Rejet du pourvoi formé par Al Aa et An contre un jugement confirmatif rendu le 26 mars 1956 par le tribunal régional de Tanger qui a condamné Al Aa à 20000 francs d'amende pour blessures involontaires, à 990 francs d'amende pour dépassement défectueux et à payer diverses indemnités aux parties civiles, Ab Af, Ah Ac, la société « Shell » et la compagnie d'assurances « La Zurich », et a déclaré An civilement responsable de Al Aa.
11 février 1960
Dossier n°3140
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris d'une dénaturation d'actes de procédure, en ce que, contrairement aux énonciations d'un constat de police, le tribunal a déclaré que l'usure des pneus du camion citerne de la société Shell n'était pas établie ;
Attendu que la constatation matérielle des faits objets de la poursuite rentre dans le pouvoir souverain des juges du fond et qu'en conséquence les faits ainsi constatés ne peuvent être discutés ni remis en question devant la juridiction de cassation, sous prétexte de dénaturation et à l'aide d'éléments pris en dehors de la décision attaquée et empruntés à l'information ;
D'où il suit que ce moyen est irrecevable ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION, pris en sa première branche :
Attendu que les demandeurs reprochent au jugement attaqué d'avoir laissé sans réponse le moyen qu'ils avaient soulevé concernant l'applicabilité des règles du dépassement aux faits imputés au prévenu ;
Attendu que les tribunaux ne sont tenus de répondre aux moyens des parties que si ceux-ci sont formulés dans des conclusions dont il est établi qu'ils ont été régulièrement saisis avant la mise en délibéré ; que ne présente pas ce caractère une pièce intitulée « Note de plaidoirie figurant au dossier, qui n'a pas été visée par le président de la juridiction, et dont le jugement n'indique pas le dépôt ;
Attendu en outre que, si les observations orales de la défense relative au moyen invoqué ont été consignées au plumitif d'audience, cette circonstance en l'absence de toute demande de donner acte, n'est pas de nature à leur attribuer le caractère de conclusions auxquelles le tribunal était tenu de répondre :
D'où il suit que le grief n'est pas fondé ;
SUR LA SECONDE BRANCHE DU MOYEN prise de la violation de l'article 1er de laloi du 3 mars 1951, en ce que Al Aa a été condamné pour dépassement défectueux alors que le véhicule dépassé étant en stationnement, les règles du dépassement ne pouvaient recevoir application ;
Attendu que les faits constitutifs de l'infractions à la police de la circulation reprochés à Al Aa sont ainsi constatés dans le jugement de première instance confirmé en appel : « Attendu que le camion T8147 conduit par le prévenu circulait sur la route de Rabat en direction de Tanger lorsqu'au Km 5,600 Al Aa aperçu une fourgonnette stationnée sur le côté droit de la chaussée dans son sens de marche » ; « Attendu qu'au même instant survenait en sens inverse le camion citerne piloté par Ab Af » ; « Attendu qu'au lieu de se ranger sur la droite derrière la fourgonnette arrêtée pour laisser le camion citerne prioritaire, Diaz braqua sur la gauche » ;
Attendu que ces énonciations caractérisent les éléments de la contravention de dépassement défectueux ; qu'en effet l'article 1er, dernier alinéa, de la loi du 3 mars 1951 relative à la police de la circulation à Tanger impose au conducteur qui désire effectuer un dépassement l'obligation de s'assurer avant de prendre la gauche qu'il peut le faire sans
risque de collision avec un usager arrivant en sens contraire (1 ) et que cette disposition vise tous les véhicules à dépasser qu'ils soient en marche ou en stationnement ;
D'où il suit que la décision attaquée, ayant fait une exacte application de la disposition visée au moyen, celui-ci ne saurait être accueilli ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION , pris de la violation des articles 5, 9,13, 14, et 16 du Code de procédure criminelle, en ce que la demande d'indemnisation de la compagnie « La Zurich » et certains chefs de celle de la société Shell ont été accueillis par la juridiction répressive alors que le préjudice dont il était demandé réparation n'a pas été directement causé par les infractions poursuivies ;
Attendu que la société Shell demandait tout d'abord à être indemnisée du préjudice consécutif aux dégâts causés à son camion ; que ce dommage résultant directement de la contravention à la police de la circulation commise par le prévenu, c'est à bon droit que l'action en réparation a été exercée devant la juridiction répressive saisie de cette infraction ;
Attendu que la société Shell sollicitait en outre le remboursement de la partie des salaires qu'elle avait dû verser au titre de la législation des accidents du travail à ses deux ouvriers blessés au cours de l'accident ; que la compagnie « La Zurich », assureur de la société Shell pour les accidents du travail demandait pour sa part, en même temps que le remboursement des compléments de salaire versés à ces ouvriers, celui des frais médicaux et pharmaceutiques qu'elle avait dû régler ; que pour obtenir les remboursements sollicités ces deux sociétés s'étaient, à l'audience du tribunal du sadad de Tanger du 19 avril 1958, ainsi que les victimes de l'accident, constituées parties civiles sur les poursuites intentées par le ministère public contre Al Aa du chef de blessures involontaires ;
Attendu qu'a cette date du 19 avril 1958 la légalisation sur les accidents du travail édictée par le dahir du 25 juin 1927 se trouvait applicable à la province de Tanger à la suite de la publication du dahir du 24 septembre 1957;
Attendu que l'article 7 du dahir précité du 25 juin 1927 relatif aux actions des victimes, employeurs et compagnies d'assurances, contre le tiers responsable d'un accident du travail dispose dans son paragraphe o, que chaque partie doit appeler l'autre en déclaration de jugement commun ; que, par suite, les demandes de remboursement formées par l'employeur et sa compagnie d'assurances peuvent être portées devant la juridiction répressive lorsque celle-ci se trouve saisie de l'action civile de la victime ; que cette disposition, qui ne modifie pas les droits et obligations des parties résultant de la législation antérieure, constitue une règle de procédure immédiatement applicable ;
Attendu en conséquence, que réserve faite d'un motif de droit erroné et auquel il y a lieu de substituer les considérations qui précèdent, le tribunal régional de Tanger a pu, sans violer les dispositions visées au moyen, confirmer la décision de première instance accordant à la
(1 ) Disposition analogue dans l'article 8, alinéa3, I°, de l'arrêté viziriel du 8 joumada I 1372 (24 janvier 1953
).
société Shell et à la compagnie « La Zurich » les remboursements qu'elles sollicitaient dans l'instance poursuivie à la requête du ministère public et sur les actions civiles exercées par les victimes ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi formé par Ae Al Aa et An.
Président : M. Ad. -Rapporteur : M. Am. -Avocat général : M. Aj. -Avocats : MM. Estryn, Duplatre et Guiraud.
Observations
I-Sur le premier point : Les juges du fond sont souverains pour constater les faits et la Cour suprême, qui n'est pas un troisième degré de juridiction, ne peut les connaître que par les décisions attaquées (Faye, n°148 ;Rép.pr. Civ., V° Cassation, par Ae Ak, n°s 1542 s. ; Rép. Crim., V° Cassation, par Ai Ag, n°347 ) ; les moyens reposant sur des allégations formulées en dehors de la décision attaquée sont, en conséquence, irrecevables (Le Chec'h, fasc. IV, n°126 et les décisions citées ).
II-Sur le deuxième point : V. les notes, deuxième point, sous Cour supr.,Crim., arrêt n°195 du 5 févr. 1959 et troisième point, sous Cour supr.,Crim., arrêt n°542 du 4 févr. 1960.
III-Sur le troisième point : En ce sens, v. Crim. 23 nov. 1944, B.C. 186.
IV-Sur le quatrième point : Le dahir du 28 safar 1377 (24 sept. 1957 ), complété par le
dahir du 6 safar 1378 (22 août 1958 ) a étendu à la province de Tanger les dispositions du dahir du 25 hija 1345 (25 juin 1927 ) relatif à la réparation des accidents du travail et du dahir du 11 hija 1362 (9 déc. 1943 ) accordant des majorations et des allocations aux victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à leurs ayants droit.
La chambre criminelle fait application de l'art. 7, n et o, du dahir du 25 juin 1927 modifié par le dahir du 24 hija 1374 (13 août 1955 ) aux termes duquel, « en sus des rentes, le tiers reconnu responsable pourra être condamné à payer ou à rembourser à la victime ou à ses ayants droit, à l'employeur ou à l'assureur, en tout ou partie et dans les conditions ci-dessus indiquées : a ) les autres indemnités et frais prévus aux articles 3 et 5 ci-dessus, le paiement ou le remboursement de ces indemnités et frais pouvant être effectuée d'après des bases supérieures à celles prévues par le dahir, sans pouvoir excéder le montant réel de la rémunération ou le montant réel des frais ; b ) les frais résultant de dommages matériels. - Cette action contre le tiers responsable pourra même être exercée par l'employeur ou par son assureur pour leur permettre de faire valoir leurs droits propres. Quand l'action est exercée soit par la victime ou ses ayants droit, soit par l'employeur et, le cas échéant, par son assureur, la partie intéressée doit appeler l'autre partie en déclaration de jugement commun. Si, par suite d'une omission, l'une de ces parties n'a pu être appelée en déclaration de jugement commun, et si chaque partie engage une action, il sera procédé à la jonction des deux instances devant le tribunal saisi par la victime ou ses ayants droit ».