Cassation sur le pourvoi formé par Af Ad contre un arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Rabat du 25 novembre 1958 relaxant Paul Laloue et Aj Ag, du chef d'escroquerie et complicité et se déclarant incompétent sur l'action civile.
19 novembre 1959
Dossier n° 2027
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE, en ses trois branches, pris de la violation et fausse application de l'article 405 du Code pénal, de la violation des articles 163 et 195 du Code d'instruction criminelle, du défaut de motifs et du manque de base légale ;
Attendu que l'arrêt attaqué constate que pour vendre à la société « le Négro-Friand » dont il était devenu directeur général, une machine provenant d'une confiserie qu'il avait autrefois exploitée à Caen, Laloue a fait établir par Ag, commerçant à Paris qui s'est conformé scrupuleusement à ses instructions, une facture fictive de 900000 francs ; qu'ultérieurement cette facture à été produite par Laloue à l'appui d'une demande en justice tendant à faire condamner la société « le Négro-Friand » au remboursement d'une partie de ladite somme ;
Attendu que l'article 405 du Code pénal n'exige pas, comme condition de son application, que les valeurs escroquées aient tournées au profit de l'auteur de délit, lequel existe alors même que les personnes à l'égard desquelles il a été commis, n'auraient pas éprouvé un préjudice notable ; que l'appréciation des juges du fond quant à l'absence d'intention frauduleuse n'est souveraine qu'autant qu'elle n'est pas contredite par d'autres énonciations de leur décision ;
Attendu qu'après avoir constaté l'existence d'une facture fictive établie de connivence avec un tiers en vue d'obtenir par la société « le Négro-Friand » l'achat et le paiement d'une machine dont la véritable origine était ainsi dissimulée, la Cour d'appel de Rabat n'a pu, sans contradiction, déduire du défaut supposé de préjudice et de profit, éléments non constitutifs du délit ou de la tentative, l'absence de preuve de l'intention frauduleuse ;
D'où il suit que l'arrêt attaqué, entaché d'insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties, mais quant aux intérêts civils seulement en l'absence de pourvoi du ministère public, l'arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 25 novembre 1958 ; pour être statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Rabat autrement composée ;
Président : M. Ae. -Rapporteur : M. Larrouy.- Avocat général : M. Ab. -Avocats : MM. Luigi, Cagnoli.
Observations
A)En ce sens qu'il n'est pas nécessaire, en matière d'escroquerie, que les valeurs escroqueries aient tourné au profit du coupable, v. Crim. 12 avr. 1844, B.C. 138 ; 9 avr.1858, B.C. 144 ; 26 déc. 1863, B.C. 313 ; 28 mai 1887, D.P. 1887. 1. 353 ; 23 avr. 1896, S. 1897. 1.59 ; 26 juillet. 1923, B.C. 102 ; 25 oct. 1934, B.C. 168 ; 17 mars 1944, B.C. 75 ; 29 déc. 1949, B.C. 363 ; 6 mars 1957, D. 1957. 468 et la note ; Rép. Crim., V° Escroquerie, par Ai Ah, n° 51 ; Nouv. Rép., V° Escroquerie, n° 34.
B)L'escroquerie est un délit d'actes (ou délit formel) et non pas un délit de résultat (ou délit matériel). Elle est indépendante du préjudice qui a pu être éprouvé par les personnes qui ont remis les fonds (Rép. Crim., eod. V°, n°s 48s.). Sur la notion de délit formel et de délit matériel, v. Rép. Crim., V° Infraction, par Ac Aa, n°s 26 et 27 ; Donnedieu de Vabres, n° 258 ; Bouzat, n°s 102 et 196 ; Garraud, I, n°s 110 et 236.
C)L'appréciation faite par les juges du fond de l'intention frauduleuse tombe sous la censure de la Cour suprême lorsqu'elle est en contradiction avec les faits qu'ils constatent (Rép. Crim., eod v°, n°s 35 s.).
_____________