Rejet du pourvoi formé par la compagnie d'assurances « L'Aigle » contre un jugement rendu le 15 juillet 1958 par le tribunal de première instance de Rabat qui s'est déclaré incompétent pour statuer sur sa constitution de partie civile par suite de la relaxe du prévenu Mohamed ben Mohfoud.
10 mars 1960
Dossier n°1558
La Cour,
SUR L'EXCEPTION, soulevée d'office par le ministère public, prise du défaut d'intérêt de la demanderesse au pourvoi, et de la violation des articles 1er et 3 du Code d'instruction criminelle rendu applicable au Maroc par le dahir du 12 août 1913 ;
Attendu que l'exercice de l'action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, ne peut être exercé que dans les seuls cas prévus par la loi : qu'il ressort des dispositions des articles 1er et 3 du Code précité, reprises par l'article 7 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure pénale, que l'action civile n'est recevable devant la juridiction répressive qu'autant que la partie qui l'exerce a été personnellement et directement lésée par l'infraction pénale, base de la poursuite ;
Attendu que le préjudice subi en l'espèce par la compagnie « L'Aigle », qui poursuivait contre le prévenu le recouvrement des sommes qu'en vertu d'une police d'assurances « tous risques » elle avait versées à son assuré en indemnisation des dégâts subis par le véhicule de celui-ci, résulte directement non de l'infraction pénale mais du contrat d'assurances qu'elle a souscrit avec le propriétaire du véhicule accidenté à la place duquel elle prétend agir comme subrogée ; qu'ainsi l'action civile de la compagnie « L'Aigle » n'ayant pas pris directement sa source dans l'infraction poursuivie, n'était pas recevable devant les tribunaux répressifs;
Attendu dès lors, que si les juges répressifs se sont à tort déclarés incompétents sur l'action civile de la compagnie « L'Aigle » en raison de la relaxe du prévenu, au lieu de constater, comme ils l'auraient dû, l'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, la compagnie « L'Aigle » ne saurait, faute d'intérêt, critiquer leur décision devant la Cour suprême;
PAR CES MOTIFS
ET sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens proposés par la demanderesse,
Rejette le pourvoi.
Président : M Ac. -Rapporteur : M. B Ab. -Procureur général : M. Aj. - Avocats : MM. Pons- Fraissinet, Bayssière.
Observations
L'action civile n'est recevable devant la juridiction répressive qu'autant que la partie qui l'exerce a subi un préjudice personnel et actuel, résultant directement de l'infraction elle- même par une relation de cause à effet (Le Poittevin, art 1er, nos 383 s. ;Rép. Crim., V° Action civile, par Ai Aa, n°26 ; Nouv. Rép., V° Action civile, n°5 ; Donnedieu de Vabres, n°1122 ; Bouzat, n°885 ;Crim. 14 déc. 1928, D.P. 1930. 1. 123, J.C.P. 1930. 551 et la note de M.P. Garraud ; 2 mai 1956, B.C. 332, D. 1957, somm. 4 ; 29 nov. 1956, B.C. 793 ; 7 mai 1957, B.C. 376 ; 16 oct. 1957, B.C. 645 ; 29 janvier 1958, B.C. 96 ; 5 févr. 1958, B.C. 119 ; 6 mai 1959, B.C. 244, 15 juill. 1959, B.C. 351).
En ce sens qu'une compagnie d'assurances ne peut réclamer réparation d'un préjudice subi
à la suite de l'accident dont a été victime l'assuré, ce préjudice ne trouvant pas son origine dans le délit, mais uniquement dans le contrat d'assurances, v. Crim. 2 mai 1956, précité (Rapp. Crim., 15 nov. 1956, B.C. 747 et Besançon, 14 mai 1959, D. 1959. 515 et la note de M. Ad Ag ; Af. 10 oct. 1957,D. 1958. 386 et la note de M. Ae Ah ; Comp. Paris, 16 mai 1956, Gaz. Pal. 1956. 2. 171 ).
De même lorsqu'à la suite d'un accident survenu à son assuré, une caisse de retraites est obligée de verser une pension à la veuve de celui-ci, le préjudice qu'elle subit ne résulte pas directement du délit d'homicide par imprudence, mais des effets du contrat qu'elle a passé avec la victime (Crim. 21 nov. 1931, B.C. 270 ; 4 mai 1933, B.C. 97 ; 11 févr. 1938,B.C 42).
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