Rejet du pourvoi formé par la compagnie d'assurances «La Préservatrice»contre un jugement confirmatif du tribunal de première instance de Fès du 13 octobre 1958 retenant la responsabilité de Rhir Allal, accordant des réparations civiles et condamnant la compagnie d'assurances «La Préservatrice» à substituer son assuré.
29 octobre 1959
Dossier n° 1820
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION pris de la violation des règles du droit pénal, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que le tribunal aurait condamné Rhir Allal au motif que la preuve de sa non-culpabilité n'étant pas établie, il était permis de supposer l'existence du délit, alors qu'au contraire la preuve des fautes imputées à un inculpé incombe au ministère public qui doit la rapporter de façon incontestable ;
Attendu que le moyen, ainsi présenté, tend à remettre en discussion les dispositions proprement pénale de la décision attaqué ; que la demanderesse est à cet égard sans qualité pour se substituer au condamné, qu'il échet dès lors, faisant droit à l'exception soulevée par les défendeurs Ak, a Paix Africaine et le Fonds de garantie, de déclarer ce moyen irrecevable;
SUR LE SECOND MOYEN pris de la dénaturation, violation, fausse application de l'article 16 et des conditions particulières de la police d'assurance souscrite par Rhir Allal, en ce que le tribunal s'est borné à se fonder sur l'article 2(7°) de cette police pour rejeter l'exception de non-assurance soulevée par la compagnie La Préservatrice, alors qu'en utilisant à usage accessoire de transport de passagers à titre onéreux un véhicule uniquement assuré à usage de «promenade et exploitation agricole » Rhir Allal se serait exclu de toute garantie de sa responsabilité civile ;
Attendu que l'article 2 de la police stipule : « il n'y a pas assurance pour: .7° les tiers transportés à titre onéreux. », impliquant clairement, par cette rédaction limitée à une seule catégorie définie de personnes, que la garantie ne couvre pas la responsabilité civile de l'assuré envers ses passagers à titre onéreux mais n'en continue pas moins à produire ses effets à l'égard de toutes autres personnes;
Attendu que ne peuvent faire échec à cette disposition dépourvue d'ambiguïté, insérée au paragraphe «Responsabilité civile» de la police pour sanctionner précisément le transport rétribué de personnes, les énonciations très générales de l'article 16 disposant, au paragraphe «Formation du contrat » que: «l'assurance ne porte et la prime n'est due que sur les objets et pour les risques prévus aux conditions particulières » notamment ceux inhérents à l'usage auquel l'assuré a déclaré affecter son véhicule ; que le fait, dont il n'est ni établi ni même allégué qu'il fut habituel. de la présence, accessoire et sans relation de causalité avec l'accident, de passagers transportés à titre onéreux dans la voiture assurée, ne saurait à lui seul suffire à transformer l'usage du véhicule ou le risque encouru et à priver ainsi l'assuré de toute garantie ; que d'ailleurs si la présence même occasionnelle de tiers transportés à titre onéreux devait, comme le soutient la demanderesse, entraîner automatiquement la non- assurance du véhicule à l'égard de tous les tiers sans exception, il eut été parfaitement inutile d'édicter à l'article 2 une exclusion de garantie limitée aux seuls passagers payants;
Attendu dans ces conditions que ; constatant que Ben Al avait été blessé alors qu'il se trouvait dans le camion entré en collision avec la voiture assurée par la compagnie La Préservatrice, c'est à bon droit que le tribunal, sans réfuter spécialement l'argumentation tirée de l'article 16 qui lui était soumise dans une simple note en délibéré du 10 octobre 1958 à laquelle il n'était pas tenu de répondre, a, par application de l'article 2, 7°, de la police, écarté l'exception de non- assurance soulevée par cette compagnie;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé;
SUR LE TROISIEME MOYEN, pris de ce que le jugement attaqué a prononcé la mise hors de cause du fonds de garantie et n'a pas donné de base légale à cette décision qu'il n'a pas motivée ;
Attendu que la compagnie La Préservatrice est sans qualité à critiquer une telle disposition qui ne lui fait pas grief ; qu'en retenant la garantie de cette compagnie d'assurances, le tribunal a par là même implicitement justifié la mise hors de cause du Fonds de garantie;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Deltel. Rapporteur : M. Voelckel.- Avocat général: M. Ruolt. Avocats:
MM. Benchétrit, Fernandez et Botbol, Lorrain.
Observations
I.- Sur le premier point : Par l'arrêt rapporté, la Chambre Criminelle décide qu'un assureur, substitué en application des dispositions du dahir du 8 juillet 1937 modifié par les dahirs des 27 janvier 1941 et 23 mai 1942 est sans qualité pour se substituer à son assuré condamné pénalement et présenter un moyen de cassation qui tend à remettre en question les dispositions purement pénales de la décision attaquée (Dans le même sens: arrêt n° 469 du 10 déc. 1959).
« La qualité constitue pour le sujet de droit l'aptitude à saisir la justice dans une situation concrète donnée. Pour savoir si une personne a qualité, il faut rechercher si c'est elle que la loi a habilitée pour provoquer la sanction de l'intérêt légitime en cause » (Rép. pr. Civ, V° Action, par Ae Ag, n° 6I). C'est « le titre qui permet au plaideur d'exiger du juge qu'il statue sur le fond du litige. elle réalise la jonction entre l'action d'une part et le fond du litige d'autre part » (Ai Aa, La qualité, condition de recevabilité de l'action en justice, D. 1952, chron. p. 85). Sur la notion de qualité, v. Gassin, La qualité pour agir en justice, thèse, Aix, 1955 ; Morel, nos 30-20; Cuche et Vincent, nos 16 et s; Faye, n° 38; Nouv. Rép, V° Action, n° 13; Rép. pr. civ, V° Cassation, par Af Aj, nos 264 et s, V° Action par Ae Ag, nos 60 et s; Rép. Crim, V° Cassation, par Ad Ac, nos 120 et s.
II- Sur le deuxième point : L'article 573 du dahir du 1er chaabane 1378 (10 févr. 1959) formant Code de procédure pénale prévoit que « nul n'est recevable à se pourvoir s'il n'a été partie à l'instance pénale et si la décision attaquée ne lui fait pas grief ». Sur la notion d'intérêt, v. Moral, nos 27 et s. Cuche et Vincent, nos 13 et s. Faye, n° 45 Nouv. Rép. V°Action, nos 3 et s. Rép.pr. civ., V° Cassation, par Af Aj, nos 358 et s., V° Action, par Ae Ag, nos 15 et s. Rép. crim., V° Cassation, par Ad Ac, nos 128 et s.
III. Sur le troisième point. Sur la clause des contrats d'assurance excluant de la garantie les tiers transportés à titre onéreux, v. Picard et Besson, traité gén. Des assurances terrestres, t. 3, n° 180 jurisclasseur civil, Annexes, t., v. Assurances Div. F, n° 201 Mazeaud, t. 3, n° 2668.3 et la note 2, ainsi que les références citées.
IV. - Sur le quatrième point. Après la clôture des débats, prévue en matière pénale par les articles 306, dernier alinéa, et 483, dernier alinéa, Code proc. pén, les parties sont « simplement autorisées à rappeler et à préciser par des notes les arguments développés par elles à l'audience publique » mais elles « ne sont plus en droit de présenter aucun moyen de fait ou de droit non consigné dans leurs conclusions ». (Civ. 13 janv. 1942, D.C. 1942.57). V. également: Req. 17 févr. 1920, D.P. 1920. 1. 155 ; Civ. 20 avr. 1944. Gaz. Pal. 1944. 1. 254 ; 27 déc. 1945, Gaz Pal. 1946, Gaz Pal. 1946. 1. 77.; 21 juin 1950, J.C.P. 1950. IV, éd. Avoués, n° 1494 et les observations de M. Ab Ah, 9 déc. 1952, J.C.P. 1952. II. 7401 et la note signée P.J.
Les juges ne sont pas tenus de répondre à ces « notes en délibéré » (Civ. 21 oct. 1912, S. 1913. I. 195 ; 28 juillet 1949, Bull. civ. 1949. III n° 801, p. 898 ; 17 nov. 1949, Bull Civ. 1950 II n° 1036, p. 1134 ; 20 déc. 1949, Bull. Civ 1949 III n° 1193, p. 1288 ; 9 janv. 1950 Bull. Civ 1949 II n° 8, p. 5, S. 1950. I. 163, Rév trim. dr. civ. 1950, p. 551, n° 24, et, dans le sens de l'arrêt rapporté: Cour supr. Crim, arrêts n°s 535 et 595 du 28 févr. et du 24 mars 1960. V. également: Rép. Pr. Civ, V° conclusions, par louis Crémieux, n° 59; Cuche et Vincent, n°s 327 et note 3; J. Am, Les notes en délibéré dans les procès civils, J.C.P. 1952. I. 1036). Ils peuvent cependant en faire Etat dans leur décisions mais ils doivent alors «s'assurer et constater que les documents nouvellement introduits ont bien été communiqués à toutes les parties en cause» et, s'ils estiment que les observations écrites qu'on leur a soumises éclairent sous un jour différent le litige, «rouvrir les débats pour les soumettre à une discussion contradictoire». «Il s'agit, en pareil cas», ajoute l'arrêt, «de conditions essentielles au droit de la défense et touchant à l'ordre public» (Civ. 27 déc. 1945 précité).
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