159-59/60 19 avril 1960 2580
Si Ad Ag c/ «Ab Af» et autres
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Tanger du 10 janvier l959.
La Cour,
SUR L'EXCEPTION D'INCOMPETENCE TIREE DE L'ORDRE PUBLIC ET SOULEVEE D'OFFICE
Vu les articles 54, 55, 56, 57, 60 et 63 du dahir du 15 joumada II 1343 (15 janvier 1925) formant Code sur l'immatriculation des immeubles à Tanger ;
Vu l'article 83 du même dahir ;
Attendu qu'aux termes des premiers de ces textes, toutes inscriptions de faits et conventions entre vifs, à titre gratuit ou onéreux, tous droits réels relatifs à un immeuble immatriculé doivent faire l'objet d'une réquisition d'inscription déposée entre les mains du conservateur qui vérifie sous sa responsabilité, la régularité tant en la forme qu'au fond des pièces produites à l'appui de la réquisition, et qu'aux termes du second, les parties ne peuvent avoir recours aux tribunaux de l'ordre judiciaire qu'en cas de refus préalable d'inscription par le conservateur ; que l'ordre public est intéresse au respect des règles relatives à la compétence ratione materiae ;
Or attendu qu'il résulte des énonciation de l'arrêt attaqué que l'objet de l'appel consistait à faire statuer au fond sur une demande directe aux fins d'inscription à la conservation foncière d'un droit réel d'usage sur l'immeuble dénommé «Ac Ae» en vertu de la déclaration de Melehi en date du 18 août 1953» ;
Attendu que la lettre du 9 mai 1955 du conservateur de la propriété foncière adressée a l'avocat du demandeur et invoquée par Melehi donnait de simples explications en vue de la régularisation des actes présentés qu'elle ne pouvait, des lors, être prise comme constituant une décision de refus qui, de toute manière aurait été postérieure à la date de la saisine du tribunal ;
Attendu qu'en déboutant Melehi de sa demande au motif que la nature du droit réel invoqué par lui n'était pas établie. la Cour d'appel a admis sa compétence alors que la demande dont elle était saisie était de la compétence exclusive du conservateur de la propriété foncière ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé les textes susvisés,
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président: M Mazoyer-Rapporteur: M Morère-Avocat général: M AC B Aa, Monléon, Pécune.
Observations
L'art. 83 du C. foncier de l'ex-zone de Tanger visé par l'arrêt rapporté est identique à l'art
96 Dh. 12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles dans l'ex-zone sud. La solution adoptée a donc une valeur générale ; deux arrêts fondés sur cet art. 96 ont d'ailleurs été rendus dans le même sens sur pourvois formés contre des décisions de la Cour d'appel de Rabat (arrêts: 220- 59/60 du 21 juin 1960, Rev mar. dr., 1960, p.377 ; 137-61/62 du 20 mars 1962, infra, n°178).
Les deux articles susvisés sont ainsi conçus: «Dans le cas où par suite de l'irrégularité de la demande ou de l'insuffisance des titres, le conservateur refuse l'immatriculation de l'immeuble, ou l'inscription ou la radiation d'un droit réel, sa décision est susceptible de recours devant le tribunal de première instance «.Les juridictions marocaines avaient interprété ce texte en ce sens que les parties pouvaient saisir directement le tribunal d'une demande d'inscription ou de radiation de droit réel immobilier, sans être tenues de s'adresser préalablement au conservateur de la propriété foncière (v Caillé, p. 135)-L'arrêt rapporté et l'arrêt précité du 21juin 1960 tranchent la question en sens contraire avec d'autant plus de netteté que la cassation est prononcée sur un moyen soulevé d'office ; les juridictions inférieures se sont inclinées devant cette jurisprudence (Trib. 1re inst. Casablanca, 15 nov 1960, Rev mar dr, 1961, p 326 ; Rabat, 15 mai 1961, Rev dr., 1962, p 707).
Mais la règle ainsi posée ne concerne, semble-t-il, que les cas d'irrégularité de la demande
ou d'insuffisance de titres, prévus à l'art 96 susvisé, c'est-à-dire des cas où il n'existe apparemment pas de difficulté de fond ; au contraire le tribunal peut être saisi directement lorsqu'il s'agit d'aboutir à l'inscription d'un droit non encore reconnu ou à la radiation d'un droit encore revendiqué par son titulaire.
II-Sur les moyens d'ordre public susceptibles d'être soulevés d'office par le juge de cassation, v Besson, n 1126 et s.