232-59/60 29 juin 1960 1979
Société «Bistaque et Compagnie» c/ Elbaz Elie.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 11juin 1958.
(Extrait)
La Cour, siégeant deux Chambres réunies ;
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SUR LE PREMIER ET LE DEUXIEME MOYENS REUNIS:
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué que la société «Rouquette et Compagnie», devenue la société «Bistaque et Compagnie», a introduit le 26 décembre 1956 contre Escallier et Elbaz une procédure d'injonction tendant à ce qu'il leur soit fait sommation d'avoir à lui payer avec les intérêts et les frais le montant d'un effet en forme de lettre de change à échéance du 30 juin 1954, tiré le 16 mars 1954 par Elbaz sur Escallier, accepté par celui-ci et revêtu par le tireur de la mention «Bon pour Aval» suivie de sa signature ; que cet effet, qui est joint au dossier, a été endossé d'abord en blanc par Elbaz puis par la société «Rouquette» à l'ordre de la banque chargée de l'encaisser.
Qu'Elbaz ayant formulé un contredit à l'ordonnance d'injonction intervenue le 7 décembre 1956, le tribunal de première instance de Casablanca, faisant droit à ses conclusions, a, par application des dispositions des articles 147 et 169 du Code de commerce, débouté la société «Rouquette» de sa demande en tant qu'elle était dirigée contre lui, au motif que, l'aval étant réputé avoir été donné pour le tireur lui-même, celui-ci, qui avait fourni la provision était fondé à opposer à la société la déchéance résultant de ce qu'elle n'avait pas présenté au paiement dans le délai de la loi l'effet litigieux lequel comportait la clause «sans frais» ;
Attendu que le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir violé l'article 147 du Code de commerce, d'une part en considérant que l'aval donné par Elbaz ne contenait pas l'indication de celui pour le compte de qui il était donné, alors que l'indication qu'il était donné pour le tiré s'y trouvait implicitement mentionnée du fait que le donneur d'aval était le tireur lui- même qui ne pouvait pas se constituer sa propre caution, d'autre part en estimant que la présomption édictée par l'article 147 est irréfragable, alors qu'il ne s'agit que d'une présomption simple dans les cas où elle est invoquée contre les tiers.
Mais attendu que l'article 147 du Code de commerce qui reproduit en son sixième alinéa les dispositions de l'article 31, alinéa 4, de la loi uniforme concernant la lettre de change et le billet à
ordre, adoptée par la convention de Genève du 4 juin 1930 à laquelle le Maroc a souscrit ainsi
qu'il appert du préambule du dahir du 19 janvier 1939, ne formule pas une règle de preuve, mais oblige à préciser, dans la mention d'aval, le nom du garanti et supplée à l'absence de cette précision pour écarter toute incertitude sur la portée des engagements cambiaires, sans qu'il soit permis aux intéressés d'y suppléer eux-mêmes de quelque manière que ce soit ; que la disposition finale du sixième alinéa limite en conséquence à l'égard de tous l'engadu donneur d'aval à la tireur ; que les termes absolus de l'article 147 interdisent d'y déroger, même si l'engagement demeure inopérant quand le donneur d'aval est le tireur lui-même ;
D'où il suit que loin de violer le texte susvisé la Cour d appel en a fait au contraire une exacte application ;
MAIS SUR LE TROISIEME MOYEN:
Vu l'article 347 du dahir des obligations et contrats ;
Attendu que la novation ne se présume pas ; qu'il faut que la volonté de l'opérer soit exprimée ou en tout cas certaine ;
Que la remise d'effets de commerce par l'acheteur au vendeur constitue un mode de paiement qui n'emporte pas, à lui seul, présomption que les parties ont éteint l'ancienne dette dont le créancier perdrait le droit de se prévaloir ;
Attendu que la société «Rouquette et Compagnie» avait déposé en appel, le 4 juin 1958, des conclusions subsidiaires tendant à ce qu'Elbaz soit condamné, en tant que débiteur du prix de marchandises qu'elle lui avait vendues, à lui payer le montant de l'effet litigieux qu'il lui avait remis en paiement à titre d'acompte ; qu'elle avait exposé, en produisant copie d'un relevé de compte qu'elle lui avait adressé le 20 janvier 1954, avoir ainsi reçu de lui un certain nombre d'effets tirés par lui sur ses propres débiteurs et dont elle n'avait porté le montant au crédit de son compte qu'après paiement, ce qui établissait, soutenait-elle en observant qu'il avait toujours admis ce mode de procéder, qu'il n'était pas «déchargé» par ma remise des effets et restait débiteur en vertu du contrat de vente antérieur.
Or, attendu que, pour déclarer que la société «Rouquette et Compagnie» n'est pas fondée à exercer contre Elbaz l'action de droit commun découlant du contrat de vente primitif, l'arrêt attaqué se borne à énoncer d'une part, que «dans sa lettre du 24 mars 1953, après avoir rappelé à Elbaz que son compte faisait apparaître un solde débiteur de 2183649 francs elle ajoutait «à valoir vous nous avez remis des traites pour un montant de 1033141 francs, et nous vous serions reconnaissants de bien vouloir, comme convenu, nous adresser au plus tôt des effets pour le solde débiteur», d'autre part que «par la remise de la lettre de change litigieuse, Elbaz s'est ainsi acquitté, comme convenu entre parties, du prix des marchandises achetées à l'appelante, à concurrence du montant de Cet effet».
Attendu qu'en s'abstenant d'énoncer en quoi la remise par Elbaz de la lettre de change litigieuse valait renonciation par le créancier qui ne parvenait pas, par cet effet de commerce, à obtenir paiement, à invoquer les droits résultant de vente, rappelés par la société «Rouquette» dans ses conclusions subsidiaires, la cour d'appel n'a pas donné une base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS
Casse.
Premier président: M Hamiani-Rapporteur: M Hauw-Procureur général: M CA B Aa, Vaugier.
Observations
Dans le même sens, arrêts: 233-59/60 du 29 juin 1960 72-61/62 du 17 janvier 1962 (infra, n°
168).
I. Aux termes de l'article 147, al 6, C com «l'aval doit indiquer pour le compte de qui il est donné, à défaut de cette indication il est réputé donné pour le compte du tireur». Cette disposition de la loi uniforme sur les lettres de change, adoptée notamment par le Maroc et par la France (convention de Genève du 30 juin 1930) a donné lieu à des controverses qui ont été closes en France par un arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation (8 mars 1960, J.C.P. 1960.II.11616, note Roblot) statuant dans le même sens que l'arrêt rapporté, quoique dans un cas d'espèce un peu différent.
L'aval est le cautionnement fourni par un tiers ou par un précèdent signataire de la traite qui se porte garant du paiement de celle-ci à l'échéance (Lescot et Robolot, les Effets de Commerce, n. 484). Il peut être donné notamment: pour cautionner l'engagement du tireur, lorsque par exemple celui-ci veut faire endosser l'effet par un tiers avant d'avoir obtenu l'acceptation du tiré, ou lorsqu'il a besoin de plusieurs signatures pour obtenir l'escompte d'un établissement de crédit ; pour cautionner l'engagement du tiré accepteur sur une lettre de change tirée à l'ordre du tireur (ibid. n 486). Il peut être donné par un tires ou par une personne déjà tenue à un autre titre de l'engagement cambiaire, par exemple le tireur lui-même pour garantir l'engagement du tiré accepteur selon l'art 169 c com, le porteur négligent perd son recours contre le tireur qui a fait provision, mais il peut toujours agir contre le tiré accepteur, et par Conséquent contre le tireur qui a avalisé la signature de ce dernier, d'où l'intérêt d'un tel aval ( ibid. n 487).
Tel était le cas en l'espèce ; mais le tireur avait omis de préciser pour le compte de qui il donnait son aval, et la Cour suprême avait à décider si, malgré cette omission, et bien que le tireur ait fourni la provision, le porteur négligent pouvait exercer son recours cambiaire contre ce tireur pris en sa qualité d'avaliseur, en prouvant que celui-ci avait voulu garantir l'engagement du tiré accepteur. La situation n'était pas tout à fait la même dans l'espèce soumise aux chambres réunies de la Cour de cassation puisque c'était le tireur porteur de la traite qui exerçait une action cambiaire contre un tiers avaliseur en prétendant prouver que, malgré l'absence d'indication, l'aval de ce dernier avait été donné pour le compte du tiré. Mais, dans un cas comme dans l'autre, il s'agissait de déterminer la nature et la portée de la disposition ci-dessus rappelée de la loi uniforme ;
Se fondant, comme la Cour de cassation française, non sur la notion de preuve (l'arrêt rapporté ne reprend pas à son compte le terme de «présomption» employé par le demandeur dans son moyen), mais sur l'idée que le titre cambiaire doit se suffire a lui-même et contenir les indications nécessaires pour écarter toute incertitude sur la portée des engagements qu'il contient, la Cour suprême décide que la règle posée à l'article 147, al. 6 C com est absolue et ne comporte aucune dérogation, même lorsque comme en la cause son application aboutit à rendre l'engagement cambiaire de l'avaliseur totalement inopérant.
II-Sans effet sur le plan cambiaire, l'engagement de l'avaliseur de cautionner une autre personne que le tireur, conserve toute sa valeur sur le plan du droit commun, sauf s'il est établi que cet engagement a été éteint par novation. Or, la novation ne se présume pas et ne saurait résulter de la seule existence d'un engagement cambiaire surajouté mais non substitué au «rapport fondamental» résultant du contrat initial. (V notamment Besson, Rev trim dr com, 1960, p 493 et les nombreux arrêts de la Cour de cassation qui ont suivi l'arrêt des chambres réunies Civ ; III, 13 avr 1961, B 155 2 mai 1961, B 185 ; 15 mai 1961, B 207 ; 6 nov 1962, B 439, 2 mars 1964, B 109). Ainsi, malgré la rigueur de l'interprétation donnée à l'art 147, al. 6, C com les intérêts du créancier se trouvent suffisamment protégés.
Sur le contrôle du juge de cassation en matière de novation voir infra, note III sous l'arrêt n°
109.