Rejet du pourvoi formé par I.H.I. contre un arrêt rendu le 12 mai 1959 par la Cour d'appel de Rabat, qui a déclaré son action civile irrecevable à l'égard de Ionca et mal fondée à l'égard de Mas dont elle a prononcé l'acquittement du chef de diffamation.
19 mai 1960
Dossier n°3800
La Cour,
Attendu qu'en l'absence du pourvoi du ministère public la décision d'acquittement est devenue irrévocable et l'action publique se trouve éteinte ; que le pourvoi de I.H.I., partie civile, concerne les seuls intérêts civils ;
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, pris de la « violation ou du moins fausse application du dahir du 27 avril 1914 relatif à l'organisation de la presse et notamment de son article 33, et éventuellement du dahir du 15 novembre 1958 formant Code de presse, qui a abrogé et remplacé le précédent postérieurement aux faits incriminés et au début des poursuites, et notamment de son article 44 pour insuffisance de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué, pour prononcer l'acquittement de M. Ak Ai, directeur du journal « Le A Ah », où a paru l'écho incriminé, a estimé que le journaliste auteur de cet écho, pas plus que M. Ak Ai qui l'a publié, n'étaient sortis de leur mission d'information et n'avaient eu l'intention de nuire à l'exposant : alors d'une part que, les imputations diffamatoires étant présumées de droit faites avec mention de nuire, le désir de renseigner le public et l'absence d'animosité personnelle ne sont pas en eux-mêmes des faits justificatifs suffisants pour détruire cette intention ; et que, d'autre part, l'auteur de l'article incriminé contenant des faits qui n'étaient jusque là entourés d'aucune publicité et ne pouvaient avoir qu'un intérêt limité pour le lecteur du journal, a donné aux faits qu'il relatait un caractère de certitude qu'ils ne possédaient point, et, au surplus, a ajouté à la note de police dans laquelle il prétend avoir puisé son information, des précisions erronées et des commentaires désobligeants, susceptibles d'induire le public en erreur sur la véritable situation et la véritable moralité de l'exposant » ;
Attendu que, conformément aux renseignements contenus dans une note de commissariat
de la sûreté urbaine (cote 20, liasse I du dossier du tribunal ) relatant que I.H.I., à la suite d'une plainte de son ex-employeur entrepreneur de maçonnerie, « a été présenté à M. Le procureur du Roi par les inspecteurs de la première brigade sous l'inculpation de vol des registres comptables et aurait agi dans le but de dissimuler des irrégularités commises pendant
l'absence de son patron », le journal « Le A Ah - Le Ac Ah » a publié dans sa rubrique de faits divers « le jour et la nuit » un écho non signé à prétention humoristique intitulé « Il voulait apprendre la comptabilité » ;
Attendu qu'Yves Mas, directeur de ce journal, poursuivi du chef de diffamation sur constitution de partie civile de I.H.I. a été relaxé par la Cour d'appel, aux motifs que l'écho prétendument diffamatoire reproduisait des mentions figurant sur un registre de police qu'il est d'usage de mettre à la disposition des journalistes ; que bien que le mot « arrestation » ait été inexactement employé, la présomption d'intention de nuire était détruite puisque « Le A Ah - Le Ac Ah » n'avait modifié ni l'esprit ni la teneur d'un renseignement de police matériellement exact, et qu'ainsi ce journal n'était pas sorti en la circonstance de son rôle d'informateur ;
Attendu que le terme « arrestation » n'a pas un sens juridique précis, qu'une présentation au parquet par des inspecteurs de police offre en apparence d'incontestables analogies avec une mise sous main de justice, et que la Cour d'appel a pris soin de préciser que le lecteur le moins averti n'ignore pas le caractère provisoire d'une information de police ; qu'il n'a d'autre part jamais été même allégué que l'article du « A Ah - Ac Ah » ait été inspiré par une animosité personnelle ;
Attendu dès lors, qu'en l'état des circonstances de la cause, la Cour d'appel a pu déclarer que l'intention délictuelle n'était pas établie ; qu'en effet, si les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec l'intention de nuire, cette présomption est détruite lorsque les juges du fond affirment le contraire en se fondant, comme en l'espèce, sur des faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi ;
Que, par suite, et si regrettable qu'ait été l'indication en toutes lettres dans l'article, du nom I.H.I. et le préjudice que ce dernier a pu en éprouver, c'est à bon droit que la Cour d'appel, ayant constaté l'absence d'intention délictuelle, a déclaré mal fondée l'action en réparation basée non sur le principe général de responsabilité découlant des articles 77 et 78 du dahir formant Code des obligations et contrats, mais sur l'existence d'un prétendu délit de diffamation ;
Qu'en conséquence, le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Aa. -Rapporteur : M. Af. -Avocat général : M. Ae. -Avocats : MM. Sabas, Bruno, Lambruschini.
Observations
Si « les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, cette présomption est détruite lorsque les juges du fond affirment le contraire en se fondant sur des
faits justificatifs suffisant pour faire admettre la bonne foi » (Crim. 28 janv. 1916, D.P. 1920. I. 95 ; 31 janv. 1930, B.C. 43 ; 28 déc. 1933, B.C. 251 ; 27 oct. 1938, D.P. 1939. I. 77 et la note de M. Ag Ab ; 7 févr. 1945,B.C. II, D. 1945. 254 ; 23 janv. 1947, B.C. 36 ; 28 oct. 1948, B.C. 248 ; 27 janv. 1949, B.C. 37 ; 2 févr. 1950, B.C. 38, D. 1950. 230 ; 28 avr. 1950, B.C. 132 ; Rép. Crim., V° Diffamation, par Ad Aj, n°96 ; Comp. 17 févr. 1949, B.C. 67 ).
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