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21/07/1960 | MAROC | N°P712

Maroc | Maroc, Cour suprême, 21 juillet 1960, P712


Texte (pseudonymisé)
Rejet des pourvois formés par Szabados et Brun contre un arrêt rendu le 9 mars 1960par la Chambre des appels correctionnels de Rabat, qui les a condamnés chacun à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 500000 francs d'amende pour escroquerie et banqueroute et à payer conjointement et solidairement 63831963 francs à titre de dommages-intérêts à la société marocaine Bunge.
21 juillet 1960
Dossier nos 5129 - 5130
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION en ses deux branches, pris de la « violation des articles 405 du Code pénal 189 du dahir sur la procédure civile e

t 586 du dahir portant code de procédure pénale, défaut de motifs et manq...

Rejet des pourvois formés par Szabados et Brun contre un arrêt rendu le 9 mars 1960par la Chambre des appels correctionnels de Rabat, qui les a condamnés chacun à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 500000 francs d'amende pour escroquerie et banqueroute et à payer conjointement et solidairement 63831963 francs à titre de dommages-intérêts à la société marocaine Bunge.
21 juillet 1960
Dossier nos 5129 - 5130
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION en ses deux branches, pris de la « violation des articles 405 du Code pénal 189 du dahir sur la procédure civile et 586 du dahir portant code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a condamné les prévenus pour escroquerie, d'une part en relevant à leur charge des affirmations mensongères qui ne sauraient constituer des manouvres frauduleuses en l'absence d'élément extérieur de nature à leur donner force et crédit, d'autre part en faisant état de la production d'un bilan, dont certains postes auraient été majorés, alors que cette production, n'a pu être la cause déterminante de la remise de fonds, puisque postérieure à cette remise, la production du bilan n'ayant eu lieu qu'à la fin de mai 1953 » ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, qu'en vue d'obtenir de la société Bunge des marchés de fabrication et d'importation de tissus, comportant le versement d'avances, Brun et Szabados se sont livrés à des manouvres frauduleuses qui ont eu pour but et pour résultat la remise de diverse somme d'un total de 68294430 francs ;
Attendu que les juges du fond ont caractérisé les éléments de diverses manouvres frauduleuses, retenant notamment la dissimulation d'agissements personnels des inculpés sous couvert d'une société de façade avec établissement de faux bilan, la présentation d'échantillons atteignant progressivement les conditions requises, les allégations frauduleusement concertées des deux associés concernant la nature, la provenance des tissus et la capacité de production de l'usine, la présentation d'un « bon à délivrer » sans valeur émanant d'une société ne vendant pas de tissu, la revente à des prix nettement inférieurs aux pris réels de revient, l'exécution d'opérations prétendument bénéficiaires et la remise de sommes censées en provenir ; que l'arrêt attaqué constate en outre que les manouvres précitées avaient pour but de persuadé la société Bunge d'une part de la solvabilité et de la capacité de production de la société Aïn-Sebaa Textiles, d'autre part de l'existence de facilités particulières d'importation et de la possession par Szabados de secrets de fabrication à partir de déchets permettant des bénéfices exceptionnels, et que ces manouvres ont déterminé les remises de fonds conseties par la société Bunge ;
Attendu que si des allégation mensongères sont insuffisantes pour constituer les manouvres frauduleuses spécifiées en l'article 405 du Code pénal, il en est autrement lorsque comme en l'espèce, à ces allégations viennent se joindre une série d'actes extérieurs frauduleusement concertés entre les prévenus, présentant le caractère d'une mise en scène, et tendant à établir l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir et d'un crédit imaginaire ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé en sa première branche ;
Attendu, en ce qui concerne la seconde branche prise de ce qu'un bilan produit seulement fin mai 1953 ne pouvait être la cause déterminante de remises de fonds effectuées avant cette date, que la Cour d'appel, après avoir constaté que les majorations de stock de matières premières dans la proportion de cinquante pour cent et de la valeur du matériel dans la proportion de un à six opérées par les inculpés dans un bilan soumis à une société commerciale appelée à leur consentir du crédit constituaient une manouvre frauduleuse pour persuader l'existence d'une fausse entreprise, et d'un pouvoir imaginaire, a pris soin de préciser que cette manouvre, destinée à provoquer des avances de fonds, avait entraîné de la part de la société Binge, aux dates des 26, 27 juin et 6 juillet 1953 des avances d'un montant total de 17689356 francs ;
Qu'ainsi, la Cour d'appel ayant expressément rattaché les effets de la production du bilan aux avances de fonds consenties ultérieurement, le moyen, en sa seconde branche, manque en fait ;
SUR LE SECOND MOYEN, PRIS de la «violation des articles 402 du Code pénal, 363et 364 du dahir formant Code de commerce, 189 du dahir sur la procédure civile, 586 du dahir formant Code de procédure pénale, de la part défaut de motifs, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a condamné les dirigeants d'une société anonyme pour banqueroute simple, au motif que, la société étant factice, ils avaient exercé personnellement le commerce sous son couvert, alors que l'arrêt constate seulement que la société était annulable, situation qui ne se confond pas avec la fictivité ; D'où il suit quelle avait existence réelle aussi longtemps quelle
n'était pas annulée et que la Cour, ne pouvait sans autre motif décider que ses dirigeants exerçaient personnellement le commerce»;
Attendu que l'arrêt attaqué et le jugement de première instance dont il s'approprie les motifs, constatent que Brun et Szabados ont agi comme commerçants, à titre personnel et que, seuls propriétaires des actions de la société Aïn-sebaa Textiles, ils ont masqué derrière la façade de cette société les agissements commerciaux qui leur sont reprochés ; Que les juges du fond ajoutent que ces inculpés « ne sauraient sérieusement contester la qualité de commerçants qui leur est attribué, alors qu'ils ne cessent d'exercer des activités financières et économiques internationales, déplaçant des fonds et des marchandises dans plusieurs sociétés de différents pays, ouvrant, compensant, activant et enchevêtrant des comptes entre eux et leurs diverses sociétés, en dehors de tout contrôle d'assemblée d'actionnaires et sans qu'il soit possible de distinguer le bien social du bien de Brun ou de Szabados, le tout demeurant universellement confondu»;
Attendu que ces constatations de fait souverains, dés lors qu'elles caractérisaient les agissements commerciaux imputables à titres personnel aux prévenus, et qu'elles démontraient que leur activité s'était exercée sous le couvert d'une société masquant en réalité leurs opérations personnelles rendaient superflue toute appréciation de la juridiction répressive concernant la régularité de cette société ; Qu'en conséquence, abstraction faite de considérations surabondantes relatives à la situation juridique de la société Aïn-Sebaa Textiles la Cour d'appel a, par ses motifs et ceux des premiers juges, donné une base légale à sa décision, et a pu, sans violer les textes visées au moyen, décider que Brun et Szabados étaient personnellement commerçants, constater leur état de cessation de paiement et les déclarer banqueroutiers ;
D'où il suit que, ce moyen n'étant pas plus fondé que le premier, les pourvois doivent être rejetés ;
PAR CES MOTIFS
Rejette les pourvois.
Président : M.Deltel. -Rapporteur : M.Voelckel. -Avocat général : M. Af. - Avocats : MM.Gaudens-Ravotti. Luigi.
Observations
1.-sur le premier point : De simples mensonges, même produits par écrit, ne constituent pas les manouvres frauduleuses caractéristiques du délit d'escroquerie (Crim.17 janv.1896, B.C. 28 ; 6 févr. 1932, B.C. 29 ; 4 août 1933, B.C. 182 ; 3 févr. 1934, B.C.26 ; 4 déc. 1936, B.C. 133 ; 3 juill. 1947, B.C. 174 ). Il en est cependant autrement lorsqu'à ces mensonges se joint un fait extérieur leur donnant créance, tel qu'une mise en scène ou l'intervention d'un tiers. Les manouvres peuvent résulter d'un concert frauduleux entre coprévenus (Crim. 26 mars 1934. Gaz pal. 1934. I. 906 ; 5 nov. 1936, B.C. 108, D.H. 1937. 21 ) L'intervention d'un
tiers de mauvaise foi suffit d'ailleurs à caractériser l'escroquerie (Crim. 15 mai 1931, B.C. 134 ; v. la note sous Cour supr., Crim., arrêt n°481 du 17 déc. 1959 ).
Sur cette question, v. Rép. Crim., V°Escroquerie, par Ae Ai, nos 168 s.
II.- Sur le deuxième point : La banqueroute ne peut être commise que par un commerçant en état de cessation de paiement les juges du fond apprécient souverainement si une personne a la qualité de commerçant (Crim. 24 janv. 1956, D. 1956, somm. 127 ) et si elle est en état de cessation de paiement (Crim. 18 janv. 1936, D.H. 1936, 85). La décision rendue à cet égard par la juridiction civile ou commerciale est sans influence au pénal (Crim. 3 août 1938, B.C. 193 ).
En raison des constations qu'elle avait faites et qui sont rapportées dans l'arrêt de la chambre criminelle, la cour d'appel avait pu déclarer les deux prévenus banqueroutiers.
Les considérations relatives à la situation juridique de la société, qui avait masqué leurs agissements personnels, étaient donc surabondantes et ne pouvaient vicier la décision (En ce qui concerne les motifs surabondants, qui, même lorsqu'ils sont erronés, ne vicient pas les décisions, v. Faye, n°113,Rep. Pr. civ. V° cassation par Ab Ah, n°2179; Rep. Crim, V° cassation, par Ad Ac, n°346 ; Ag Ak, Le style des jugements, n°118 ;Crim. 18 oct. 1934, B.C. 167 ; 7 févr. 1935,B.C. 22 ).
Sur la banqueroute, v. Rép. Crim., v° Banqueroute, par Aa Aj, et notamment les n°s 9, 10 et 21.
____________


Synthèse
Numéro d'arrêt : P712
Date de la décision : 21/07/1960
Chambre pénale

Analyses

1° ESCROQUERIE - Manouvres frauduleuses -Mise en scène - Société de façade.2° BANQUEROUTE - Eléments constitutifs - Qualité de commerçant - Cessation des paiements.

1° Des allégations mensongères accompagnées d'une série d'actes extérieurs frauduleusement concertés entre les prévenus et présentant le caractère d'une mise en scène, caractérisent les manouvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie.2° Les juges du fond peuvent décider que des prévenus sont personnellement commerçant dés lors qu'ils relèvent à leur encontre des faits caractérisant des agissements commerciaux qui leur sont imputables à titre personnel et qu'ils démontrent que leur activité s'est exercée sous le couvert d'une société masquant leurs opérations personnelles. L'appréciation de la juridiction répressive sur la fictivité ou l'annulabilité de la société est un motif surabondant qui n'entache pas de manque de base légale l'arrêt constatant l'état de cessation de paiement des prévenus et les déclarant banqueroutiers.


Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ma;cour.supreme;arret;1960-07-21;p712 ?
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