158-59/60 13avril 1960 4151
Banque Mas c/ Ministre de l'Instruction publique.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d appel de Rabat du 16 mai 1959.
La Cour,
SUR LES DEUX MOYENS REUNIS:
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et de l'arrêt confirmatif attaqué (Rabat 16
mai 1959) que la banque Mas est propriétaire à Meknès de deux terrains urbains qui ont été frappés d'une servitude de non aedificandi par arrêté viziriel prononçant le 1er juin 1955 le classement du site de la médina, proposé par le directeur de l'instruction publique ; que la banque Mas a assigné devant le tribunal de première instance de Meknès le directeur de l'instruction publique, l'agent judiciaire de l'Etat marocain et l'Etat chérifien en réparation du préjudice que lui causait cette servitude, que sa demande a été rejetée par jugement rendu le 5 février 1958 ;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt confirmatif déféré d'avoir, en déduisant l'absence pour la banque Mas de préjudice actuel et certain de la constatation que les terrains étaient nus et inutilisés au moment de l'établissement de la servitude non aedificandi qui n'en avait pas modifié la destination, dénaturé les faits et par suite faussement appliqué les dispositions de l'article 27 du dahir du 21 juillet 1945 relatif au droit à indemnisation, alors que la banque Mas a subi un préjudice certain, actuel et direct au moment même de l'établissement de la servitude, ne pouvant plus vendre ces terrains qui avaient de ce fait perdu toute valeur ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'il est constant et non contesté que l'établissement de la servitude non aedificandi n'a modifié ni la destination, ni l'état antérieur des terrains nus et inutilisés de la banque Mas ;
Qu'aux termes de l'article 27 du dahir du 11 chaâbane 1364 (21 juillet 1945), invoqué par la demanderesse au pourvoi, «l'établissement de servitudes qui ne changent pas la destination, l'usage et l'état des lieux au moment du classement n'ouvre aucune droit à indemnité ; il ne peut être accordé d'indemnisation que pour dommage direct. matériel et actuel résultant de l'établissement des servitudes» ;
D'où il suit qu'en décidant, en l'état de ces constatations, que la privation des bénéfices que cette dernière escomptait de la revente ou d'une utilisation future de ses terrains, ne peut être considérée comme un dommage certain et actuel, qui peut seul donner lieu à indemnité, la Cour d'appel de Rabat dont l'arrêt n'est pas entaché de dénaturation, a, sans violer les textes visés aux moyens, donné une base légale à sa décision, et que le pourvoi n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M Mazoyer-Rapporteur: M A général: M Bocquet-Avocats: MM Couesnon et Ailhaud.
Observations
Il résulte des termes de l'art 27 Dh 21 juil 1945 que l'établissement d'une servitude n'ouvre droit à indemnité qu'à la double condition: que la servitude change la destination, l'usage et l'état des lieux et que le demandeur justifie d'un dommage direct, matériel et actuel. La première de ces conditions n'était pas remplie en l'espèce puisque l'arrêt attaqué constatait que si la servitude changeait la destination des lieux elle n'en modifiait ni l'usage ni l'état actuels.l'inexistence de la seconde était plus discutable ; la demanderesse avait en effet soutenu avec quelque raison que, destinés à la construction, ses terrains urbains ne pouvaient en raison de leur faible superficie être utilisés autrement, qu'ainsi la servitude non aedificandi leur enlevait toute valeur et que le préjudice en résultant était bien direct, matériel et actuel.