Rejet des pourvois formés par B Ar Ad Aj, Ah Af et la compagnie d'assurances l'Europe contre un jugement rendu le 17 décembre 1959 par le tribunal de première instance de As, qui a déclaré prescrites les contraventions reprochées par Ah à Al Ad Az Ad A, a condamné B Ar Ad Aj, pour blessures involontaire et pour avoir omis d'adapter sa vitesse aux conditions de la circulation, à une peine d'amende avec sursis et à payer des indemnités aux parties civiles, Ah Af étant, sous la substitution de la compagnie d'assurances L'Europe, déclaré civilement responsable de B Ar Ad Aj.
27 octobre 1960
Dossiers n° 4925 - 4926 et 4927
la Cour,
Vu les mémoires déposés par les demandeurs le 31 décembre 1959, et les mémoires en réponse
produits par les défendeurs Al Ad Az Ad A et la compagnie d'assurances « La Protectrice », le 13 avril 1960 ;
Ecartant des débats le « mémoire ampliatif » produit le 15 juin 1960 par le demandeur B Ar Ad Aj, document non prévu par les régles de procédure applicables à l'instruction des pourvois en matière pénale, et le mémoire en défense déposé hors délai le 22 juin 1960 par Bd Ad Ao Ad A ;
Joignant les trois pourvois en raison de leur connexité ;
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de « la violation des articles 298, 352, et
307 du Code de procédure pénale, violation des formes substantielles de procédure, en ce qu'il résulte pas du jugement entrepris que les juges qui l'ont rendu assisté à toutes les audiences au cours desquelles la cause a été instruite » ;
Attendu que les énonciations dudit jugement indiquent que l'affaire, appelée devant le tribunal
le 10 décembre 1959, a été instruite à l'audience tenue à cette date, et que, mise en délibéré à cette audience, elle a été renvoyée au 17 décembre suivant pour recevoir jugement ; qu'elles précisent expressément qu'à cette audience publique du 17 décembre, le tribunal était composé des mêmes magistrats qu'à celle du 10 décembre ; qu'il résulte donc des énonciations du jugement attaqué que celui-ci a été rendu par les juges qui ont assisté à toutes les audiences au cours desquelles l'affaire a été instruite ;
D'où il suit que le moyen tel que formulé manque en fait ;
SUR LE DEXIEME MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation des articles 352 du Code
de procédure pénale et 340 du Code d'instruction criminelle, violation de la loi, défaut de motifs, manque de base légale, en ce que le jugement attaqué a déclaré éteintes par la prescription les contraventions reprochées à Al Ad Az Ad A par la citation directe d'Andréani au motif que plus d'une année s'était écoulée depuis le jour où les contraventions avaient été commises (11 janvier 1958) lorsque a été prononcé le jugement du 12 janvier 1959, ordonnant la jonction des deux poursuites, alors que les contraventions faisant l'objet de la citation direction directe d'Andréani étaient connexes au délit faisant l'objet des poursuites du ministère public, et que le jugement du 12 janvier 1959 n'a pas été rendu plus d'un an après l'infraction, mais au contraire le dernier jour du délai et alors que l'affaire ayant été mise une première fois en délibéré le 8 septembre 1958, la décision du juge du 13 octobre 1958, ordonnant la remise au rôle, avait nécessairement le caractère d'un jugement » ;
Attendu que B Ar Ad Aj et Al Ad Az ont fait l'objet de poursuites distinctes, le premier à la requête de ministère public pour délit de blessures involontaires, le second sur citation directe d'Andréani pour contravention à la police du roulage ; que les faits imputés aux prévenus remontent au 11 janvier 1958, que la jonction des poursuites a été ordonnée par jugement du 12 janvier 1959, et que le tribunal a statué le 4 mai 1959 ;
Attendu qu'en vertu de l'article 640, alinéa premier, du Code d'instruction criminelle, alors applicable, l'action publique pour une contravention se prescrivait par une année révolue à compter du jour où elle avait été commise à la seule condition qu'une condamnation ne fût pas intervenue dans cet intervalle ;
Attendu que ce délai de prescription n'est pas franc et se calcule de quantième à quantième ;
qu'en l'absence de condamnation la contravention reprochée à Al Ad Az s'est trouvée prescrite le 11 janvier 1959 à minuit, donc antérieurement à la jonction ordonnée ; qu'en conséquence cette jonction est demeurée sans effet à l'égard de la prescription annale déjà irrévocablement acquise, et n'a pu lui substituer la prescription triennale prévue au second alinéa de l'article 640 précité ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation de l'article 352 du
Code de procédure pénale, de l'article 320 du Code pénal, des articles 77 et 78 du dahir des obligations et contrats de l'article 7 de l'arrêté viziriel du 24 janvier 1953, en ce que le jugement attaqué a condamné le conducteur du camion, ainsi que le propriétaire de ce véhicule, avec substitution de la compagnie d'assurances « L'Europe », à réparer l'entier préjudice subi par le conducteur propriétaire de la voiture légère, Al Ad Az ben M'hamed, mettant ainsi toute la responsabilité à la charge de l'inculpé B Ar Ad Aj, alors que même si les contraventions reprochées à Al Ad Az ben M'hamed étaient prescrites en tant qu'infractions pénales, il n'en subsistait pas moins une faute civile certaine devant entraîner pour le moins un partage de responsabilité, puisqu'il était constant que conducteur de la voiture légère, après avoir amorcé un virage à gauche, a serré sur sa droite » ;
Attendu que le premier juge, dont le jugement d'appel attaqué adopte expressément les motifs, énonce dans sa décision que le conducteur de la voiture légère, Al Ad Az ben M'hamed, « après avoir serré nettement sur sa droite pour virer correctement » et « après avoir signalé sa manouvre . s'apprêtait à opérer ce changement de direction », que « malgré ces circonstances » le chauffeur du camion B Ar Ad Aj, « prévenu du changement de direction », n'avait pas « jugé utile de ralentir » ;
Attendu qu'après avoir ainsi caractérisé « la faute commise » par B Ar Ad Aj « de n'avoir pas adapté sa vitesse aux conditions de la circulation dans lesquelles il se trouvait », le premier juge précise que « la faute entière de la collision lui incombait » ;
Attendu que par ces constatations et appréciations souveraines, non contradictoires entre elles, qui échappent au contrôle de la Cour suprême, les juges du fond ont donné une base légale à leur décision, qu'ils ont ainsi suffisamment et légalement justifiée ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
Rejette les pourvois ;
.......................................
Vu la témérité du pourvoi, condamne in solidum les demandeurs, par application de l'article 600, alinéa 2, du Code de procédure pénale, à une amende civile de dix mille francs au profit du Trésor.
Président : M. Ae. - Rapporteur : M. Aw. - Avocat général : M. An. - Avocats :MM. Cagnoli, Pajanacci, Laporte.
Observations
I. - Sur le premier point : Les seuls documents prévus par les art. 579 et 592 C. proc. pén. pour l'instruction des pourvois en matière pénale sont le mémoire exposant les moyens de cassation du demandeur et la mémoire en défense.
A) Sont écartées, en conséquence, des débats : 1. Le « mémoire additionnel » (arrêt n° 918) ;
2. Le « mémoire ampliatif » (v. l'arrêt n° 471 du 10 déc. 1959, Rec. crim. T.l. 157) ; 3. Le « mémoire complémentaire » (arrêt n° 791) ;
4. Le « mémoire en réplique » (arrêt n° 755, 842, 918 ; 476 et 482 du 17 déc. 1959,Rec. crim. T.l. 160 et 167) ;
5. Le « mémoire en réponse » (arrêt n° 803).
B) Le mémoire en défense droit être déposé par le défendeur dans le mois de la notification qui
lui a été faite du mémoire exposant les moyens de cassation du demandeur ou, exceptionnellement, dans le délai supplémentaire qui a été fixé par le conseiller rapporteur.
Le mémoire en défense déposé hors délai est écarté des débats ( v. les arrêts 401 du 29 oct. 1959, Rec, crim. T.l. 108 ; 471 du 10 déc . 1959, ibid. 157 ; 476 du 17 déc. 1959, ibid. 160 et les arrêts n° 731, 735, 744, 768, 791, 812, 815, 835, 836, 838, 875, 889, 901 et 918 publiés dans ce volume).
Il en est de même du mémoire en défense présenté par un avocat non agréé près la Cour suprême (arrêt n° 709 du 14 juil. 1960, Rec. crim. T.l. 336 ; 768 et 814 publiés dans ce volume).
II. - sur le deuxième point : Un moyen manque en fait « s'il résulte de l'arrêt attaqué que la circonstance relevée comme constituant un vice de forme n'existe matériellement pas ; si les faits allégués par le demandeur comme servant de base à sa thèse de droit ne sont pas ceux que le jugement a constatés ou qui résultent de la procédure ; si la solution prêtée au juge par le prêtée par le pourvoi n'est pas en réalité celle qui a été donnée, ou si elle a été mal interprétée par le demandeur en cassation » (Faye, n° 61). V. également : Rép. Pr. Civ., V° Cassation, par Ay Ba, n° 846 ; arrêt n° 308 du 28 mai 1959, Rec. crim. T.l. 83 et, comme exemples, les arrêts, publiés dans ce volume, n° 726, 786, 796, 880.
Lorsque le moyen manque en fait, son rejet s'impose à ce seul titre.
III.- Sur le troisième point : Par l'arrêt rapporté, la Chambre criminelle confirme sa jurisprudence relative à l'application des dispositions de l'article 640 C. instr. Crim., aujourd'hui abrogé par le C. proc. Pén. (V. l'arrêt n° 600 du 31 mars 1960, Rec. crim. T.l. 262).
La prescription annale, en matière de contravention, n'était interrompue que par le jugement de condamnation ou par un empêchement de droit entraînant l'impossibilité d'agir (Crim. 27 mai 1843, B.C. 125 ; 14 déc. 1844, B.C. 300 ; 29 août 1846, B.C. 229 ; 7 mai 1851, B.C. 167 ; 2 juin 1930, B.C. 166 ; 3 avril 1930, B.C. 104 ; 21 mars 1932, B.C. 87 ; 13 janv. 1933 ; S. 1934, I. 200 ; 24 juil. 1952, D. 1952. 633 avec le rapport de M. Ac Aa, S. 1953. I . 29 et la note de M. Ax). Elle ne l'était ni par un jugement ordonnant un transport sur les lieux ou une rxpertise (Crim. 24 août 1882, D. P. 1882. I. 485 ; 14 avril 1893, B. C. 100, D. P. 1894. I. 311 ; 28 oct. 1911, D. P. 1912. I. 424 ; 22 oct. 1936, gaz pal. 1936. 2. 878), ni par un jugement de remise de cause (Crim. 14 déc. 1844, B. C. 402), ni un jugement d'incompétence (Crim. 15 mars 1884, B. C. 92 ; 17 fév. 1944, B. C. 52, J. C. P. 1944. IV. 43, 1944. I. 415 chronique de M. Ai Aq ; 25 janv. 1951, B. C. 33), ni un jugement ordonnant un supplément d'information (Crim. 8 nov. 1955, D. 1956. 43). Sur ces points, v. Rép. Crim., V° Prescription, par Ap Ak et Ai Am, n° 76 s. ; Bouzat et Pinatel, 2, n° 1065 ; Donnedieu de Vabres, n° 1113.
La jonction, pour cause de connexité, avec un délit de blessures involontaires reproché à un autre prévenu, était intervenue alors que la contravention imputée à Al Ad Az se trouvait déjà prescrite. Elle ne pouvait donc faire disparaître une prescription annale déjà acquise et rendre applicable la prescription triennale prévue au second alinéa de l'art. 640 susvisé (Dans ce sens, v. crim. 21 mars 1932, B. C. 87).
*Le C. proc. Pén., dans ses art. 4 et s., n'a pas repris les dispositions de l'art. 640 C. instr. Crim. Il porte à deux années grégoriennes révolues, à compter du jour où la contravention a été commise, la prescription de l'action publique en matière de simple police (art. 4, al. 4) et prévoit que cette prescription est interrompue par tout acte d'instruction ou de poursuite accompli par l'autorité judiciaire ou ordonné par elle (art. 5, al. 1er).
IV.- sur les quatrième et cinquième points : Aux termes de l'art. 32, al. 1er, de l'arr. viz. Du 24 janv. 1953, sur la police de la circulation et du roulage, « sans préjudice des responsabilités qu'il peut encourir en raison des dommages causés aux personnes, aux animaux, aux choses ou à la route, tout momentanées ou aux conditions de circulation dans lesquelles il se trouve ; il est tenu non seulement de réduire cette vitesse à l'allure autorisée sur les voies publiques, pour l'usage desquelles le directeur des travaux publics ou les autorités municipales et locales ont le pourvoir d'édicter des prescription spéciales, conformément aux dispositions de l'art. 61 du présent arrêté, mais de ralentir ou même d'arrêter le mouvement toutes les fois que le véhicule, en raison des circonstances ou de la disposition des lieux, pourrait être une cause d'accident, de désordre ou de gêne pour la circulation, notamment dans les agglomérations, dans les courbes, les fortes descentes, les sections de routes borées d'habitations, les passages étroits et encombrés, les carrefours, lors d'un croisement ou d'un dépassement, ou encore lorsque, sur la voie publique, les bêtes de trait, de charge ou de selle, ou les bestiaux montés ou conduits par des personnes, manifestent à son approche des signes de frayeur ».
Lorsqu'ils prononcent une condamnation en application de cet art., les juges du fond doivent, pour permettre à la juridiction de cassation d'exercer son contrôle et pour donner une base l »gale à leur décision, indiquer les circonstances de temps et de lieu qui rendent nécessaire le ralentissement
du mouvement du véhicule ou même son arrêt (V. l'arrêt n° 179 du 15 janv. 1959, Rec. crim. T.L. 48).
V., comme exemples de vitesse non adaptée aux circonstances, les arrêts n° 640 du 12 mai 1960, Rec. crim. T.L. 272 ; 670 du 16 juin 1960, ibid. 306 et 683 du 23 juin 1960, ibid. 314.
V.- Sur le sixième point : Aux termes de l'art. 600, al. 2, C. proc. Pén. « en cas de pourvoi téméraire ou abusif, la Cour (suprême) peut . condamner le demandeur qui succombe à une amende civile de 10 000 à 100 000 francs au profit du Trésor ».
La Chambre criminelle apprécie tant en fait qu'en droit le caractère téméraire ou abusif du pourvoi.
A) Elle a déjà jugé que le pourvoi est téméraire :
a) lorsque, sur deux moyens de cassation présentés par le demandeur, l'un manque partiellement
en fait alors que le second, dans sa première branche, dénature la décision attaquée et manque totalement en fait (Arrêt n° 438 du 19 nov. 1959, Rec. crim. T.l. 128) ;
b) lorsqu'il est basé sur des griefs procèdent d'une connaissance insuffisante ou d'une déformation des faits ou documents de la cause (Arrêt n° 651 du 26 mai 1960, Rec. crim. T.l. 285).
c) Il l'est également lorsqu'il est fondé sur la méconnaissance tant des termes de la décision attaquée que de l'exacte étendue des pouvoirs de la Cour suprême (Arrêt n° 786 et 787 du 5 janv. 1961, publiés dans ce volume).
B) En cas de pourvoi abusif,
la Chambre criminelle a, aux termes de l'at. 3 de l'art 600 C. proc. Pén., « qualité pour se prononcer sur la demande en dommages-intérêts formée devant elle par le défendeur pour recours abusif ».
Le pourvoi en cassation peut en effet constituer un « abus de droit ». selon un formule sans cesse reprise, « l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute susceptible d'entraîner une condamnation à dommages-intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de maouvaise foi ou s'il est, tout au moins. Le résultat d'une erreur grossière équipollente au dol » (Civ. 4 nov. 1946, D.1947. 49 ; 20 janv. 1948, D. 1948. 201 ; 10 mars 1948, D. 1948, 255 ; Soc. 1er déc. 1950, D. 1951, somm. 31 ; Civ. 29 avril 1953, D. 1953. 68).
Comme exemples de pourvois abusifs, v. les arrêts n° 461 du 3 déc 1959, Rec. crim. T.l. 142 et 476 du 17 déc. 1959, ibid. 160.
La victime doit, comme tout demandeur en responsabilité, fournir des justifications à l'appui de sa demande en dommages-intérêts (V. l'arrêt n° 229 du 12 mars 1959, Rec. crim. T.l. 67).
Sur la notion d'abus de droit et plus particulièrement sur l'abus de droit dans l'exercice d'une action, V. At Ab, De l'esprit des droits et de leur relativité ; X dite de l'abus de droit, Morel, Les dommages-intérêts au cas d'exercice abusif des actions en justice, thèse Paris. 1910 ; Bb Au, Les instances actives et passives et la X de l'abus de droit, B. 1949, chron. P. 183 ; Mazeaud, n° 591 ; Savatier, n° 65s ? ; Lalou n° 883s. ; Lecomte, La responsabilité du plaideur envers son adversaire, Rev. crit. Lég. Et jurispr., 1938. 481 ; Rép. Pr. Civ., V° Action, par Ai Ag, n° 9 ; Rép. Civ., V° Abus de droit, par Av Bc, n° 61 s. ; Nouv. Rép., V° Responsabilité civile, n° 14s.