Rejet du pourvoi formé par l'Association du Domaine de la Darhoua contre un jugement confirmatif, rendu le 29 janvier 1959 par le tribunal de première instance de Ap qui l'a déclarée civilement responsable des condamnations prononcées par khalifa ben Ar Ab Ao au profit de diverses parties civiles, et a mis hors de cause la compagnie d'assurances « l'Urbaine et la Seine » en ce qui concerne les actions civiles de quatre autres parties civiles dont, notamment, Ar Ab Ai ben An.n.
18 février 1960
Dossier n°2662
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION pris de la violation de la loi et notamment du dahir du 3 joumada I 1372 (19 janvier 1953 ) en son article 18, modifié par le dahir du 7 kaada 1373 (8 juillet 1954 ) en ce que le jugement attaqué, confirmant la décision du premier juge, a tenu la demanderesse pour civilement responsable des dommages causés par son camion, conduit par Am Ab Ar Ab Ao, au cours de la collision du 12 mai 1956, alors que ledit khalifa ben Ariha n'était pas en fonction, qu'il était en congé, faisant du transport de passagers à titre onéreux, et suivant la direction opposée à celle qu'il aurait dû prendre pour rentrer chez son employeur;
Attendu que si les commettants sont responsables des dommages causés par leurs préposés dans l'exercice normal et régulier des fonctions auxquelles ils les emploient, cette
responsabilité s'étend aux dommages commis par ces préposés à l'occasion de leurs fonctions en raison des facilités qu'elles leur procuraient ;
Attendu que pour déclarer la demanderesse civilement responsable de Am Ab Ar Ab Ao, son préposé, le jugement du tribunal de paix et le jugement confirmatif attaqué, qui en a adopté les motifs, énoncent notamment que, le 12 mai 1956, jour de l'accident, le gérant de l'exploitation du domaine de la Darhoua avait envoyé Am Ab Ar Ab Ao à Fquih-Ben-Salah pour y déposer des caisses vides, et lui avait donné l'autorisation de ne rentrer que le soir, à l'occasion de la fête de l'Aïde Seghir ; que, profitant de cette autorisation l'inculpé avait effectué une promenade non prévue, et transporté des passagers à titre onéreux ce qui lui était interdit par son employeur ; que, les délits ont été commis par l'inculpé à l'occasion de ses fonctions, celles-ci lui ayant donné l'occasion de commettre les actes fautifs; que le préposé, qui avait reçu une mission et une autorisation, était resté sous un lien de préposition avec son employeur ; qu'il existe entre l'acte dommageable et les fonctions du préposé un lien de causalité et de connexité ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, les juges du fond ont pu, sans violer les textes visés au moyen admettre que l'exercice de ces fonctions avait fourni à Am Ab Ar Ab Ao l'occasion et les moyens d'accomplir les actes dommageables, et qu'ainsi la responsabilité de son commettant se trouvait engagée ;
Qu'il suit de là que le moyen ne saurait être accueilli ;
SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATION pris d'une prétendue dénaturation des faits, d'une contradiction de motifs, équivalente à un défaut de motifs et manque de base légale, en ce que d'une part, le tribunal, après avoir constaté que le gérant de l'exploitation propriétaire du véhicule avait autorisé le chauffeur Am Ab Ar Ab Ao, à utiliser le véhicule en dehors des heures de service, et en lui laissant une grande liberté, n'en a pas
déduit qu'il s'agissait d'un prêt,-et en ce que d'autre part, le tribunal n'a pu ensuite, sans se contredire, prétendre, comme il l'a fait, que le prévenu était en service, qu'il accomplissait ses fonctions et que l'accident était survenu à l'occasion de ses fonctions ;
Mais attendu qu'en mentionnant que le camion avait été remis à Am Ab Ar Ab Ao pour effectuer un transport de caisses vides concernant l'exploitation du domaine, le tribunal de paix, dont le jugement confirmatif attaqué s'est approprié les motifs, a écarté l'hypothèse alléguée d'un prêt du véhicule, et a, par ses constatations, légalement justifié sa décision retenant l'existence d'une faute commise par un préposé à l'occasion de ses fonctions, et en raison des facilités qu'elles lui avaient procurées ;
Attendu que les énonciations du jugement attaqué, relatives d'une part à l'existence d'un délit commis par le préposé dans l'accomplissement de ses fonctions, d'autre part à l'autorisation qui lui avait été donnée d'utiliser le véhicule en dehors des heures du service, ne sauraient constituer une contradiction entre motifs nécessaires au soutien d'un dispositif déjà justifié par la motivation de la décision confirmée du premier juge ; qu'en effet les juges d'appel se sont bornés à préciser surabondamment leur pensée, en expliquant que Am Ab Ar Ab Ao devait même être considéré comme ayant continué à agir dans l'exercice
de ses fonctions, précisément en raison de l'autorisation d'utilisation du véhicule qui lui avait été donnée ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION pris d'une dénaturation des faits, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que les juges d'appel, confirmant et adoptant les motifs du premier juge, ont dénaturé les faits, en retenant qu'il résultait de tous les éléments du dossier que les passagers étaient transportés à titre onéreux, et en déduisant que la compagnie d'assurances « L'Urbaine et la Seine » devait être mise hors de cause en ce qui concerne la demande formulée par Ar Ab Ai, alors que, d'une part, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que ce dernier ait été transporté à titre onéreux, et que, d'autre part, il était transporté, non pas dans le véhicule du prévenu, mais dans celui d'un tiers Ak Ab At Ab Au ;
Attendu que n'ayant pas été soumis aux juges du fond, ce moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, est irrecevable devant la Cour suprême ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Ac. -Rapporteur : M. As. -Avocat général : M. Ay. -Avocats : MM. Foucherot et Af, Cohen, Cagnoli, Walch.
Observations
I. - Sur le premier point : L'art. 85, al. 3, du dahir du 12 août 1913 formant Code des obligations et contrats, modifié par le dahir du 19 juill. 1937 prévoit que les maîtres et les commettants sont responsables du «dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». L'expression est la même que celle de l'al. 5 de l'art. 1384 C. Civ. Français.
L'art. 18, al. 1er, du dahir du 3 joumada I 1372 (19 janv. 1953 ), sur la conservation de la voie publique et la police de la circulation et du roulage, prescrit également que «tout propriétaire de véhicule ou d'animaux est responsable des amendes, dommages-intérêts et frais auxquels son préposé peut être condamné, en vertu des articles (de ce dahir ) ou des lois pénales, pour infraction commise dans les fonctions auxquelles il l'a employé ».
Pour que la responsabilité du commettant soit engagée, il faut que le préposé ait commis une faute et qu'il ait agi dans l'exercice de ces fonctions.
Mais si le commettant est responsable du dommage causé par le préposé dans l'exercice normal et régulier des fonctions auxquelles il était employé, l'est-il encore de celui causé par l'abus desdites fonctions ?
Pour la Chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 14 juin 1957, D. 1958. 53 et la note de M. Aq Aj, J.C.P. 1957, II. 10188 et la note de M. Aq Ae, Gaz. Pal. 1957. 2. 86 ) « si le commettant peut, en dehors du dommage causé par le préposé dans l'exercice de ces fonctions, être également déclaré responsable des conséquences dommageables de l'activité de son employé, lorsque celle-ci s'exerce vers le but qu'il lui a fixé ou, plus exceptionnellement et suivant les circonstances, lorsque le préposé a utilisé, à des fins étrangères, les moyens mis par le commettant à sa disposition, c'est toutefois à la condition que le fait dommageable se rattache, par un lien de causalité ou de connexité, à l'exercice des fonctions et que le préposé puisse être réputé avoir agi pour le compte du commettant.Il n'en est pas ainsi lorsque l'acte dommageable a trouvé sa source dans un abus de fonctions de la part du préposé, ledit abus supposant nécessairement que cet acte est étranger à la fonction ». (V. également, Civ 23 mars 1953. 337, J.C.P. 1953. Il. 7661 et la note de M. Ad Ah, Gaz. Pal. 1953. I. 389 ; 1er juill. 1954. 628, J.C.P. 1954. Il 8352, Gaz. Pal. 1954. 2. 232 ; 12 déc. 1957.Gaz. Pal. 1958. I. 120 ).
La chambre criminelle de la même Cour (Crim. 5 févr. 1957, Gaz Pal. 1957. I.455 ) avait décidé au contraire que la responsabilité du commettant était engagée à l'occasion des fonctions de son préposé, même si le fait dommageable a été commis par abus de celles-ci (V. égalementCrim. 9 nov. 1955, Gaz. Pal 1955. 2. 402 ; 20 mars 1958, Gaz. Pal. 1958. I. 438 ). Elle avait considéré comme ayant un lien suffisant avec la fonction pour entraîner la responsabilité du commettant le viol et le meurtre commis sur une fillette par un placier de cinéma, la victime ayant été amenée à lui demander le chemin des lavabos et le placier ayant eu la possibilité de l'accompagner au sous-sol où ils étaient situés (Crim. 5 nov. 1953, D.
1953. 648, J.C.P. 1953. Il 7818 bis, Gaz. Pal 1953. 2. 383 sur le pourvoi contre Cour d'ass. De la Moselle, 3 févr. 1953, J.C.P. 1953. II. 7517 et la note de M. Ag Aw ).
L'arrêt des Chambres réunies de la Cour de cassation du 9 mars 1960 (D. 1960. 329 et la note de M. Aq Aj, J.C.P. 1960. II. 11559 et la note de M. Aq Ae,Gaz. Pal. 1960. I. 313, Rev. trim. dr. Civ. 1960, p. 470, n°16 ) a mi-fin à ce conflit en adoptant la thèse de la Chambre civile : « Attendu que les juges du fond observent que la conduite de la camionnette, ayant produit le dommage, ne rentrait pas dans les attributions d'Abos, lequel, non titulaire d'un permis de conduire, avait utilisé ledit véhicule à des fins personnelles, au mépris des ordres et à l'insu de son commettant, la responsabilité de celui-ci ne pouvant résulter du seul fait qu'Abos avait accès, en raison de son emploi, au hangar où se trouvait l'instrument du dommage ; que de ces constations et énonciations, qui impliquent qu'Abos avait accompli un acte indépendant du rapport de prépositions qui l'unissait à son employeur, la Cour d'appel a pu déduire qu'Huret n'était pas civilement responsable des agissements de son préposé ; qu'elle a ainsi, sans encourir les reproches du pourvoi, donné une base légale à sa décision » ;
Sur cette question. Mazeaud, n°s 98 s. ; Savatier, n°s 318 s. ; Al, n°1055 ; Paul Esmien, Notion d'exercice des fonctions, Rev. crit. 1924. 199 ; Jean Brunet, La responsabilité du commettant pour les fautes intentionnelles et volontaires du préposé, Gaz. pal. 1955. 2, doctr. P. 41 ; Rép. Civ., V° Responsabilité du fait d'autrui, par Av Ax, n° s
206 s. ; Nouv. Rép., V° Responsabilité civile, n°s 96 s. ; Aa Al, La responsabilité civile du commettant à raison des dommages causés par le préposé en dehors de ses fonctions, note sous trib. Corr. Seine, 10 juill. 1952, D. 1952. 659.
II-Sur le deuxième point : Sur la notion de «moyen nouveau », v. la note sous Cour supr., Crim., Arrêt n°308 du 28 mai 1959 et la note, premier point, sous Cour supr.,Crim., Arrêt n°461 du 3 déc. 1959.
______