Cassation sur les pourvois formés par Ab Ae et Ad Ai contre un jugement correctionnel rendu le 28 décembre 1959 par le tribunal de première instance de Al qui a condamné Ab Ae, Ad Ai, Ah Aa et Af Aj, chacun à la peine de 15000 francs d'amende pour « coups réciproques » et sur l'action civile a déclaré exactement compensées les conséquences pécuniaires résultant des violences subies par chacune des parties civiles
23 juin 1960
Dossiers n°s 5068 - 5069
La Cour,
SUR LE MOYEN PRIS D'OFFICE de la violation des articles 348, paragraphe 2, 352 et 415 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que la juridiction d'appel, lorsqu'elle infirme une décision d'incompétence, se trouve en vertu de l'évocation qui lui est imposée par l'alinéa 2 de l'article 415 du Code de procédure pénale, tenue de remplir directement le rôle des premiers juges, et peut donc, même un l'absence d'appel du ministère public, prononcer légalement une condamnation pénale ; que néanmoins, tout jugement devant contenir les motifs propres à justifié la décision, un tel jugement infirmatif doit nécessairement être justifié par des motifs permettant à la Cour suprême de contrôler notamment la régularité de la compétence que les juges d'appel se sont attribuée ainsi que la légalité de l'évocation et celle des peines infligées ;
Attendu que le tribunal de paix s'était déclaré incompétent au motif que, selon l'expert médecin judiciairement commis, l'incapacité temporaire de Ab Ae, l'une des victimes, avait une durée de plus de vingt jours qui rendait l'auteur de l'infraction passible
d'une peine de plus de deux ans d'emprisonnement excédant la compétence dévolue par la loi
à cette juridiction ; que sur appel des prévenus, le tribunal de première instance de Al, passant sous silence le résultat de l'expertise médicale, a infirmé la décision d'incompétence du premier juge en énonçant simplement à propos de l'action civile que les coups sans particulière gravité échangés avaient, en dehors de quelques contusions, provoqué des « troubles subjectifs difficilement contrôlables », omettant ainsi de statuer sur la durée effective de l'incapacité temporaire de Ab Ae et justifier légalement la compétence déniée par le premier juge ; qu'évoquant implicitement, ce tribunal d'appel s'est borné à constater que la bagarre avait été générale et ne permettait pas de déterminer les responsabilités particulières, puis a prononcé, par application de l'article 320, paragraphe 2 du Code pénal, article à paragraphe unique réprimant les blessures involontaires, des condamnations pour « coups réciproques », en des termes ne révélant pas si les violences volontaires sanctionnées étaient celles prévues par l'article 309 par l'article 311 du Code pénal ;
D'où il suit que manquant de base légale sur ces divers points, le jugement attaqué doit être annulé ; qu'en application de l'article 585 du Code de procédure pénale, cette annulation atteint les condamnations tant pénales que civiles prononcées contre les deux demandeurs au pourvoi, et, en raison de la qualité de partie civile de Marie Ab Ae, les condamnations civiles prononcées par compensation contre Ah Aa et Af Aj ;
PAR CES MOTIFS
Et sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens produits à l'appui des pourvois,
Casse et annule, en ses dispositions pénales ayant statué à l'égard de Marie Ab Ae et de Ak Ad Ai seuls demandeurs au pourvoi, et en toutes ses dispositions civiles ayant statué à l'égard de toutes les parties en cause, le jugement rendu par le tribunal de première instance de Al le 28 décembre 1959 ;
et pour être à nouveau statué conformément à la loi dans la limite de la cassation prononcée, renvoie la cause et les parties devant le tribunal correctionnel de première instance de Rabat.
Président : M Ac. - Rapporteur : M. voelckel. - Avocat général :M. Ag. - Avocat : Me Mélia.a.
I..- sur le premier point :
a ) Sur l'évocation, v. la note, deuxième point, sous Cour supr, Crim, arrêt n°669 du 16
juin 1960.
b ) Aux termes de l'art.252 C ptoc. Pén, « sauf dérogations résultant de lois spéciales,
relèvent de la compétence des tribunaux de paix ou des tribunaux du sadad.2° ) des délits, dits délits de police, pour lesquels la loi prévoit soit une peine d'amende quel qu'en soit le taux, soit une peine d'emprisonnement d'un maximum inférieur ou égal à deux ans avec ou sans amende » (V. l'art.9 du dahir du 12 août 1913 relatif à l'organisation judiciaire ).
L'art.253 du même Code prescrit que. » tous autres délits, dits délits correctionnels, pour lesquels la loi prévoit une peine d'emprisonnement d'un maximum supérieur à deux ans avec ou sans amende, relèvent de la compétence des tribunaux de première instance ou des tribunaux régionaux dans la limite des attributions que les articles 258 et 259 leur fixent respectivement ».(v. l'art. 10,al 1er, dh.org.. jud)
c ) En matière de coups et blessures volontaires, la peine prévue par l'art.309, al 1er c.pén. emprisonnement de deux ans à cinq ans et amende de 40 dirhams à 4800 dirhams s'appliquent « s'il est résulté de ces sortes de violences une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours », au contraire, aux termes de l'al.1er de l'art.311 du même code ; « lorsque les blessures ou les coups, ou autres violences ou voies de faits, n'auront occasionné aucune maladie ou incapacité de travail personnel de l'espèce mentionnée en l'article 309, le coupable sera puni d'un emprisonnement de six jours à deux ans et d'une amende de 40 à 480 dirhams ou de ces deux peines seulement ».
Ainsi, lorsque la maladie ou incapacité de travail personnel a duré plus de vingt jours l'infraction est de la compétence du tribunal de première instance ou du tribunal régional.
Dans le cas contraire, elle est de la compétence du tribunal de paix ou du tribunal du sadad.
Le tribunal de paix s'était déclaré incompétent au motif que l'incapacité temporaire de l'une des victimes des coups avait une duré de plus de vingt jours et, sur appel, le tribunal de premiere instance avait, en infirmant la décision d'incompétence du première juge, omis de statuer sur la duré effective de l'incapacité de travail personnel de cette victime et de justifier légalement la compétence déniée par le juge du premier degré. La Cours suprême ne pouvait, dans ces conditions, exercer son contrôle sur la question de savoir si les violences volontaires sanctionnées étaient celles prévues par l'art.309 ou, au contraire, celles visées par l'art.311 C. pén La décision devait être cassé pour manque de base légale (sur le manque de base légale V la note sous Cour supr, Crim, arrêt n°201 du 12 févr.1959 ).
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