inculpation qui a été légalement retenu ».
En l'espèce, la peine de cinq années de travaux forcés était légalement justifiée par la répression des seuls vols qualifiés.
Sur la notion de peine justifiée, v. Garraud, 2. nos 1837 s. Ac Ab, Essai sur la
peine justifiée, thèse, Paris, 1936 Rép. crim., V° Cassation, par Ah Ag, nos 309 s.; Ac Ab, étude à la Rev. science Crim., 1948, p.541, nos 7 ; Donnedieu de Vabres, n0 1520 Bouzat, n0 1357.
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